mardi, mars 18, 2008

ÉMOIS TRAGIQUES

ÉMOIS TRAGIQUES
par l’ensemble Baroques-graffiti
Théâtre Gyptis

Jean-Paul Serra, ancien successeur titulaire d’André Isoir au grand orgue de Saint-Germain-des-Prés et désormais de celui de l’église Saint-Théodore de Marseille où il a posé en résidence permanente son ensemble Baroques-graffiti, anime la saison musicale du théâtre Gyptis depuis déjà quelque temps, avec des programmes raffinés de musique vocale et instrumentale. Ainsi, après les Tourments intimes sur un florilège des Songs de Downland et de Purcell, chantés par la soprano japonaise Kaoli Isshiki, avec à la viole de gambe l’excellente et polyvalente Agustina Merono, musicologue patentée par ailleurs, dans la veine de cette illustrations des affects baroques, il proposait le lendemain des Émois tragiques encore britanniques tirés de Purcell et de cet Allemand anglicisé, le plus européen des compositeurs de son temps, Händel. Cette fois-ci, c’est Jean-Christophe Deleforge, au violone, grande viole grave qui assurait, avec le clavecin de Serra, cordes frottées et cordes pincées, la basse continue canonique, illuminée, à l’aigu, par le vol du violon, virtuose aussi, de Sharman Plesner.
Ainsi réduite, l’ouverture de Didon et Énée de Purcell sonnait comme une épure, la ligne du violon dessinant la teneur de la mélodie tragique avec le contrepoint profond, argenté et doré du continuo. Deux chanteuses, interprétaient la longue scène d’exposition, un air de Didon encadré par deux autres plus brefs de Belinda, sa confidente, reliés de beaux récits accompagnés, avant de plonger directement dans les adieux à la vie de la reine de Carthage. Dès son entrée (« Chase the clouds… »), Émilie Ménard séduisait par son soprano à la fois charnu et aérien et la spontanéité joyeuse de son interprétation. Dans le rôle noble, Odile Bruckert imposait un timbre de mezzo chaud, doré pour l'héroïne tourmentée dignement (« Ah, Belinda… ») et un sens du tragique sans pathos dans l’admirable lamento en gammes descendantes (« When I am laid… »), prolongé en plaintes expressivement articulées par le continuo, gémissement des cordes et ponctuation implacable de marche funèbre du clavier. Françoise Chatôt, comédienne, troisième voix, mais parlée, se levait ensuite pour déclamer le passage de la mort de Didon de l’Éneide de Virgile et ponctuera ensuite de lectures émouvantes (tirade terrible d’Hermione abandonnée de l’Andromaque de Racine, une Iseult poétique d’Agnès Verlet et un extrait un peu passionnellement débordant de Claudel), beaux choix tragiques, beaux émois pour belle voix grave.
Les musiciens prolongeront l'émoi vocal et l'adouciront de pauses instrumentales hændéliennes lentes ou souriantes, extraits de sonates su compositeur.
Les mêmes qualités des interprètes féminines seront manifestes dans la suite du concert, airs de l’Alcina de Händel, riches en affects contradictoires, joie jubilante et vocalisante de Morgana (« Tornami a vagheggiar…), aveux, puis remords, toujours avec la même virtuosité différemment expressive par la soprano, et bouleversante émotion aussi acrobatique de la magicienne abandonnée et dépossédée de ses pouvoirs par la mezzo qui sut rendre toute l’humble poésie arcadique et anglaise d’un air d’Acis et Galathée.
On saluera, sur une scène nue, dépouillée de théâtralité, l’atmosphère prenante que surent créer ces artistes, malgré des enchaînements trop rapides empêchant l’effusion et la respiration des applaudissements entre les airs, pour déplorer l’incongruité d’exclamations déplacées (telles « Ah, les hommes ! »…) cassant de leur lourde inconvenance le charme émouvant de l’interprétation.

29 février

Photo : Jean-Paul Serra.

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