mardi, février 06, 2007

Le Médecin malgré lui de Molière, Théâtre Gyptis


VITAMINES
Le Médecin malgré lui de Molière
Théâtre Gyptis

Affiche malheureuse mais plateau heureux et public bienheureux : un bocal de pharmacien ou médecin légiste avec trois cervelles dans le jus… De la part d’un graphiste, regrettable faute de goût qui causait des mines de dégoût dans le métro devant la peu ragoûtante conserve. Mais qui, involontairement, symbolise maintenant pour moi le goût bourgeoisement étriqué d’un Boileau, mettant sous le boisseau et en boîte l’esprit et l’imagination, formalisant, formolisant, le cerveau si libre de Molière, en voulant réduire, réducteur de tête, son génie à la mesure exclusive de la grande comédie littéraire. Il dénigre ainsi la farce populaire :

Dans ce sac où Scapin s’enveloppe,
Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope.

L’œuvre
Or, écrit après le décri hypocrite dont la Cabale des dévots accable et enterre pour longtemps et Tartuffe et Dom Juan, après le succès mitigé du Misanthrope, dans Le Médecin malgré lui de 1666, qui renoue avec les farces légères de ses débuts, récidivant en 1671 avec Les Fourberies de Scapin, tout Molière est là avec ses situations d’abus paternel ou marital de pouvoir, ses femmes ou filles révoltées, sa satire des médecins, de l’argent, ses quiproquos, sa verve, ses dialogues crépitants de vivacité, son ambiguïté. Certes, il fait feu de tout bois, réemployant Le Fagotier ou le Médecin par force, issu du folklore médiéval européen (la femme qui se venge du mari en le faisant rosser), la feinte maladie de Lucinde, clin d’œil à l'héroïne de même nom de l’Amour médecin ; il emprunte à Rabelais, cite Gracián. Bien sûr, des scènes comme celle du voisin, la consultation assez dramatique des paysans dont la femme et mère se meurt, n’apportent rien à l’intrigue mais valent en soi. Il mêle le comique mécanique de geste aux injures, les jargons paysans, le latin de cuisine mais le tout avec une légèreté irrésistible.

La réalisation
C’est justement cette légèreté et une simplicité de bon aloi de théâtre de tréteaux qui font le charme de la réalisation d’Andonis Vouyoucas qui évite tous les pièges d’une lourdeur trop souvent collée à la farce. Les comédiens, ambulants, arrivent joyeusement de la salle à la scène nue (des malles d’osier, deux montants de porte : décors de Claude Amaru) avec les accessoires et les costumes, montent à vue le matériel et nous donnent, sans doute débarqués du char de Thespis, la comédie, devant d’autres spectateurs : les acteurs eux-mêmes avant de jouer. Avec un bel effet de lumières baroques (J.-L. Martinez), tels certains tableaux, des têtes de voyeurs entrebâillant le rideau noir, écartant les costumes, pour ne rien perdre de la croustillantes action. Ce dépouillement de l’environnement met en valeur les trouvailles scéniques, le rythme réglé comme un ballet, la poétique trouvaille du théâtre où les marionnettes sont des mains. La nourrice, la piquante et picaresque Christine Gaya, place des mots espagnols compréhensibles là où il y avait un galimatias de jargon paysan, traduisant la dette du théâtre français envers la comedia espagnole. La discrète musique, orientalisante, convient au cirque et à un orient qui n’est pas tendre pour les femmes mais on voit ici que l’occident n’avait rien à envier à la violence conjugale masculine, car même l’amour devient un viol de l’épouse par le mâle dans la malle après l’excitation sadique des coups.
Les costumes de Fred Sathal sont d’une belle matière, mouillés de mousse ou mordus de rouille pour Sganarelle et Martine mais ceux de Valère et Lucas, noirs, sont une jolie rêverie XVII e écumeuse de dentelles, étrange élégance chez des valets quand les maîtres et les autres sont affublés sans grâce dans de vagues tenues modernes de la déjà vieille tradition des costumiers qui ne comprennent pas qu’on vient aussi voir des œuvres anciennes au théâtre pour voyager dans le temps et non pour nous retrouver englués dans le nôtre, qui rend plus invraisemblable encore cette sotie droit venue du Moyen-Âge.

L’interprétation
L’ensemble des comédiens tire son épingle du jeu mais les rôles sont inégaux, Léandre (S. Todesco), Lucinde (Julie Cordier) sont à peine ébauchés ; Lucas (P. F. Doireau) est bien dessiné dans le rôle bouffe tandis que Martin Kamoun est un Valère élégant et un Perrin touchant. François Champeau campe avec une gauche drôlerie un voisin malavisé puis est émouvant en tendre mari désolé de la maladie de sa femme demandant le secours de l’époux brutal. Visage mobile et yeux soupçonneux à la de Funès, Philippe Noesen est un Géronte tyrannique même en fauteuil à roulettes, naïf et inquiétant à la fois. En Martine, Nancy Madiou passe de la révolte, de l’amertume de femme battue à la satisfaction mauvaise de la vengeance et presque sadique à l’idée de la pendaison de son violent époux, faisant sentir la noirceur désespérée sous le rire de la farce. Mais en Sganarelle bourru, goulu, hurluberlu, éberlué, rossé, rusé, Hervé Lavigne, dynamique et frénétique meneur de jeu, passant en vif argent par toute une palette variée de mimiques et de sentiments, démontre toutes les facettes de son extraordinaire talent d’acteur Protée étourdissant.
Ce Médecin-là devrait être prescrit par la médecine et remboursé par la Sécurité Sociale.

Le 3 février 2007

Photos : François Mouren-Provensal ; légendes : B. P.
1. Sganarelle supplie…
2. Sganarelle séduit.…
3. Mais Géronte éconduit la nourrice extasiée comme une Sainte Thérèse.
Successivement, Hervé Lavigne, Christine Gaya, Philippe Noesen.

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