IL TROVATORE
Opéra en 4 actes de Giuseppe Verdi (1853),
Livret de Salvatore Cammarano, d’après le drame
espagnol
d'Antonio García Gutiérrez (1836)
Opéra de Marseille,
2 mai 2012
L’œuvre : fausse
légende de sa confusion
Verdi a dévoré avec passion, en langue originale, le drame El
trovador, du dramaturge Antonio
García Gutiérrez (né la même année
que lui : 1813-1884), créé triomphalement à Madrid en 1836 et qui lance au
firmament du théâtre ce jeune homme inconnu jusque-là. Il tirera encore un
opéra d’une autre pièce du même, Simon Boccanegra (1857) et, plus tard, La Forza del destino (1862)
de Duque de Rivas, autre drame marquant du théâtre romantique espagnol. Comme avec Victor Hugo (Rigoletto), Alexandre Dumas fils (Traviata) ou Shakespeare (Macbeth, Otello et Falstaf), l’avisé compositeur au sens dramatique aigu, ne prend ses sujets que dans des pièces à succès et il est absurde d’imaginer une erreur de jugement ou de goût dramatique dans le choix du Trovador/ Trovatore (en réalité ‘troubadour’ et non « trouvère » selon l’impropriété traditionnelle du titre français) pour accréditer le foisonnement compliqué d’une pièce qui ne l’est guère plus que le théâtre goûté à cette époque.
de Duque de Rivas, autre drame marquant du théâtre romantique espagnol. Comme avec Victor Hugo (Rigoletto), Alexandre Dumas fils (Traviata) ou Shakespeare (Macbeth, Otello et Falstaf), l’avisé compositeur au sens dramatique aigu, ne prend ses sujets que dans des pièces à succès et il est absurde d’imaginer une erreur de jugement ou de goût dramatique dans le choix du Trovador/ Trovatore (en réalité ‘troubadour’ et non « trouvère » selon l’impropriété traditionnelle du titre français) pour accréditer le foisonnement compliqué d’une pièce qui ne l’est guère plus que le théâtre goûté à cette époque.
Verdi s’enthousiasme pour le sujet médiéval, les passions
affrontées, ce conflit amoureux (entre le Comte de Luna et Manrico le
« trouvère » bohémien apparemment, amoureux de Leonora, amoureuse de
ce dernier), qui redouble le conflit politique, situé dans l’Aragon du XVe
siècle, déchiré en guerres civiles. Dans la pièce, par ailleurs, s’ajoute le
conflit de classe entre des Bohémiens, dans le camp des rebelles, et celui des
nobles légitimistes et le désir de vengeance de la Bohémienne Azucena dont la
mère a été injustement brûlée vive. Quant à Léonore, éprise du fils d’une
bohémienne, elle trahit sa classe et prend parti pour les rebelles.
Certes, les
simplifications du librettiste Cammarano, qui meurt d’ailleurs sans terminer le
livret, obligées par la nécessaire condensation qu’exige la musique, réduisent
de beaucoup la complexité psychologique et dramatique de l’œuvre originale. Par
ailleurs, comme dans le théâtre classique et ses règles de bienséance, le
librettiste confie à deux grands récits (de Ferrando et d'Azucena) certains
événements passés essentiels à la compréhension du drame présent qui déterminent
l’action, le jeu et ses enjeux,
sans compter des ellipses temporelles de faits passés
en coulisses (la prise de Castellor), dites en passant, qui dans la complexité du
chant, rendent difficile en apparence la linéarité de l’intrigue. Dans la
tradition baroque le récit, le récitatif qui explicite la trame du drame sur un
accompagnement minimal secco ou obligato, avec simplement un clavecin ou un minimum
orchestral, permettait de suivre parfaitement l’action, traitée ensuite en ses
effets et affects par les arias les plus complexes. Le problème, ici, c’est que
Verdi, confie ces narrations essentielles qui exposent le nœud de l’action à
des airs compliqués de vocalises qui en rendent confuse l’intellection, ainsi l’essentiel
récit de Ferrando en ouverture, orné d’appogiatures (notes d’appui) haletant,
haché de soupirs (brefs silences entre les notes), tout frissonnant de quartolets
(quatre notes par temps).
Expressivité musicale extraordinaire qui joue contre
le sémantisme ordinaire du récit d’exposition. Défauts du livret, donc,
compliqués par un chant lyrique, où librettiste et compositeur ont leur
part mais que la musique sublime transcende largement et que les surtitres
aujourd’hui permettent largement de dépasser pour peu qu’on y veuille prêter attention.
On met au défi le spectateur de comprendre Rodogune de Corneille, Britannicus de Racine, s’il n’a pas compris les immenses tirades
historiques, précises ou allusives, bourrées de noms propres, du premier acte
d’exposition.
La réalisation
Certes, Charles Roubaud qui la signe a trop de culture pour ne pas pouvoir argumenter son choix : il transpose l’histoire du XVe siècle et des guerres civiles en Aragon au XIXe et les guerres carlistes en Espagne, dont la première éclate justement (1833 / 1846) à l’époque de El trovador, même si par les magnifiques costumes de Katia Duflot nous sommes plus à l’époque de la création de l’opéra qu'à celle du drame original. Cependant, étant donné l’évacuation du politique de la pièce dans l’opéra de Cammarano qui n’en garde qu’une histoire d’amour contrarié et une vengeance, si l’on peut accepter dans une Antiquité mythique ou un Moyen-Âge légendaire des récits fabuleux, cette histoire de sorcellerie, de bûcher, de substitution d’enfant, trop rapprochée chronologiquement de nous, même dans une Espagne livrée aux dissensions civiles, l’éloigne irrémédiablement dans l’invraisemblance absolue et montre, sous le bel apparat de ces décors (Jean-Noël Lavesvre ), ces sombres lumières de rêve ou de cauchemar (Marc Delamézière) un appareil luxueux de vaine décoration plus que de signification profonde.
Tant qu’à moderniser à tout prix, comme je l’ai écrit autrefois, il y aurait eu, peut-être, de la pertinence à situer cette action, où deux hommes politiques et guerriers se disputent la même femme qui pourrait symboliser l’Espagne, à l’époque de la Guerre civile de 1936/1939 (qui finalement est la quatrième guerre carliste espagnole en un siècle), les Gitans étant les libéraux, les « Rouges », les rebelles, face à un pouvoir réactionnaire, totalitaire, d’autant que Franco voulait rétablir l’Inquisition, le fascisme s’y connaissant en bûchers… Beau diptyque espagnol pour Roubaud qui avait ramené avec succès le Cid tout aussi médiéval à l’époque de la transition du franquisme avec la monarchie libérale actuelle.
Interprétation
Le plateau est magnifique, homogène. D’une voix au noble et beau
métal de basse, Nicolas Testé, à
quelques appogiatures près peu sensibles dans leur bref staccato, se tire avec
honneur du tout premier air après l’ouverture schématique, campant un Ferrando
de belle allure. Carlos Almaguer a
une exceptionnelle voix de baryton d’airain, impressionnante de volume et
d’éclat, tonnante, et à un moment un peu détonante à force d’excès : il
fait du Comte de Luna un reître brutal et guère charmeur qui tonitrue son air
supposé d’amour, plus tempétueux qu’amoureux. Sur ce chapitre, il ne peur guère
rivaliser avec Manrico, le troubadour charmeur et chevaleresque incarné
par un Giuseppe Gipali en pleine
forme, virile prestance physique et belle prestation vocale jusqu’à un
aigu éclatant, vaillant, dans un timbre aux chaudes vibrations. En comparses, Carl
Ghazarossian donne de l’expressivité
dramatique à sa brève phrase avec Leonora ; Frédéric Leroy et Wilfried Tissot sont de bonnes silhouettes chantantes.
Côté dames,
Anne Rodier,
Inés, est une suivante de grande classe. En Azucena, la Russe Elena
Manistina est une révélation :
voix profonde de mezzo grave, égale, ample, puissante, elle semble autant
planer vocalement qu’humainement coller à la terre, aux sentiments humains
déchirés de fille et de mère, implacable et obsédée dans la vengeance, névrosée
mais non folle malgré l’atroce expérience. Malgré un aigu un peu raide dans son
premier air, vite corrigé, Adina Aaron est une Leonora de rêve, élégiaque, tendre, passionnée, voix ronde du
grave somptueux aux aigus aisés, timbre velouté, rond, avec des sons filés et
des piani émouvants. Les chœurs nombreux sont parfaitement tenus et menés par Pierre
Iodice.
Malgré la difficile première longue scène avec Inés où les
mouvements se répètent (prises de mains), la justesse des rapports des
personnages est manifeste dans la série émouvante de duos, notamment ceux qui
alternent à la fin où Tamás Pal,
qui sait faire rêver la musique avec la plainte de Leonora sous la tour, qui en
fait sourdre l’angoisse ténébreuse à d’autres moments, la cisèle, la rend
incisive, décisive, haletante, révélatrice dans son urgence de la vérité
profonde des sentiments exprimés sous la fiction conventionnelle romantique.
Il trovatore de Verdi
24, 27 avril 20h, 29 avril,
14h30 et 2, 4 mai à 20h00.
Production de l'Opéra de
Marseille
Orchestre et chœur (Pierre
Iodice) de l’Opéra de Marseille.
Direction musicale : Tamás
Pal
.
Mise en scène : Charles
Roubaud
; assistant : Bernard Monforte
Décors : Jean-Noël Lavesvre
; costumes : Katia
Duflot ;
lumières :
Marc Delamézière.
Distribution :
Leonora : Adina
Aaron ; Azucena : Elena
Manistina ;
Inés :
Anne Rodier ; Manrico : Giuseppe
Gipali ; Le Comte de Luna :
Carlos Almaguer ; Ferrando :
Nicolas Testé ; Ruiz :
Carl Ghazarossian ; un vieux gitan : Frédéric Leroy ; le messager : Wilfried Tissot.
6. Leonora aux pieds de la tour ;
7. La prison (Leonora, Manrico, Azucena endormie).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire