MIREILLE (1864)
livret de Michel Carré d’après Frédéric Mistral,
musique de Charles Gounod
Théâtre de verdure de Gémenos,
5 août 2012
Notre région est fortunée pour ses festivals d’été en plein
air : à côté des grandes scènes comme Orange, Vaison-la-Romaine dans de
grandioses monuments antiques, nous avons la chance d’autres théâtres sous les
étoiles. S’ils n’ont pas leur antiquité, ils en affectent au moins la tournure
avec leurs gradins qui semblent immémoriaux dans des cadres de verdure que
n’auraient pas dédaigné les Anciens. Ainsi le théâtre Silvain de Marseille,
celui du Lavandou, de Châteauvallon, nichés dans des creux de vallons
délicieusement verts. Celui de Gémenos, de trois milles places, sous l’égide
d’un infatigable Norbert Dol et
des Voix du lyrique, voyait la
naissance d’un nouveau Festival, bien nommé, pour ce lieu : « Opéra
côté jardin », avec Mireille.
Les cigales chantent encore dans ce creux de verdure escarpé quelques
chênes, des pins perchés gribouillés sur les hauteurs, découpés, à l’ouest, en
ombres chinoises, sur les rougeurs d’un couchant qui rosit, bleuit, s’éteint
quand la scène s’allume.
L’œuvre
La noirceur du soleil du midi. Histoire sombre sous les riantes
couleurs provençales.
La pauvre Mireille
pâtit d’un préjugé : œuvre d’un Parisien, Provençal de passage, touriste
superficiel, qui fait parler en français les Provençaux : « Ah, c’Vincent! »
dans la bouche de Mireille ne fait pas très arlésien du cru, à moins que cette
demoiselle bien n’ait reçu une éducation bourgeoise à la parigote, dédaigneuse
du parler local. Mais que dira-t-on de cette Plus belle la vie aux accents imperturbablement incolores, inodores,
sans saveur locale ? Si Gounod utilise des rythmes locaux (dont la
farandoles), il n’use pas beaucoup de motifs folkloriques. Mais sa richesse
mélodique est telle que nombre de ses airs sont pratiquement devenus
folkloriques. Il prit au moins la peine de s’installer à Saint-Rémy, d’y passer
trois mois auprès de Mistral lui-même, pour trouver l’inspiration locale, sinon
de la musique, de l’œuvre.
Ceci dit, la Provence de cette Mireille (1864) n’est pas plus artificielle que la langue
provençale, géniale mais artificiellement recrée par Mistral pour sa Mirèio (1859), le vrai provençal étant depuis belle lurette
rétréci en patois par l’hégémonie impitoyable du français, ce que le poète
reconnaît lui-même dès le début en avouant son dessein de dignifier cette «
langue méprisée », en l’adressant aux Provençaux :
« Car nous ne chantons que pour vous,
Ô pâtres et habitants des mas. »
On aurait donc tort d’être plus exigeant que Mistral lui-même qui
adouba l’opéra tiré de son œuvre. Ceci dit, Madame Mistral fit mettre l’opéra
en provençal en 1914 (fatale année des nationalismes meurtriers) qui eut un grand
succès à Marseille et dont un disque (piano) existe… en Australie.
Réalisation
Avec plus de soixante et dix artistes artistes, orchestre et chœur
de la région Paca, cette Mireille
était si provençale, ou plutôt si bien méditerranéenne, que, peut-être,
était-il inutile d’insister à l’excès sur son « provençalisme » comme
le présentateur qui, s’il amenait bien effectivement et affectivement l’action
de chaque acte, enfilait trop de clichés gênants pour caresser la fibre
régionale : à cultiver le local, on brouille l’universel, on se brouille
avec lui. Cette histoire d’amour contrarié par la différence sociale est
universelle et l’habillage provençal de Mistral et de Gounod, qui se suffit
largement à lui-même, s’il dans est dans l’air (et des airs) du temps de retour
folklorisant, reste intemporelle. Mistral était, malheureusement, nationaliste.
Mais, fort heureusement, la culture n’a pas de patrie et personne ne reproche à
Alphonse Daudet, plus Parisien que Nîmois, ses délicieuses Lettres d’un moulin plus rêvé que vécu. Donc, inutile d’en
rajouter.
La réussite d’un projet se mesure à la hauteur de ses ambitions et
de ses moyens. Ici, ambition la plus haute pour moyens les plus bas. Aussi ne
s’arrêtera-t-on pas à la sensible faiblesse scénique qui pâtit à l’évidence
d’un manque de répétitions pour ces chœurs si nombreux et trop statiques,
parfois incertains aux attaques (surtout les hommes), cet éclairage fixe et ce
spot cherchant les personnages sur scène. Un puits, des bottes de foin, une
roue, une échelle étaient des signes minimalistes qui rendaient superflues ces
haies artificielles et cyprès en pots. Les beaux costumes provençaux
traditionnels, femmes en bonnet, fichu, tablier sur jupes en cretonne safran,
vert olive, moutarde, rouge foncé, indiennes provençales, étaient largement
suffisants pour meubler et rendre significatif ce très grand espace. La robe
arlésienne sobre de Mireille, noire, avec jabot foisonnant d’écumeuse dentelle
blanche, marquait bien la différence de classe, d’éducation : la distinction
bourgeoise des possédants, incarnée par le père, riche propriétaire terrien,
avec sa canne, menaçant symbole patriarcal du pouvoir. Les hommes, dont
Vincent, en noir, gilet sur chemise blanche ouverte et taillole rouge, espadrilles, étaient
aussi bien croqués.
Les personnages sont quelque peu livrés à eux-mêmes mais, comme ils
ont tous une vraie trempe d’acteur couronnant un tempérament vocal expressif,
cela était bien suffisant dramatiquement : trop de remplissage montre trop
le vide des moyens. Sans doute faudrait-il avoir le courage, ici comme dans
d’autres théâtres, d’alléger, sinon couper, les périlleuses scènes fantastiques
du Val d’Enfer et dévotement cucul des Saintes : les jouer à la lettre
n’en fait que souligner le côté kitsch qui prête aujourd’hui plus à sourire qu’à
frémir et pleurer. Bref, difficiles à manier, tous ces encombrants moyens
soulignent plus qu’ils ne masquent l’absence de moyens.
Interprétation
Il est vrai que le Val
d’Enfer offre au baryton Norbert Dol, campant un Ourrias frémissant de rage et d’orgueil dans un premier air
qui semble entre les arie de
fureurs de Händel et celle du futur Alfio charretier de Cavalleria rusticana, l’occasion de faire éclater la beauté d’un timbre
plein, au tissu uni, égal en volume, d’une voix puissante, chaleureuse, et d’un
sens dramatique très convainquant, passant de la haine irrépressible à des
remords aussi violents que son humeur. Le Passeur, Patrick Sabatier, se tire ensuite d’un mauvais pas, d’un passage mal
assuré. En Ramon, père intransigeant et propriétaire arrogant, Franck
Martinelli a un timbre coloré,
sombre, mais trop couverte, la voix semble tubée et engorgée et l’élocution en
pâtit alors qu’on admire l’excellente diction générale. On regrette, aux
simples répliques que lui confie l’œuvre, que l’Ambroise de Frédéric Leroy, soit un rôle aussi court : sa voix est ample,
profonde, un vrai père noble au sens plein du mot face à l’arrogant père
possessif et possédant.
En Clémence et la redoutable « Voix d’en haut » finale, Gaël
Comte déploie un joli timbre
cristallin tandis que Pascale Barret est une Vincenette et un pâtre à l’émission aisée, large, chaude. La
Taven de Rosemonde Bruno, un peu
desservie dans ses graves profonds par l’espace et l’acoustique, est dotée d’un
timbre riche, raffiné pour la sorcière mais on pouvait justement jouer sur ce
contraste intéressant.
Enfin le couple de héros malheureux, même dans cet espace un peu
écrasant, semble idéal dans le rapport des physiques et des voix lumineuses,
méditerranéennes. Ils sont jeunes, beaux, crédibles. Bruno Comparetti, bien connu à l’Opéra de Marseille, est un Vincent
viril, affrontant ses aigus sans faille avec franchise et fougue comme il fait
front à son adversaire, avec une juvénile vaillance. À ses côtés, dans le rôle
titre écrasant qui semble écrit pour deux voix de soprano différentes, lyrique
et vocalisante dans les premiers actes, dramatique dans le dernier, Flora
Fernández est une révélation. On est habitué, pour ce rôle, à des voix plus corsées mais elle s’en tire parfaitement bien par le jeu et une
technique remarquable : souple et légère dans la joie, déjà dramatique
dans « Trahir Vincent… », avec cette cadence époustouflante, elle
réussit à bouleverser vocalement et scéniquement dans son grand air de l’acte
IV aux aigus redoutables construits sur un solide médium assis sur un grave
consistant, sans jamais déchirer la souplesse irisée du satin de sa voix.
De Cédric Clef, à la
tête de son Azur Symphonic Orchestra (pourquoi en anglais ?), on pourrait dire qu’il est la clé du
succès, même si, peu éclairé et en noir, il brouille à certains moments la
perception un peu flottante des chœurs. Dès l’ouverture, sa battue géométrique
est entraînante, joyeuse, tirée nettement vers la marche un peu martiale avec
un appui, peut-être trop appuyé, des cuivres et percussions de musique de plein
air. Mais on y retrouve une gaîté de musique du dimanche, de fête, que, bien
pensé, ne devrait jamais perdre toute musique pour sérieuse qu’elle se croie,
retrouvant ainsi un rôle festif de célébration populaire en communauté. C’est
un rythme vif, plein d’alacrité, qui rajeunit en somme cette musique jaunie
trop souvent par une sacralité compassée excessive. On est ravi de la finesse
de la scène du pâtre et de Mireille enfermée. Il nous fait retrouver, avec
bonheur la veine mélodique inépuisable de Gounod, qui allie science musicale et
inspiration populaire avec bonheur.
Un coup d’essai d’un festival tout nouveau qui, avec de l’aide,
pourrait être un joli coup de maître.
Organisateur : Association culturelle "Les Voix du lyrique" www.lesvoixdulyrique.com
Organisateur : Association culturelle "Les Voix du lyrique" www.lesvoixdulyrique.com
Mireille de Gounod
Azur Symphonic Orchestra et
chœurs de la région P.A.C.A.
Direction Musicale :
Cédric Clef ; mise en
scène : Claudine Garcia ;
Technique et lumière :
Pierre Garcia.
Distribution :
Mireille : Flora
Fernández ; Taven : Rosemonde Bruno ; Vincenette/Andreloun : Pascale
Barret ; Clémence/une voix : Gaëlle Comte ; Vincent : Bruno
Comparetti ; Ourrias : Norbert Dol ; Ramon : Franck Martinelli ;
Ambroise : Frederic Leroy Le passeur/un Arlésien : Patrick Sabatier.
Dimanche 5 Août 2012 au
Théâtre de Verdure de Gémenos, 20H45.
Jeudi 09 Août 2012 au
Château Margillière à Brignoles.
Horaires : 20h45 ou dès
19h45 : dégustation des vins du domaine sera offert. Lundi 13 août au Lavandou,
20h45.
Photos :
1. Affiche ;
2. Théâtre de verdure de Gémenos.
Autres photos : Christian Dresse :
1. Mireille (Flora Fernández) ;
2. Vincent (Bruno Comparetti) ;
3. Ramon, Mireille, Vincenette, Ambroise, Vincent (Martinelli, Fernández, Barret, Leroy, Comparetti) ;
3. Ramon, Mireille, Vincenette, Ambroise, Vincent (Martinelli, Fernández, Barret, Leroy, Comparetti) ;
4.Ourrias (Norbert Dol) ;
5. Les amants malheureux;
6. Scène finale.
j'apprécie votre article et je vous propose de rajouter le site Officiel de l'association ' Les Voix du Lyrique ' auteur du festival Opéra Coté Jardin .
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