samedi, avril 10, 2021

VIOLON AU FÉMININ

 


        Évidemment, au féminin, violon devrait donner violon/e  mais dans cette subtile autant que complexe langue française, rétive aux changements, cela sonnerait, pour un musicien, à violoné, grande viole. Et puis, et puis, en une époque du (légitime) #metoo,  viol, viol(e),  et pire, violon(s), sonnent comme des injonctions au crime de viol, que nous exécrons et condamnons des faibles petits hommes aux virilités défaillantes qui ne peuvent que petitement affirmer par la force, la viol/ence  ce qui "manque à sa place" pour parler comme Lacan. Alors, tant pis pour les tenants ou tenantes ("tenant.e.s") de cette intenable langue inclusive, comique coquetterie qui dévie le combat urgent des femmes par des escarmouches secondaires.

        Aujourd’hui, saluons, deux violonistes. Évidemment, le mot, en français étant épicène, c’est-à-dire ayant la même forme aux deux genres, comme un élève, une élève, un enfant, une enfant, ces articles déterminants qui le précisent, et font de la langue française, par la nécessité de cas ajouts, la moins concise des langues romanes, « violoniste « ne vous dit rien du genre de l’instrumentiste qu’on dirait violonista, avec le a, marque du féminin en italien, en espagnol. Je suis donc obligé de préciser que ces  instrumentistes, autre épicène, sont deux femmes, deux talentueuses et charmantes jeunes dames. Heureusement, l'art, le talent, n'ont pas de sexe.

         La première, est Marina Chiche, une Marseillaise, qui nous présente, pour une musique qui n'a ni nationalité ni langue, en latin et anglais Post-scriptum, Marina Chiche, & Aurélien Pontier : 18 (eighteen) Miniatures for violin. Tribute to Heifetz & Kreisler, Nomad Music, que je traduis sauf ce latin que tout le monde connaît,  et je  complète : Post-scriptum, 18 miniatures pour violon, Hommage à Heifetz & Kreisler, deux grands violonistes virtuoses du passé : Fritz Kreisler et Jasha Heiffetz. 

        Avec cette liberté inventive d’autrefois, tout comme Liszt pour le piano, ces violonistes improvisaient, arrangeaient, transcrivaient ou pastichaient des pièces brèves pour en faire les bis à la fin de leur récital, en somme, ces post scriptum, ces pièces brèves dont la violoniste a eu la bonne idée de faire un disque, avec la complicité du pianiste Aurélien Pontier, tout aussi accordé joyeusement à l’esprit festif de ces fins de programme réussis, qui justifiaient la demande de bis d’un public enthousiaste. L’artiste, libéré du trac, de l’angoisse, ou du moins de la tension qui est toujours la rançon d’un long récital, assuré de l’avoir surmonté avec succès, pour remercier le public, dans la chaleur et la dynamique, offrait alors en apothéose, aux spectateurs ravis, ces bis souvent vertigineux de virtuosité acrobatique triomphale. Avec, bien sûr, si le public en redemandait, des plages de charme. Et c’est celui de ce disque non de préludes, de pièces avant le jeu, mais de ces postludes, ces conclusions fleuries d’un grand récital absent : mais qui deviennent, ainsi alignés, le récital lui-même. Le feu encore vif d'un récital et les vivats du public réclamant un bis manquent au disque, mais la vivacité, l'engagement, la complicité des deux artistes nous emportent dès le premier morceau à tout seigneur tout honneur, de l’Autrichien Fritz Kreisler (1875-1962), Schön  Rosmarin, ‘ joli romarin’, qui embaume de la plage 1. 

Ce romarin joli fleure bon aussi notre Provence. Marina Chiche est donc née à Marseille, dans une famille aux goûts musicaux éclectiques confie-t-elle, et commence ses études musicales dans notre Conservatoire auprès de Jean Ter -Merguérian, avant de les poursuivre à Paris, récoltant des prix, puis de se perfectionner à Vienne et ailleurs  auprès des meilleurs maîtres. Très jeune, dès 2003, elle commence une riche carrière de concertiste qui la promène dans le monde entier en récital ainsi qu'en musique de chambre, en soliste avec orchestre. Elle registre beaucoup et ses interprétations sont accueillies avec faveur par la critique.

Sans se contenter d’études musicales, en 2016, elle obtient un doctorat en esthétique, théorie et pratique des arts et joint, à la pratique musicale, un art de l’écriture et de la parole qui lui permettent d’enseigner,  de donner des master classes un peu partout dans le monde de faire des conférences pointues, comme à Sciences Po Paris, Musique et Politique au XXe siècle  ou Musique classique à l'ère du digital.

Fille de son temps, infatigable sur les réseaux sociaux, elle publie des articles dans des revues et dans son site sur les coulisses de la vie de musicien « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la vie d'un musicien pro », que je recommande. Sans se décourager par l'annulation de dernière minute du concert de lancement de son nouveau disque, elle fait avec Aurélien Pontier un récital en streaming live suivi et commenté.. Pendant le confinement, elle crée L'Atelier de Marina en ligne sur sa page Facebook où elle joue et présente des œuvres de manière interactive avec les internautes. Elle succède à Frédéric l’Odéon à France-Musique : « Vous avez dit classique ? Chiche ! »  le dimanche à 14 heures, une passionnante émission à thème; que je ne rate pas, et produit d’autres émissions, dont une série de huit épisodes d'une heure, est Mon cœur est un violon, titre de la célèbre chanson de Lucienne Boyer, dont Mick Michel donna aussi une superbe et chaleureuse version. On l’a vue aussi à la télévision avec Stéphane Bern présenter Les Victoires de la Musique le 12 février, où elle fut nommée. Ouf! Quelle énergie, quelle créativité!

On peut donc aisément la voir, l’entendre sur les médias, où elle est comme un poisson (marseillais) dans l'eau. Ce disque, dont le livret commence par un détournement de la première phrase l’incipit, du Temps perdu de Proust, en est aussi une recherche avec ces violonistes du passé. On goûtera, hors des sentiers battus des œuvres que l'on entend trop de ce célébrissime violoniste fêté par les plus grands compositeurs de son temps,  Prélude et tarentelle du mythique Pablo de Sarasate (1844-1908).

Post-scriptum », Marina Chiche, violon, et Aurélien Pontier, piano : 18 Miniatures for violin. Tribute to Heifetz & Kreisler, Nomad Music

Dans un tout autre domaine de programme, apparemment plus austère mais non moins exigeant et virtuose dans sa rigueur,  le Cd proposé par la violoniste Amanda Favier, Amanda Favier, Orchestre Philharmonique Royal de Liège, direction Adrien Perruchon : Concertos pour violon de Stravinsky in D major, et de John Corigliano, Nomad Music 

Ne nous fions pas à l'image d'enfant sage de la pochette, de fillette tranquille, à la robe de petite écolière qui, surgie de la lumière d'une porte ouverte à un battant, fait une entrée timide, inquiète? ou inquiétante avec son sourire énigmatique,  dans une pièce, ombre presque rouge d'un côté où sont tapis, rangés indistinctement de mystérieux et magiques animaux fauves, des violoncelles, contrastant avec l'autre  battant doré et rose de la porte donnant sur des violons entassés. Une Alice passant l'autre côté miroir du Pays des merveilles de la musique, ou une héroïne belle, étrange et maléfique d'un film terrifiant de Corman, à l'image du violon rouge, de sang, traversant diaboliquement les époques, de celui de François Girard dont elle a mis la musique à ce programme. Non, ne nous y trompons pas : rien de sage dans ces choix risqués, fous de virtuosité technique, que la violoniste assume avec une maîtrise qu'on dirait diabolique, un Paganini féminin de notre temps.  L'Orchestre Philharmonique Royal de Liège, sous la direction enflammée d'Adrien Perruchon qui embrase la soliste.

Enfant prodigue, couverte de lauriers, très vite reconnue et connue dans des lieux prestigieux internationaux, dans ce disque espiègle dans sa virtuosité à couper le souffle, Amanda Favier couple deux concertos pour violon avec orchestres. Le premier est d’Igor Stravinsky (1882-1971) in D major, que je vous traduis dans notre système de notation, en ré majeur, trop simple pour les labels de disques frappés d’anglicisme chronique qui mettent à mal le chroniqueur qui ne serait musicien multilangues. Daté de 1931, il est néoclassique, mais la soliste le porte et nous transporte par un engagement passionnel et stylistique, de la noble « Toccata » à une « Aria I » capricante, préparant une rêveuse « Aria II », avant de conclure sa palette par le joyeux « Capriccio » final.

Mais, nous épargnant de voler à la victoire de ce concerto très connu, nous conclurons par l'invitation à découvrir le  Concerto Red Violin de John Corigliano (1938), partition que le compositeur américain a tirée de la bande originale du film éponyme du Canadien François Girard  (1993) et qui lui valut l’Oscar de la meilleure musique en 1998. Violon charmeur, séducteur, frissonnant et faisant aussi frémir dans cette histoire fantastique comme un compte romantique d'Hoffmann, qu'Amande Favier fait vivre et tressaillir, recréant des images sonores, somptueuses ou angoissantes, de l'invisible film.

 

Amanda Favier, Orchestre Philharmonique Royal de Liège, direction Adrien Perruchon : Concertos pour violon de Stravinsky, et de John Corigliano, Nomad Music 

RCF N°502

Semaine 2

 


 

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