LA ZARZUELA
Signalons un sympathique concert d’airs de zarzuelas, l’opéra et l’opérette espagnols, par
quatre chanteurs amateurs mais
très talentueux, avec les soprani Christelle Simiac,
Nelly Rajaonarivelo, le ténor Richard Filippini et le baryton Dominique Denis, accompagnés par la pianiste virtuose Laurence Beyer.
Samedi 2 février 2013 à 20h30, Musée des
Tapisseries, Place de l'Archevêché,
Aix-en-Provence. entrée: 10 €. Réservations : 06 31 95 19 37
À l’occasion
de ce récital, je reprends ici partie des trois émissions que je
consacrai, sur les ondes de Radio Dialogue en novembre 2012 à la zarzuela, genre
lyrique typiquement espagnol qui mêle parole et chant, genre qui embrasse un répertoire
très vaste qui va de l’opéra baroque puis romantique à l’opérette.
Zarzuela
Ce terme, il ne faut pas s’y tromper, désigne aussi un plat qui mêle
poissons et fruits de mer liés par une sauce. Ce mot dérive de zarza (qui signifie ronce), donc, zarzuela est un lieu envahi par les ronces, une ronceraie. Ce
nom fut donné au Palais de la Zarzuela, résidence champêtre d’abord princière
puis royale (c’est la résidence actuelle du roi Juan Carlos et de sa famille),
aux environs de Madrid.
Au XVIIe siècle
Le roi Philippe IV, qui avait fui l’Escorial austère de son aïeul
Philippe II, et habitait un palais à Madrid, venait s’y délasser avec sa cour,
chasser et, disons-le, faire la fête, donner des fêtes somptueuses, des pièces
de théâtre agrémentées de plus en plus de musique, qu’on appellera « Fiestas
de la zarzuela », puis, tout simplement « zarzuela » pour
simplifier. C’est pratiquement, d’abord, un opéra baroque à machines, d’inspiration
italienne mais entièrement chanté
es espagnol ou, plus tard, avec des passages parlés à la place des récitatifs.
En France, il faudra attendre 1671 pour le premier opéra français,
la Pomone, de Robert Cambert,
livret de l’abbé Pierre Perrin. En Espagne, environ cinquante ans plus tôt, en
1627, une de ces fêtes musicales de la zarzuela est, en fait, un véritable opéra
à l’italienne. Bien sûr, on ne l’appelle pas « opéra » puisque ce mot
tardif, italien, ne signifie simplement ‘œuvre’, les ouvrages lyriques de cette
époque n’étant appelés que dramma per musica, ‘drame en musique’, Monteverdi n’appelant son Orfeo que ‘favola in musica’, fable en musique. En
Espagne, on l’appellera donc zarzuela. C’est La selva sin amor, ‘La forêt sans
amour’, avec pour librettiste rien de moins que le fameux Lope de Vega, pour lors
le plus grand dramaturge espagnol, qui serait auteur de plusieurs milliers de
pièces de théâtre. La musique de Filippo Piccinini, italien établi à la cour d’Espagne,
est malheureusement perdue. La mise en scène, fastueuse, extraordinaire, du
grand ingénieur et peintre florentin Cosimo Lotti frappa les esprits et on en a
des descriptions émerveillées. La zarzuela
est donc, d’abord, le nom de l’opéra baroque espagnol aristocratique, fastueux.
Au
XVIIIe siècle
On
appelle toujours zarzuela une œuvre lyrique baroque à l’italienne, parlée et
chantée, parallèlement au nouveau terme « opéra » qui s’impose pour
le genre entièrement chanté, qui mêle cependant, à différence de l’opera
seria italien, le comique et le
tragique. Cependant, l’évolution du goût fait qu’il y a une lassitude pour les
sujets mythologiques ou de l’histoire antique qui faisaient le fonds de l’opéra
baroque.
L’Espagne avait une tradition ancienne d’intermèdes comiques, deux
saynètes musicales insérées entre les trois actes d’une pièce de théâtre, la comedia (dont la réunion des deux en un seul sujet donnera à
Naples l’opera buffa). Au XVIIIe,
ces intermèdes deviendront de brèves tonadillas populaires qui alternent danses et chant typiques ;
étoffées, elles s’appelleront plus tard encore zarzuelas, avec des sujets de plus en plus populaires, puis
nettement inspirées des coutumes et de la culture du peuples.
XIX e
siècle
Du XIX e
au XX e siècle, ce nom de zarzuela désigne définitivement une œuvre
lyrique et parlée qui, donc, peut aller de l’opéra à l’opérette, dramatique ou
comique. Les compositeurs tels que Francisco Barbieri, ou encore Tomás Bretón en ont illustré un versant pittoresque comique,
typiquement espagnol. C’est souvent, pour la zarzuela grande, un véritable opéra (Manuel de Falla appellera d’abord
« zarzuela » son opéra La Vida breve (1913). Mais la plupart mêlent toujours, par tradition, le parlé et le
chanté.
L’opéra-comique c’est, un opéra qui est « comique », non
parce qu’il fait rire, mais, comme le dit le dictionnaire de Littré au premier sens du mot, « Qui appartient à la
comédie », bref au théâtre. Donc, un opéra-comique est un opéra qui admet
des passages parlés, comme la zarzuela qui l’a précédé de beaucoup. À Paris, le
théâtre de l’Opéra-Comique était le lieu consacré,
au XIXe siècle, à ce genre d’ouvrage. Il faut le rappeler, Carmen n’est pas un opéra pur mais un opéra-comique
puisqu’il y a des passages parlé. Ce genre de l’opéra-comique, en France, naît
dans le milieu du XVIIIe siècle. Mais en Espagne, il apparaît un siècle
et demi auparavant. C’est justement ce qu’on nomme zarzuela, même si les sujets en sont très différents.
Le XIXe siècle sera l’âge d’or de la zarzuela. Mais qui
subit la concurrence de l’opéra italien qui règne en Europe avec Rossini,
Bellini, Donizetti et bientôt Verdi. Vers le milieu du siècle, un groupe d’écrivains
et de compositeurs rassemblés autour de Francisco Asenjo Barbieri (1823–1894), grand compositeur et maître à penser
musical de l’école nationale renoue et rénove le genre, lui redonne des lettres
de noblesse dans l’intention d’affranchir la musique espagnole de l’invasion de
l’opéra italien. L’éventail des sujets est très grand, du drame historique à la
légère comédie de mœurs. Mais toute l’Espagne et ses provinces est présente
dans sa variété musicale de rythmes vocaux et de danses. Madrid devient le centre privilégié de la zarzuela urbaine,
avec ses madrilènes du menu peuple, leur accent, ses fêtes, ses disputes de
voisinage.
Zarzuela et nationalisme
C’était l’une des conséquences des guerres napoléoniennes qui ont
ravagé l’Europe, de l’Espagne à la Russie, le nationalisme commence à faire des
ravages : le passage des troupes françaises a éveillé une conscience
nationale, pour le meilleur quand il s’agit d’art, et, plus tard, pour le pire.
Pour le moment, il ne s’agit que de musique dont on dit qu’elle adoucit les mœurs.
Partout, d’autant que les gens ne comprennent pas forcément l’italien, langue
lyrique obligatoire, il y a des tentatives d’opéra national en langue
autochtone, même si les opéras italiens se donnent en traduction.
Des expériences naissent un peu partout, en Allemagne avec Weber et
son Freischütz (1821), premier opéra
romantique, en langue allemande (avec des passages parlés comme dans les singpiele de Mozart, L’Enlèvement au sérail, La Flûte enchantée), suivi de Wagner. La
France a sa propre production lyrique. Mais jugeons de la vanité des
nationalismes : l’opéra à la française a été créé pour Louis XIV (fils d’une
Espagnole, petit-fils d’Henri IV le Navarrais, qui descend d’un roi maure
espagnol) par le Florentin Lully. C’est Gluck, Autrichien, maître de musique de
Marie-Antoinette, qui recrée la tragédie lyrique à la française dans cette
tradition ; c’est Meyerbeer, Allemand, qui donne le modèle du grand opéra
historique à la française ; ce sera Offenbach, juif allemand qui portera
au sommet l’opérette française, et l’opéra le plus joué dans le monde, dû à
Bizet, c’est Carmen, sur un sujet
et des thèmes espagnols. Fort heureusement, l’art, la musique ne connaissent
pas de frontière et se nourrit d’un bien où on le trouve comme dirait Molière.
L’Espagne
Dans ce contexte européen, l’Espagne est plus mal lotie. Elle est
plongée dans le marasme de la décolonisation, résultat des guerres napoléoniennes
et de la Révolution française, car les colonies refusent de reconnaître pour
roi Joseph Bonaparte imposé en Espagne. Il en sera chassé après une terrible
Guerre d’Indépendance qui sonne le glas de l’Empire de Napoléon :
rappelons non pas les heureuses peintures de Goya des temps de la tonadilla, mais ses sombres tableaux sur la guerre, ses
massacres, ses gravures sur les malheurs de la guerre. En dix ans, entre 1810
et 1820, l’Espagne perd le Mexique, l’Amérique centrale et l’Amérique du sud
dont elle tirait d’énormes richesses. Elle ne garde que Cuba, Porto-Rico et les
Philippines, qui, à leur tour, s’émanciperont en 1898, année qui marque la fin
d’un Empire espagnol de plus de trois siècle.
Et paradoxalement, ces années 1890 sont l’apogée de la zarzuela,
avec le género chico (‘le petit
genre’), en un acte, qui connaît un essor sans précédent,
indifférente aux aléas de l’Histoire
contemporaine, chantant les valeurs traditionnelles d’une Espagne qui continue à
se croire éternelle avec ses valeurs, courage, héroïsme, honneur, amour,
religion, patrie, etc, tous les clichés d’un nationalisme d’autant plus
ombrageux qu’il n’a plus l’ombre d’une réalité solide dans un pays paupérisé
par la perte des colonies et les guerres civiles, les guerres carlistes qui se
succèdent, trois en un siècle entre libéraux et absolutistes, la terrible
Guerre de 1936, en étant qu’une suite en plein XX e siècle.
La zarzuela devient une sorte d’hymne d’exaltation patriotique, de
nationalisme auto-satisfait où l’espagnolisme frise parfois l’espagnolade. Cela
explique que le franquisme, isolé culturellement du monde, tourné vers le passé,
cultiva avec dévotion la zarzuela, la favorisa de même qu’un type de chanson « aflamencada »,
inspirée du flamenco, comme une sorte de retour aux valeurs traditionnelles d’une
Espagne le dos tourné à la modernité. Après un rejet de la zarzuela, et du
flamenco, récupérés et identifiés à l’identité franquiste, il y a un retour
populaire apaisé vers ces genres typiques, d’autant qu’ils avaient toujours été
défendus et cultivés, sur les scènes mondiales par tous les plus grands interprètes
lyriques espagnols, de Victoria de los Angéles à Alfredo Kraus, de Teresa
Berganza à Plácido Domingo, de Caballé a Carreras, chanteurs dans toutes les mémoires,
et de María Bayo à Rolando Villazón. Domingo par ailleurs, né de parents
chanteurs de zarzuelas, a imposée la zarzuela comme genre lyrique dans le
fameux concours qui porte son nom.
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