mercredi, décembre 08, 2010

FESTIVAL DE SAINT-VICTOR

44e FESTIVAL DE SAINT-VICTOR
Chemin de Saint-Jacques, étape Marseille
Arianna Savall, Ensemble la Fenice
Saint-Victor : fondée au V e, la plus vieille abbaye de France, avec ses 1500 années, abrite, depuis 44 ans un superbe festival de musique. Ce vaisseau de pierre qu’une houle gigantesque aurait soulevé du Vieux-Port pour le déposer en hommage en haut du promontoire qui est le premier échelon vers la montée à la Vierge de la Garde postérieure, semble, de ses créneaux, mordre à belles dents le ciel.
Comme autrefois tout au long des ramifications européennes de ses chemins des édifices religieux offraient repos et une étape pieuse et aux pèlerins, c’est un itinéraire jacobéen, un peu dévié vers le sud qui y faisait halte avec Arianna Savall et l’Ensemble la Fenice dirigé par Jean Tubery.










 Saint-Jacques de Compostelle
Ce Finistère de l’Europe, cette extrême pointe occidentale qui finit la terre du continent, cet ultime promontoire qui plonge dans le sombre gouffre de l’océan comme une proue tendue vers l’inconnu de « la mer ténébreuse » , vers les limites ou vers la fin du monde, est resté voué, depuis la nuit des temps, à la magie, au miracle, à la sorcellerie : le site y appelle le rite, le culte, la culture. Les Celtes y célébraient leurs pratiques mystérieuses ; les Romains y superposèrent leurs dieux avant que les chrétiens ne remplacent les idoles par les saints et les déesses par leurs vierges.
Les nuits d’été, au-dessus des têtes rêveuses de voyages, nostalgiques de prodiges, avides de merveilleux, la Voie Lactée avec ses myriades d’étoiles processionnaires, semble dessiner depuis les confins les plus perdus de la lointaine Europe septentrionale, un blanc chemin nébuleux qui conduit miraculeusement vers ce bout fini et défini de la terre : Campus stellæ, Compostelle, ‘Champ d’étoiles’, comme l’appelleront les Romains.
Durant des siècles, depuis le haut Moyen-Âge, des milliers d’hommes, perdus de misère mais éperdus de foi, de piété, suivront ce chemin dans les ténèbres de leur existence pécheresse en quête de pitié divine, à la reconquête de leur purification grâce à un intercesseur compatissant, Saint-Jacques, trait d’union de la terre et de Dieu. C’est que le bruit prodigieux a couru qu’on a y découvert le sépulcre de ce saint apôtre : Jérusalem prise par les infidèles, avec Rome, Saint-Jacques devient le grand pèlerinage chrétien. Et la première croisade contre les musulmans qui ont envahi l’Espagne, sauf ce nord, qui va drainer une opportune affluence militaire et financière pour les combattre : la Croix contre le Croissant. Et Saint-Jacques, sur son cheval blanc, sa cape rouge volant au vent, brandissant une lumineuse et fulgurante épée, devient Saint-Jacques Matamore, littéralement, ‘matamoros’, tueur de Maures, paraissant dans les nuées pour guider les guerrier chrétiens et courre sus à l’infidèle.

Un chemin de Saint-Jacques
En musique, c’est le chemin partant de Strasbourg que nous présentaient les artistes, scandé par les étapes séculaires, langagières et musicales, qui jalonnaient ce long, rude et patient parcours fait à pieds par les pèlerins, chapeau en tête, bourdon d’une main et coquille de l’autre pour boire et mendier : les coquillards.
Sur un bourdon d’orgue régale qui nappe les ombreuses nefs, de l’obscurité du fond de l’abbaye, une fine voix, filet doucement lumineux, fil d’Ariane de la foi, avance et paraît la figure éclairée d’un sourire de la soprano qui rejoint le chœur en demi-cercle, comme des bras accueillants, de l’abside. Une atmosphère est créée : douceur, ferveur, charme, poésie.
Arianna Savall, miniature souriante, n’est pas défigurée par une grande voix et les quatre musiciens adoucissent les sons à son contact. L’orgue lui fait un doux tapis moelleux, or parfois scintillant de l’argent du clavecin ; le cornet, estompé de brume de  la dulciane aussi douce que son nom trace de nébuleux horizons lointains et la flûte affûte des spirales, des lacs et entrelacs dorés tels des ornements gothiques ou des fioritures baroques au-dessus d’elle tandis que les cordes pincées de théorbe et guitare piquètent de délicates guipures aérienne le doux tissu musical. Ariane elle-même égrène les notes de la harpe et des d’étoiles dorées naissent sous ses doigts, halo lumineux de mandorle de vignette gothique.
C’est raffiné, délicat et simple à la fois, non exempt humour : Jean Tubery, pour distinguer les étapes, dit plaisamment des textes, naïfs ou plus savants, tirés de ces codex anciens qui ont cueilli les airs et recueilli des poèmes le long des chemins pour alléger aux pèlerins les fatigues et vicissitudes de ce long voyage.
Les chants sont religieux ou profanes, graves ou joyeux, lents ou dansants. On passe du plain-chant grégorien du départ strasbourgeois aux paysages linguistiques et musicaux des régions et époques traversées : on suit le Rhône, on croise, dans l’Avignon des papes, des Italiens (Matteo Coferati) qui se joignent à la cohorte errante avec leurs musiques. Puis ce sont les pays de langue d’oc où l’on rencontre au détour du chemin Étienne Moulinié avec un « air de cour » savamment orné en ses diminutions, et on le retrouvera, après l’Aragon et la Castille avec des airs espagnols dans cette sorte de melting pot culturel que devenaient ces pèlerinages où Andrea Falconiero cohabite avec Bataille, Soler, où se brassaient les gens, leurs langues, leurs cultures en marchant et se fondant enfin à Compostelle. 
Touchant voyage dans le temps et le cœur rêveur de l’homme en quête de rédemption. Un regret : avec un aussi joli programme musical, un programme aussi bourré de fautes. Mais les fautes et les mélanges de langues sont sans doute expiées au bout du chemin de Saint-Jacques.
Photos : Yves Bergé
1. Abbaye de Saint-Victor;
2. Arianna Savall et l'ensemble La Fenice;
3. À droite, Jean Tubery. 

Festival de Saint-Victor
25 novembre 2010
Un camino de Santiago
par Arianna Savall et l'Ensemble La Fenice :
La Fenice, direction Jean Tubéry, flûtes à bec, cornet, voix ;
Ariana Savall, soprano, harpe ;
Juan Sebastian Lima, théorbe, guitare ;
Krzysztof Lewandoski, dulciane ;
Michael Hell, orgue, clavecin, flûtes à bec, chant.


















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