lundi, juillet 01, 2013

OPÉRA CONTEMPORAIN



A DEATH IN THE FAMILY
 Opéra en trois actes
d’après le roman éponyme de James Agee et la pièce All the way home de Tad Mosel
Livret et musique de William Mayer
Opéra-théâtre d’Avignon  
 Dimanche 9 juin, 17h00
Passionnante saison à l’Opéra-théâtre d’Avignon. Pour s’en tenir au lyrique, on a pu y entendre des jalons essentiels de l’histoire de l’opéra, du fondateur Orfeo de Monteverdi au XVIIe siècle au Wozzeck de Berg, à Jenufa de Janacék, La Voix humaine de Poulenc pour le XXe en passant par les classiques Barbier de Séville, Traviata, La Veuve joyeuse, et comme couronnement de la programmation, création de A Death In The Family, opéra de 1983, inconnu en France.

L’œuvre
Sous le titre de A Death In The Family les Américains connaissent surtout le roman (1958), de James Agee, scénariste du film devenu classique La Nuit du Chasseur, de Charles Laughton, avec Robert Mitchum dans le rôle d'un inquiétant pasteur aux pulsions criminelles et d'Africain Queen de John Huston entre autres.  Laissée en état de manuscrit par la mort brutale de l'auteur, la parution posthume du livre lui vaut le Prix Pulitzer et Tad Mosel, autre scénariste, en tira une pièce All the way home (1961), gratifiée de ce même prix. en tira une pièce l’œuvre a acquis un statut quasiment mythique. Le compositeur William Mayer, des deux œuvres, tira un livret pour en faire cet opéra créé en 1983, et connut un succès public et critique immédiat.
 Livret confus
Faute de connaître le roman, devenu mythique nous dit-on, et la pièce, force nous est de nous en tenir à ce qu'en dit l'abondant dossier de presse et du programme : roman largement autobiographique sur une famille du sud des États-Unis lors de la grande dépression, de la crise donc, confrontée à un décès dans la famille, celle du père. Cependant, force est aussi de constater que, pour maintenir l'intérêt du spectateur, le théâtre, l'opéra, qui en est une terrible condensation, nécessitent une exposition, un nœud de l'action, un conflit puissant et des péripéties qui maintiennent en haleine jusqu'au dénouement. Or, ici, nous avons d'emblée quatorze personnages sur scène apparemment sans grands problèmes, dont on ne devine pas très bien qui est qui, les interpellations par les prénoms n'étant parlantes sans doute que pour les Américains qui connaissent, on l'espère, l'arrière-fond du roman ou de la pièce. Leurs relations entre eux ne sont claires sauf, à l'évidence, que pour le père, l'enfant et la mère, d'autant qu'il semble que certains, adultes, jouent parfois des enfants… 

Les sous-titres calamiteux, bourrés d'incorrections et de fautes d'orthographe n'arrangent pas la compréhension. Car, pour ce qui est sujet, un décès dans une famille, s'il est un drame pour les parents, c'est malheureusement bien quotidien pour prétendre à la grandeur de la tragédie même que requiert l'opéra, d'autant que cette mort, par accident d'auto, bien annoncée par l'alcoolisme du conducteur, qui intervient à la fin de la seconde partie sur trois, au bout d'une heure quarante de musique sur un peu plus de deux, ne crée guère d'angoisse ni de suspense. Quant à l'exclusion, ce soit-disant problème racial dont on nous parle aussi dans les notes d'intention, il faut bien reconnaître qu'il nous demeure bien étranger : à part l'allusion au prénom de l'enfant et la cuisinière noire, on ne voit pas trop où il se situent. Bref, ici, nous n'avons pas le  background , le bagage culturel américain qui comblerait les vides du livret et identifierait pleinement les personnages, nous permettant d'apprécier les jeux et enjeux du texte : sans ce contexte, une tranche de vie naturaliste ne suffit pas à remplir une scène. Même Louise (1900)de Charpentier, « roman musical », modèle du genre réaliste, possède un conflit entre l'autorité parentale et le désir d'émancipation d'une jeune femme, entre deux classes sociales, qui fit juger l'œuvre scandaleuse. Ici, malheureusement, tout est statique, suite de scènes de genre dont l'intérêt dramatique n'est pas très sensible, à part un vague conflit entre la foi de l'épouse et l'athéisme du père.

Réalisation et interprétation
D'autant que la mise en scène, même très agréable à regarder de Róbert Alföldi, minimaliste et symbolique, crée un hiatus avec le naturalisme des situations, par la contradiction entre ce réalisme textuel et l'abstraction du traitement, réduisant le sentimentalisme du mélodrame à une sorte de brillante parade de personnages un moment masqués, dansant, jouant comme au train avec un entrain de comédie musicale et, facteur d'émotion essentiel, centre du jeu, l'enfant n'est qu'un pantin, une poupée passant de main en main, cantonné à une voix off. Les costumes de Gergely Zöldy Z sont contemporains, sa scénographie intéressante : un cube à diverses entrées, joliment diversifié par les lumières bleutées de Zsolt Burján, surmonté d'une passerelle ou galerie, tient lieu de maison dont les battants vides s'ouvrent et ferment mais avec une répétition un peu trop mécanique. Un autre cube intérieur tient lieu de mobilier à usages multiples.
Musique et chant
Il reste que la musique est passionnante : avec un substrat, on dirait mieux un terreau ou des racines américaines plongeant dans le folklore, le gospel, avec parfois des rythmes syncopés de ragtime, accents dansants de foxtrot, on l'entend à l'écoute de la musique de son temps, tonalités élargies, éclatées, tout en restant néanmoins très personnelle et très lyrique. Les chœurs récurrents à bouche fermée, rappelant Puccini, sont nostalgiques, très beaux. Quant aux chanteurs, quatorze sur scène, ils ont une cohésion de troupe aguerrie et tous sont remarquables vocalement et scéniquement, bons acteurs et même danseurs. C'est l'efficience américaine fondée sur le travail le plus rigoureux. On ne peut citer que ceux qui sont identifiables par les rôles importants : Philippe Brocard, baryton français, admirable d'émotion paternelle ; Adrienn Miksch, est fragile et touchante en Mary, sa femme ; Gabriel Manro est un Père pasteur et un grand-père imposant et Joshua Jeremiah, un frère et beau-frère très séduisant ; en quelques répliques très gospel, Judith Skinner, en cuisinière noire, se taille un succès mais toute la troupe, répétons-le, est admirable.Il faut reconnaît que la direction musicale de Sara Jobin à la tête de l'admirable Orchestre Symphonique de Szeged, en Hongrie, est exemplaire de maîtrise et de rigueur, sans brider l'essentielle émotivité lyrique de cette musique.

On peut regretter que ce remarquable spectacle du Centre d'opéra contemporain de New York, qui a remporté le Prix de la meilleure production de la Armel Competition and Festival/Arte 2012, n'ait été donné qu'un dimanche après-midi, et à 17 heures. Mais enfin, c'est déjà heureux qu'un opéra ait osé le programmer.

Opéra-théâtre d'Avignon 9 juin
A Death in the family de William Mayer
Orchestre Symphonique de Szeged, direction musicale de Sara Jobin 
Mise en scène : Róbert Alföldi ; décors et costumes : Gergely Zöldy Z
Avec : Adrienn Miksch ; Jami Leonard ; Vira Slywotsky ; Nora Graham-Smith  ; Sarah Miller ; Brooke Larimer ; Deborah Lifton ; Judith Skinner .
Philippe Brocard ; Oliver Holmes ; Gabriel Manro ; Todd Wilander ; David Neal ; Joshua Jeremiah ; David Gordon ; Aaron Theno.

Photos :
1. Une mère pieuse (Adrienn Miksch) ;
2. Un père identifiable (Philippe Brocard) mais une famille masquée ;
3. Tendresse du père berçant la poupée… ;
4. Un adulte figurant un enfant avec sa nourrice (Judith Skinner).


 




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