MARSEILLE-PROVENCE CAPITALE DE LA CULTURE
2013
Encore une fois sans l’erratique label MP13 dispensé ou concédé
on ne sait trop comment, mais soutenu par l’association Beaumarchais – SACD, une remarquable
création musicale de Lionel Ginoux. Dans le cadre des riches Musiques 2013, un festival éclaté du GMEM-CNCM-Marseille, dans un lieu
très ouvert à la création et librement au public, les Archives et Bibliothèque
Départementale Gaston Defferre, cette œuvre ambitieuse d’un jeune compositeur
local honorait encore la créativité musicale bouillonnante d’une ville qui ne
se réduit pas à l’éphémère annale 2013.
MÉDÉE KALI
Opéra de chambre de Lionel Ginoux
d'après la pièce Médée Kali de Laurent Gaudé
Le
compositeur
Jeune, actif, Lionel
Ginoux possède déjà un catalogue important d’œuvres musicales qui embrassent un
grand éventail de genres : pièces pour orchestre symphonique, chœur,
opéra, musique de chambre et musique lyrique. Son style, d’une grande pregnance
rythmique, très syncrétique, accueille et recueille un large spectre des
musiques du XXe siècle, dont le jazz, bien sûr. Sa musique et déjà
bien reconnue en France, interprétée en divers lieux importants (Festival Les Musiques 2005/Festival
Convergences 2010, GMEM, Opéra Comique, Festival de Turriers, Festival de
Chaillol, Opéra de Marseille, Opéra d’Avignon) ainsi qu’à l’étranger (Festival
Gaudeamus Music Week, Hollande, International Saxophone Symposium, Etats Unis).
On ne peut que regretter que MP13 l’ait ignoré. Ici même, j’avais parlé de son
cycle de mélodies pour soprano et piano (2010) Un brasier d’étoile sur des poèmes poèmes d’Alain Borne (voir dans ce
blog, libellé « récital »,
lundi, janvier 09, 2012).
L’œuvre et
l’interprétation
D’une durée d’une heure et quart, Médée Kali est présenté comme "un opéra de chambre" pour soprano, saxophone, alto, violoncelle, piano et sons fixés sur bande
magnétique. Les sons enregistrés, bruits, monologue parlé, brefs dialogues des enfants, causent un mélange
habile de déplacements de l’attention auditive par la diversification des
sources sonores, mais sans nulle solution de continuité, dans un flux continu
très dominé. Mais, avec un seul
personnage, les enfants étant cantonnés à un enregistrement de quelques phrases sur bande, sans vraie action dramatique qui exige exposition, nœud de
l’intrigue, péripéties et dénouement, plus que l’opéra de chambre annoncé, il s’agit
d’une grande cantate ou d’une scène lyrique moderne comme Erwartung de Schönberg monodrame pour soprano solo mais deux fois
plus longue ou, quelquefois, cette déclamation française rappelle le Satie de La
Mort de Socrate, sans qu’on puisse
assigner des repères stylistiques précis à cette œuvre personnelle.
La trame en est relativement mince, narrative, la narration
s’opposant à l’action dynamique, est forcément statique, malgré l’évocation des voyages et
paysages de Médée
l’infanticide, originaire non ici de la vénéneuse Colchide du mythe mais de
l’Inde où elle voudrait ramener les corps de ses fils assassinés pour les y
inhumer (l’auteur du texte oublie que les Grecs n’enterraient pas les morts mais
procédaient rituellement à leur crémation, tout comme les Indiens du Gange évoqué). Elle est
suivie d’un inconnu dont la présence et la beauté l’agréent, sans doute Persée,
tueur de Méduse et sauveur d’Andromède. Elle est ici explicitement associée par
le titre à la sinistre et féroce déesse hindouiste de la mort, la sanglante
Kali, mère destructrice et créatrice.
Sur ce long texte, Ginoux a bâti une vaste
partition sur mesure pour la grande voix dorée, au médium fruité et feutré, de Bénédicte
Roussenq, soprano
radieux, éclatant dans les aigus pleins, large volume, tessiture longue, égale.
Cependant, le compositeur ne concède nulle facilité à son interprète :
médium très sollicité, sauts impressionnants du grave à l’aigu, un parlando a
cappella, voix nue, mais lui ménageant prudemment des passages parlés
enregistrés et les rares paroles des enfants qui lui permettent un peu de
souffler dans cette déclamation dramatique longue et souvent tendue. Les
qualités expressives de Roussenq, son art des couleurs, son sens dramatique
puissant, servent texte et musique avec une grandeur héroïque et des nuances
remarquables.
Avec pour base et basse souvent le piano tout aussi
puissant et nuancé de Marion Liotard, qui mène le jeu et conduit l’ensemble avec une
rigoureuse attention et une souplesse de chef de chant, tout en les concertant
parfaitement, Ginoux traite chaque instrumentiste en soliste avec des parties
virtuoses pour chacun mais, sur le nappage des cordes, soudain bruissantes et
vibrionnantes de l’alto (Laurent
Camatte) et vibrantes du violoncelle
(Adeline Lecce), le saxophone de Joël
Versavaud, soupire, sanglote
parfois, se déchire de stridences, devient comme l’écho souffrant de la voix de
Médée ou, soudain, le prolongement confidentiel de son souffle. Les sons
enregistrées, des timbales mystérieuses, des frottements, écoulement de l'eau, les minuscules voix
d’enfants, amplifiées, venues de loin, auréolent l’ensemble de timbres d’un
charme étrange venu d’ailleurs.
15 mai
Archives et
Bibliothèque Départementale Gaston Defferre (Marseille)
Médée Kali, opéra de chambre de Lionel Ginoux,
Bénédicte Roussenq, soprano,
Joël Versavaud, saxophone, Laurent Camatte, alto, Adeline Lecce, violoncelle, Marion Liotard, piano.
Photos :
1. Kali terrassant
Shiva ;
2. De gauche à droite :
Laurent Camatte, Marion Liotard, Joël Versavaud, Bénédicte Roussenq, Adeline
Lecce, Lionel Ginoux ;
3. L’ensemble avec les
enfants, Lionel Ginoux à droite.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire