PIC
Pic
et pic et colégram : c’est quoi
ce PIC? se dit-on au début. Un nom qui pique l’attention,
menace à glace, ou rêve, sinon somme, de sommet : pour atteindre ce Pôle, à défaut de l’Instrument de la navette maritime en repos depuis l’automne,
en voiture ou bus, il faut franchir la limite des glaçants quartiers nord de la
ville qui défrayent et effrayent la chronique, l’Estaque Riaux, prendre le
raidillon de la « Montée Antoine Castejon », grimper encore les
marches de la petite terrasse de l’ancien cinéma le Rio, Contemporain du muet, et, enfin, on atteint la hauteur
de vue et de vues de ce petit lieu rénové où vient de se lover, pour son
vingtième anniversaire, l’Ensemble Télémaque, dont l’infatigable animateur, Raoul Lay, compositeur et chef d’orchestre, éternel adolescent
tout plein d’un poétique esprit d’enfance, tout voué et dévoué à la création
contemporaine ne désavouera pas mon approche et accroche, lui qui ouvre tant de
voix et voies à la musique de notre temps qu’il arrive à faire entrer dans les
écoles, et à faire sortir des cours de récré avec des bataillons d’enfants pour
les faire venir à ses spectacles et concerts adressés souvent à eux, sans
infantilisme aucun : oui, création et récréation sans frontières
esthétiques pour un public sans frontière chronologique, création au sommet.
Au sommet de l’exigence et de la recherche par ses croisements avec
les autres arts de la scène mêlant, dans un désir protéiforme de formes
inédites et inouïes, compositeurs (Luciano Berio, Georges Apergis, Mauricio Kagel, Steve Reich, pour les
« classiques », Philippe Hersant, Thierry Machuel, François Narboni, Jean-Luc Hervé, Tatiana Catanzaro, François
Narboni, Kasia Glowicka, Bernard Cavanna, Ivan Fedele, sans
oublier les Marseillais Georges Bœuf, Pierre-Adrien Charpy, Lionel Ginoux, etc) chorégraphes
(Frédéric Flamand, etc), metteurs en scène (Olivier Py, Bernard Kudlak —du cirque Plume—, Catherine Marnas, Olivier Pauls, Nathalie Pernette, etc),
pour des réussites indubitables des propres musiques scénifiées de Raoul Lay
lui-même, Nokto, La Mort
marraine, La Revue de Cuisine, La Jeune fille aux mains d’argent, etc. Longtemps exilées de notre région, les
productions Télémaque ont reçu le meilleur des accueils dans de vastes tournées
prestigieuses : Festival d’Ile de France, Festival Présences à
Radio-France, Cité de la Musique de Paris, Auditorium National de Madrid,
Gaudeamus Music Week d’Amsterdam, Festival Enescu à Bucarest, Salle Flagey à
Bruxelles, Biennale de Venise, etc. Les voici enfin dans un lieu fixe, le PIC
PIC : Pôle
Instrumental Contemporain
Ce PIC est donc à la fois
un lieu de création, de répétitions et de rassemblement d’artistes, siège de
l’équipe artistique et administrative. Mu par sa vocation de laboratoire de
création musicale et instrumentale, Télémaque a lancé une dynamique de
recherche et d’expérimentation pour les musiques d’aujourd’hui, à dimension
européenne, notamment avec l’ECO, l’European Contemporary Orchestra (on en reparlera) : le PIC accueillera
régulièrement en résidence compositeurs et ensembles, proposera
notamment des ateliers de direction d’orchestre, d'organologie, d’écoute
instrumentale et vocale ou encore des concerts en collèges.
Lieu
Dans ce quartier extrême
aujourd’hui, qui longe la plage de l’Estaque devenu charmant port de plaisance,
avec des sommets dominant la rade de Marseille, dont la beauté naturelle et
même industrielle fut magnifiée par les peintres d’abord néo-impressionnistes
puis les grands novateurs du XXe siècle, Cézanne, Braque, Derain,
Dufy, ayant sombré depuis dans une tiers-mondialisation, le PIC, avec l’autre
pôle culturel qu’est le vénérable cinéma Alhambra dans cet ancien quartier des
immigrés espagnols, apporte la chance d’un regain d’activité.
Au bout de la Montée Castejon bordée d’humbles maisonnettes fleurant
bon le village d’autrefois, le PIC vous accueille en sa brève terrasse ;
le bar cuisine précède la salle. Dans la salle, on est enveloppé d’une bonne
odeur de bois neuf, non de forêt, mais de longues lattes naturelles, brutes,
qui tapissent la grande scène et les murs latéraux, percés de vides noirs, qui
affectent la forme en triangulaire dents de scie des silhouettes des usines
d’autrefois ; sept rangées de gradins, avec, sous chacun, un espace grand
comme un casier, commode aux sacs et vêtements des possibles cent spectateurs.
Un lieu simple, chaleureux, propice à l’intimité de la création audacieuse et
amicale.
Corpus fictif, corps
concret
Le PIC s’inaugurait par
une création, un inclassable, inénarrable mais mémorable spectacle, Corpus
Fictif, un opus, un corpus
hétérogène et érogène de pièces très courtes, la plus longue, de Thierry
Machuel durant 7 minutes 13, un
patchwork et work in progress,
pour le dire en français, de brèves sections tirées du « théâtre musical »
des années 70-80 (Berio, Kagel, Aperghis), plus
trois hilarants morceaux de Max Lifchitz, liés, cousus, sans fil blanc mais de
main de maître, réglés au millimètre près par le metteur en scène Olivier
Pauls, qui avait déjà déréglé de
poilante façon Desperate
Singers et la même soprano Brigitte
Peyré, doublée ici, littéralement,
comme son ombre, par deux percussionnistes, Gisèle
David et Christian Bini, qui en dédoublaient comiquement la gestique et
troublaient la posture, et d’un admirable Gérard Occello qui en dédoublait ou prolongeait parfois le souffle,
à nous en laisser sans, trompette et chant en fondus finaux d’une précision
impressionnante, impeccablement en mesure, sans que l’on arrive à distinguer,
par la finesse de la finition, où finissait la voix et où commençait
l’instrument. Notamment dans le long récit de Machuel, Je resterai debout dans la lumière, le seul texte chanté, étrange récitatif, cantilène
à mi-voix avec quelques mots en relief par l’éclat d’un aigu et d’un forte,
relayés par la trompette, dans un grand éventail de nuances du pp au ff, et les gouttes de pluie d’un vibraphone.
Passé ce
moment statique et extatique, un solo de trompette comme un appel et, avec Honey de Lifchitz, la cantatrice revient égarée, hagarde,
hésitante, agissante et commence un spectacle qui défie la description, où,
selon les pièces qui s’enchaînent sans césure, Rrrr de Kagel,
la Sequenza de Berio sur laquelle plane l’ombre de Cathy Berberian, les
animaux et insectes irritants, horripilants, hilarants et désopilants, dont le vrombissement
vibrionnant du moustique, de Lifchitz et les verbales, vertigineuses et virtuoses Récitations d’Aperghis, séries de phonèmes qui composent où décomposent des phrases en
pyramides, tour à tour maîtresse d’école dictatoriale envers les trois
musiciens en écoliers, maîtresse amante en espoir frustré, ou diva hystérisée,
contrariée par la trompette, le crépitement perturbateur des percussions
intempestives, Brigitte Peyré,
occupe l’espace d’un corps qui est loin d’être fictif.
Pour l’allure, gestique mécanique, codifiée, structurée,
caricaturant à l’épure du ridicule la femme sensuelle en mal d’amour, diva
voluptueuse en transe transitoire d’orgasme gâché ; pour la figure,
grimaces, mimiques, visage parlant et, pour la voix, hoquets, marmonnements,
murmures véloces des phonèmes, des rimes, soprano déraillée, délirante,
hilarante dans une débauche d’onomatopées, claquements de langue, gloussements,
gargouillis de gargarismes, elle semble engloutir, déglutir, ingurgiter,
régurgiter des gags, gageure gagnée, avec une variété de sons et de mimiques
qui laisse pantois, pantelant, suffocant de rire et d’admiration devant cet
éventail insoupçonné de possibilités sonores à jet et jeu continu : c’est
une véritable partition doublant ou redoublant celle graphique des textes que
le metteur en scène Olivier Pauls
a écrite, pensant, dé/pensant cette dépense proliférante de signes
extravagants, exubérants, vaguant, divaguant, que Brigitte Peyré exécute avec la précision et la méticulosité maniaques
qui sont sa marque musicale, avec un naturel confondant d’actrice consommée à
consommer sans modération.
Corpus fictif (Thierry Machuel, Luciano Berio, Mauricio Kagel, Max
Lifchitz, Georges Apergis)
Concert scénique par
l’ensemble Télémaque
Tout public Durée 45 min
Trompette : Gérard
Occello ; Percussions :
Gisèle David et Christian Bini ; Soprano : Brigitte Peyré .
Direction : Raoul Lay.
Mise en scène : Olivier
Pauls ; Régie : Thomas Hennequin.
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