samedi, décembre 04, 2010

Lévon Minassian

 
HOMMAGE À LÉVON MINASSIAN
Douloureuse douceur du doudouk
Marseille, Théâtre Toursky,
26 novembre 2010

Chaleureuse soirée en plein cœur d’un hiver avancé. Présidée par Jean-Claude Petit, compositeur, le Toursky offrait un amical et chaleureux hommage à Lévon Minassian, joueur de doudouk, ancestral instrument de musique arménien auquel son talent a donné une audience, une dolence, dirais-je, universelle, tant cette étrange flûte ou sorte de clarinette ou hautbois rustique, semble née pour chanter, pleurer plutôt, l’humaine douleur au-delà des frontières culturelles et géographiques.
Tire-t-il de l’abricotier dont on le forme sa douceur fruitée et sa chaude couleur ambrée, du roseau dont on taille la double anche son murmure sourd de source, des neuf trous qui le percent son  souffle de vent dans les feuilles? Toujours est-il que cet instrument archaïque aux terriennes racines d’arbre, de bois, matière, eau et vent, semble élémentaire, c’est-à-dire né des quatre éléments, qui lui prêtent peut-être cette pleine sonorité émouvante comme une voix ancienne et toujours nouvellement touchante chuchotant au fond de nous.
Né à Marseille, Lévon Minassian est déniché par Jean-Claude Petit, auteur déjà de tubes musicaux, de musiques de films souvent primées, parti à la recherche de cette sorte de flûte magique sur les conseils du cinéaste Henri Verneuil, qui lui a confié la musique de son film autobiographique Mayrig, avec Claudia Cardinale et Omar Sharif, épopée intime d’une famille arménienne réfugiée à Marseille après les massacres génocidaires de 1915. Le compositeur rencontre l’instrumentiste, boit à la source ces mélopées arméniennes, et les voilà réunis tous deux sur scène, Petit au piano, Lévon avec son doudouk, nous rejouant le nostalgique générique du film pendant que de terribles images d’exil défilent sur l’écrans qui occupe le fond de la scène.
Rencontre féconde : Levon, ensuite, prend son envol. Il prête son instrument et talent aux musiques de Peter Gabriel, Sting Charles Aznavour, Manu Kachté, etc. Voué d’emblé au cinéma depuis Mayrig, il collabore au générique de grands films, La Passion du Christ,  de Mel Gibson, La Dernière tentation du Christ, de Martin Scorsese, Amen de Costa-Gavras,  et ce poétique et écologique Home de Yann-Arthus Bertrand. Il est aussi de la création de Job ou l’errance du  juste, avec Michael Lonsdale et Richard Martin. En l’absence du premier, retenu à Rome pour un tournage, ce dernier dit des textes, des poèmes, et l’on retrouve, sa passion débordante rentrée, toute la ferveur sortie de cet artiste vibrant d’humanité, de l’amour des bêtes à celui des hommes et leur grande et haineuse Histoire (l’affiche rouge des vingt-trois jeune Arméniens fusillés par les nazis), hommes dont la petite histoire d’amour s’étiole ou fortifie « avec le temps », comme il le murmure en souvenir de son ami Ferré, faisant tressaillir en nous la fibres de l’inéluctable. Un comédien (même pas cité par le producteur…), une comédienne, Kelly Martins, disent des poèmes émouvants, évoquent des souvenirs d’Arménie tandis que l’écran s’anime de ses paysages (images de Martin Mohr et Jean-Luc Picowsky) de l’imposant et légendaire Mont Ararat, où l’Arche de Noé se serait posée après le Déluge, mais, surtout, d’extraits terribles des films où participa Lévon, et ces longs défilés des sinistres convois de déportations, après les Arméniens, des Juifs. Comme si le doudouk, n’était voué, lui, qu’à dire l’humaine douleur.
Un groupe de musiciens accompagne Lévon : Pedro Aledo, espagnol, à la guitare ; Nicolas Mazmanian, au piano (qui vient de créer en première mondiale une œuvre commandée par l’Opéra de Marseille); Jean-Pierre Nergarian, kamatcha, autre instrument populaire arménien, sorte de petit rebec, de vièle à long archet. Sur les larges nappes horizontales du synthé de Serge Arribas, peut-être trop synthétique pour ces instruments ancestraux naturels, le doudouk serpente comme un ruisseau, trace une longue ligne, une plaine, une plainte, d’une steppe infinie qui aurait, au bout les montagnes, les ondoiements, les ondulations de sanglots d’un large vibrato. C’est le long fleuve sinueux d’une immémoriale nostalgie à la source nichée au creux secret ou patent de l’histoire personnelle ou collective, qui va se perdre lentement dans une lente hémorragie migratoire vers la mer lointaine de l’exil.
Un bis final, change enfin de rythme et de couleur, comme un au revoir joyeux après cette plongée dans la nostalgie et la douleur.

Théâtre Toursky, 27 novembre 2010 :
Le murmure des vents ou les variations de l’âme
Hommage à Lévon Minassian
Mise en scène : Serge Sarkissian ; lumière : Fabien Massard ; son : Jean Denys Robert ; Images : Martin Mohr, Jean-Luc Picowsky ; Levon Minassian : doudouk ; Pedro Aledo, guitare ; Nicolas Mazmanian, piano ; Serge Arribas, clavier  ; Jean-Pierre Nergarian, kamatcha ;
 Richard Martin, Kelly Martins, comédiens.

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