BÉATRICE URIA-MONZON,
mezzo-soprano
JEAN-MARC BOUGET,
piano
Récital
Théâtre du Gymnase,
Marseille ,16 juin 2010,
Marseille ,16 juin 2010,
Marseille concerts a clos sa saison au plus haut niveau : on a rarement l’occasion d’entendre en récital la grande cantatrice qui brûle les planches des grands opéras du monde, incarnant Carmen et autres rôles tragiques de mezzo de sa plastique superbe et de sa sombre voix au timbre charnu, chaudement mais discrètement, élégamment sensuel.
Port aristocratique, beauté altière sans ce nez mutin, ce sourire radieux et ces yeux sombres mais rieurs sous le chignon brun : la personnalité, d’une noblesse naturelle, le personnage, n’occultent pas la personne et sa directe simplicité. Béatrice Uria-Monzon dit son plaisir de se retrouver à Marseille où elle vint se perfectionner au CNIPAL.
Déployant l’éventail de ses possibilités stylistiques, elle débute son récital avec trois airs baroques de Vivaldi, prudemment choisis par la cantatrice qui ne s’y est guère frottée, deux arie di portamento extraites d’Il Giustino, lentes, propres à faire valoir le legato, la tenue de la ligne et le souffle, sages en ornements. Dans le troisième air, « Sposa son disprezzata » de Bajazeto (prêté plus qu’attribué avec certitude à Vivaldi ), à la liaison des grandes courbes et contrecourbes, elle préfère la dentelle entrecoupée, déchirée de chagrin de la ligne, et prête une noble mélancolie à la plainte, où perce, dans la volupté discrète du timbre, la sensualité trahie de la femme délaissée. Tout son art de comédienne, capable de faire vivre d’emblée un personnage à travers la musique, est là. Elle entre dans la musique et dans ses rôles avec une évidence immédiate, sans apprêt.
La même ductilité vocale, le même sens du texte président aux interprétations de deux Ariette di camera de Bellini et, de la bergerette ou pastorale au texte convenu, Torna, vezzosa Fillide, dont elle fait un vrai drame, bouleversant dans ses répétitions, de la séparation.
Avec l’air de Santuzza de cette Cavalleria rusticana de Mascagni, on retrouve la tragédienne saluée déjà ici lors des Chorégies d’Orange, rôle repris cette prochaine saison à Marseille. C’est encore une exceptionnelle Princesse Éboli du Don Carlo de Verdi qu’elle nous donne à entendre et à voir, et nous ne souscrivons certes pas à la malédiction de sa beauté fatale par l’héroïne puisque c’est une bénédiction du ciel pour l’interprète.
Son partenaire plus qu’accompagnateur, le remarquable pianiste Jean-Marc Bouget, se lance dans la Serenata española d’Albéniz, touche franche, large et légère à la fois, sans rien d’appuyé, d’un hispanisme sans espagnolade, avec des traits limpios, «propres », jamais savonnés comme dans tant d’interprétations trop excessivement coloristes de la couleur locale espagnole.
Sans autre entracte que celui-là, Béatrice revient et, bon sang ne pouvant mentir, dans la tradition des grandes cantatrices espagnoles, de Los Ángeles à Caballé en passant par Berganza, offre une deuxième partie hispanique. Enrique Granados est servi en premier avec trois de ses tonadillas « goyesques », « El majo tímido », « El tra-la-lá y punteado » et « El majo discreto », adorables vignettes humoristiques où sa verve légère, son ironie et sa désinvolture font merveille, avec un piano espiègle et goguenard. Puis ce sont les sombres « Majas dolorosas » où, dans l’expression de la passion et de la perte de l’objet aimé elle laisse libre cours à ce que l’on éprouve comme un sentiment tragique de l’existence, comme disait Unamuno des Espagnols. De Fernando Obradors, délicat compositeur inspiré du folklore espagnol, elle nous régalera des délicieuses Tres morillas, joli zéjel du XV e siècle, du plaisant « Aquel sombrero de monte » et enfin, du fameux « Vito » endiablé.
Pour clore ce récital, belle synthèse franco-espagnole, cette magnifique cantatrice si identifiée au répertoire français, donne en adieu l’air de la Chimène du Cid de Massenet, qu’elle incarnera prochainement à Marseille, « Pleurez, mes yeux », et l’on pleure avec elle, admirant que cette grande voix, occupant avec aisance les grands espaces libres, sache se raffiner jusqu’au soupir dans la confidentialité close de ce petit théâtre.
En bis, cadeau anticipateur de l'année 2012, le grand air de Tosca qu’elle chantera à Avignon , puisque cette superbe mezzo veut se risquer aux soprani. On ne peut certes l’oublier en Carmen primesautière et grave. Mais, en ultime bis généreux, non prévu, elle improvise Granada d’Agustín Lara, pour ténor, se trompe, s’esclaffe, reprend, revient, morte de rire, et la salle avec elle, ravie.
On s’attendait à une diva, une déesse au sens propre, et l’on découvre une femme. Mais belle à tous les niveaux.
Théâtre du Gymnase, Marseille,16 juin 2010
Béatrice Uria-Monzon, mezzo, Jean-Marc Bouget, pianiste,
Récital chant/piano : Vivaldi, Bellini, Mascagni, Verdi, Granados, Obradors, Massenet, Bizet, Puccini, Lara.
Photos (Crédit : site de Béatrice Uria-Monzon).
1. Carmen, la diva ;
2. Béatrice, la femme.
3. J. -M. Bouget.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire