samedi, octobre 29, 2016

BELLE DES BELLES



LA BELLE HÉLÈNE



Opéra bouffe en trois actes de Jacques Offenbach (1819-1880)

Livret de Henri Meilhac (1830-1897) et Ludovic Halévy (1834-1908)

Création : Paris, Théâtre des Variétés, 17 décembre 1864

Marseille, Théâtre Odéon

16 octobre 2016





         Sacrée famille !

         Hélène, dite à tort de Troie, en droit Hélène de Sparte, la belle Hélène, selon Homère, fut cause de la Guerre de Troie. Cette Hélène, quelle fatale hérédité ! Quelle famille ! En effet, du côté généalogique, elle est née des amours de sa mère, la reine Léda, avec un cygne, en réalité Zeus, pour les Grecs, Jupiter, pour les Romains, Dieu des dieux, un vilain coureur de jolies filles et même de beaux garçons (ne se fit-il pas aigle pour enlever le mignon Ganymède et en faire, entre autre son échanson dans l’Olympe ?), bref, ce coquin de Jupin (pour les amis), métamorphosé en ce volatile pour tromper et détromper la vigilance de sa jalouse de femme, Héra pour les Grecs, ou Junon pour les Romains, emblématisée par le paon, le pa/on-pan chez Offenbach et ses compères librettistes. Côté famille, du même œuf, Hélène a pour frères Pollux, puis Castor, les jumeaux, les gémeaux. Elle aura une fille, la jalouse Hermione de l’Andromaque de Racine qui fera tuer son amant infidèle par son cousin Oreste amoureux fou d’elle ; quant à sa sœur, Clytemnestre, aidée de son cousin et amant, elle assassinera son mari, le roi des rois Agamemnon au retour de la Guerre de Troie car ce père indigne a fait sacrifier leur fille, la douce Iphigénie pour avoir des vents favorables et Clytemnestre sera à son tour assassinée par son fils Oreste, poussé par sa sœur Électre, pour venger le père. Et laissons de côté Atrée et Thyeste, frères ennemis, dont l’un fera manger à l’autre la chair de ses enfants, ses neveux. Ouf ! Même issue es dieux, cette famille sacrée est une sacrée famille !


         Histoire de pomme

         Et pourtant, née d’un œuf et même sans faire une omelette, elle causera bien des ravages, notre chère Hélène, héroïne bien innocente encore, enjeu d’un jeu qu’elle ignore, disons le jeu non de l’oie ni de paume, mais de la pomme, le fruit. Eh oui, la pomme, pas celle d’Ève ni la pomme d’Adam mais la pomme de Discorde, la rageuse déesse (de là vient l’expression), qui pour faire râler les dieux de l’Olympe qui ne l’ont pas invitée à leur fête, la troublera, parce que c’est sa nature, en jetant sur la table du banquet une pomme d’or avec l’inscription : « À la plus belle ».  À la plus belle ? Trois miss(es), non, trois déesses se mettent sur les rangs, Et les voilà sur le podium, non, le Mont Ida : Héra (Junon), Athéna (Minerve) et Aphrodite (Vénus), compétition guère divine mais bien humaine et féminine, bref, un concours de beauté couronné de la pomme pour la gagnante du titre de « la plus belle ». Pâris, le beau prince troyen, passait par là comme simple berger. Elle s’en remettent au jugement du jeune homme. Ce dernier offre le prix à Vénus qui, recevant la pomme de la plus belle déesse, promet à Pâris la plus belle des mortelles, Hélène de Sparte, mariée au roi Ménélas, hélas ! Il l’enlèvera et l’on verra la suite funeste : la Guerre de Troie.




La Guerre de Troie n’aura pas lieu

         Du moins chez Offenbach et ses deux érudits librettistes qui nous en présentent les héros, avant la tragédie, en pleine comédie de ces boulevards tracés par le Second Empire en gloire et en fête : Hélène en cocotte, Pâris en jeune premier rusé, Oreste en fils à papa débauché, Agamemnon, roi des rois bien vivant encore (où est passée Clytemnestre?), Achille bouillonnant et vibrionnant myrmidon au cerveau limité par le casque, et Ménélas, en exemplaire parfait des cocus du vaudeville français du temps, la poire de l’affaire.


         Mais La Belle Hélène (1864) est aussi connue que méconnue. Qui, en effet, aujourd’hui, peut identifier, pour s’en délecter, toutes les références généalogiques, mythologiques, détournées de façon comique, qui tendent, comme l’arc d’Ulysse, le texte hilarant mais très érudit d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, les duettistes librettistes futurs auteurs de Carmen ? Ainsi, une seule allusion rapide d’Achille combattant « à un contre mille », « grâce à [son] plongeon » ne se comprend que si l’on sait que sa mère, pour le rendre invulnérable, le plongea, enfant, dans les eaux du Styx, fleuve des Enfers, pour le rendre immortel, le tenant simplement par les talons, seules parties non trempées qui resteront ainsi vulnérables : il en mourra d’une flèche de Pâris, lors du siège de Troie. D’où l’expression, le talon d’Achille, la part, le maillon faible de quelqu’un. Mais à texte savant, musique virtuose, qui décomposant des mots de manière surréaliste déjà, a sans doute fixé dans la tradition et la mémoire collective ces noms de rois, ainsi, le bouillant Achille, « le roi myrmidon », ce roi « barbu, bu qui s’avance, c’est Agamemnon », Ménélas, « l’époux, poux de la reine », qui partira « pour la Crète », l’île aux cornes qui orneront sa tête après que Pâris sera parti, avec sa femme Hélène, pour Troie.




Réalisation et interprétation

         Beaux décors (Éric Chevalier, Ateliers de l'Opéra de Marseille) à la grecque, portiques, frise et vue sur le Parthénon ou un temple de ce type. Nous sommes pourtant à Sparte chez la reine Hélène et le roi Ménélas qui en a obtenu le trône en dot par son mariage. Une Sparte peu spartiate par la débauche —déjà— des superbes coiffures, parures, de magnifiques costumes, luxe et luxure d’une Grèce de fantaisie heureuse, de la comédie et non de la tragédie (Frédéric Pineau, Opéra théâtre de Saint-Étienne), très habillés ou déshabillés pour la Belle des belles qui peut se le permettre par l’impeccable plastique de Laurence Janot, qui l’incarne, littéralement, en chair justifiant qu’elle est le prix de la pomme « à la plus belle » promise à Pâris par Vénus qui la voit sans doute comme son double, et qui la chante et nous enchante par une voix ronde, ductile, facile, suavement sensuelle, nuancée, par une marche et démarche toute d’élégance souveraine : morceau de choix, morceau de roi, de rois (qui tous, se la disputèrent : cent candidats fiancés !) . Son récit dramatique, parodie d’opéra italien (« Ciel, l’homme à la pomme… ») avec ses cadences cocottantes virtuoses, est d’anthologie.

         Le cabinet où la Belle barbote en sa baignoire en méditant gravement sur la fatalité familiale d’une vertu ballotée, cascadée par les facéties de Vénus, a pour portrait de famille une élégante et érotique sculpture néo-classique de XVIIIe siècle libertin, maman Léda caressant le col phallique de papa le cygne. La scène de sortie de l’onde nous vaut d’affriolants aperçus de ses charmes dans le simple appareil d’une beauté arrachée à son bain, qui n’a rien à dissimuler : Vérité du Beau, du Bon, du Vrai, on est dans le platonisme le moins platonique mais le plus esthétique qui soit.


Cependant, même issue d’un œuf, Hélène n’est pas une cocotte —minute, papillon, « what did you expect ? » — elle demande à la belle Bacchis (Carole Clin) une chaste robe non décolletée, montant jusqu’au col, pour ne pas allumer, enflammer le bon berger, l’homme à la pomme, Pâris. Celui-ci (Kévin Amiel) est physiquement plus rustique berger que Prince altier mais ses aigus pénétrants du mont Ida sont les promesses d’un coq non en pâte ni empâté, qui chante tout la nuit, et même si « Ce n’est qu’un rêve », que serait-ce, pauvre Ménélas, dans la réalité ? comme le reproche la belle épouse choquée par l’impolitesse d’un mari peu galant homme rentré de la Crète à l’improviste sans aviser d’avance sa femme, s’exposant de la sorte à des désagréments matrimoniaux. Joué par la reine, jouet malmené des autres rois qui, pour sauver la Grèce de l’épidémie de luxure envoyée par Vénus vexée de le voir contrarier ses projets d’amour entre Hélène et Pâris, le somment, l’assomment d’exhortations à l’immolation maritale de cocu consentant, sommet de drôlerie (Dominique Desmons), ébahi, ébaubi, faraud effaré mais pas effacé du tableau du déshonneur conjugal où il reste, à jamais, dans l’Histoire, le premier des « Ménélas de l’avenir ».

        Le quarteron des autres rois de la Grèce est à la hauteur, sinon de l’Histoire, de cette histoire drolatique : tout d’autorité vocale digne du Roi des rois, Philippe Ermelier est un Agamemnon dont le nom dispense d’en dire plus long ; Jean-Marie Delpas, c’est Achille, moins bouillant que bredouillant, sinon de la voix tonnante, d’un esprit détonant dans la Grèce de la raison ; Jacques Lemaire et Yvan Rebeyrol, Ajax I et II, Dupond et Dupond de l’Antiquité, d’inénarrable manière les campent et Samy Camps, par la voix et le physique, est un séduisant fils à papa sans maman à tuer, gay ou gay Oreste, dans un rôle dévolu à une femme, escorté d’accortes compagnes (Nelly B, Lorrie Garcia) des plaisirs et des jeux. Grandiose voix d’intrigant grand augure qui inaugure le spectacle, grand Prêtre qui se prête aux manœuvres de Vénus, tricheur et frauduleux, Michel Vaissière, est un irrésistible Calchas.

         Tous ce monde joue, chante, danse dans une mise en scène inventive de Bernard Pisani, fourmillant de trouvailles cocasses ou même poétiques (la colombe, volante danseuse), dynamique, sans un temps mort, intégrant avec fluidité le quartette léger et virevoltant des danseurs dont la longueur des noms semble faire une troupe complète (Chloé Scalèse, Liya Semenkova-Tobiass, Ángel Gabriel Cubero Alconchel, Grégoire Lugue Thébaud).


         Intégré aussi dans l’action et le mouvement, le Chœur Phocéen bien préparé (Rémy Littolff) mérite des éloges tout comme l’Orchestre du Théâtre de l'Odéon, en notables progrès. Il est vrai qu’à leur tête, Emmanuel Trenque, chef de chœur de l’Opéra de Marseille, s’avère aussi un chef d’orchestre remarquable, ayant tout son monde à l’œil, le menant à la baguette vive et souple. Digne successeur de Pierre Iodice à ce poste, directeur d’orchestre également, on souhaite à Emmanuel d’avoir vite, comme son prédécesseur, une phalange à lui.

         Une nouvelle production qui mériterait de tourner.


La Belle Hélène
 de Jacques Offenbach,

Marseille,

Théâtre Odéon

15 et 16 octobre,

Chœur Phocéen, chef de chœur : Rémy LITTOLFF
Orchestre du Théâtre de l'Odéon
Direction musicale : Emmanuel TRENQUE

Chef de chant : Caroline OLIVEROS

Mise en scène : Bernard PISANI

Assistant mise en scène : Sébastien OLIVEROS

Décors : Éric CHEVALIER (Ateliers de l'Opéra de Marseille).

Costumes : Frédéric Pineau, Opéra théâtre de Saint-Étienne.
Distribution :

Hélène :  Laurence JANOT

Bacchis : Carole CLIN

Parthénis : Nelly B

Loæna : Lorrie GARCIA

Pâris : Kévin  AMIEL

Oreste : Samy CAMPS

Calchas : Michel VAISSIERE

Agamemnon : Philippe ERMELIER

Ménélas : Dominique DESMONS

Achille : Jean-Marie DELPAS

Ajax I : Jacques LEMAIRE

Ajax II : Yvan REBEYROL

Photos : Christian Dresse
1.Un grand augure pris de luxure ; 
2. Les rois de la Grèce ;
3. La reine et le berger ;
4. La belle en son bain ;
5.  Hélène et Pâris ;
6. Hélène et Calchas : demande d'un rêve…



        

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