jeudi, septembre 17, 2020

TROP TÔT PARTI…

 Enregistrement 9/7/2020

RADIO DIALOGUE RCF

(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

N° 452, semaine 28


Les éditions Hortus nous ont habitués à des productions originales, qui sortent des rails rebattus de la discographie, des enregistrements hors des sentiers battus, sinon celui de la Guerre de 14/18 avec une monumentale collection qui fait date et Histoire. Il faut donc encore saluer ce disque singulier, qui n’a malheureusement pas la chance de devenir pluriel puisqu’il s’agit d’un ensemble de morceaux, d’un compositeur consumé par la tuberculeuse à l’âge de 25 ans, et qui n’aura pas eu le temps d’accomplir, sur la durée, l’œuvre que promettait pourtant le peu qu’il nous en reste.  Le Cd s’appelle Jean Cartan. Partir avec un idéal avec Kaëlig Boché, ténor et Thomas Tacquet, piano. Une première mondiale.

Ce beau titre, Partir avec un idéal, est tiré d’une lettre que, le grand compositeur Albert Roussel, qui l’avait encouragé au Conservatoire de Paris, avait reçu de lui et qu’il rappelle dans l’étude qu’il lui consacra dans La Revue musicale après sa mort :

« Pour l’artiste, ce n’est pas une qualité que la force, c’est un devoir. Tant d’esclavages nous attendent : l’argent, le public, la tradition, la mode, il faut tout dominer. Il faut avoir cette conviction que les éléments seront ce que nous voudrons qu’ils soient. Partir avec un idéal et se dire que tout sera bon sur la route qu’il faut suivre. »

Belle lucidité et hauteur morale, touchante intransigeance de la jeunesse, d’un tout jeune homme qui sans doute avant sa mort, écrit encore, ce qui sonne comme un testament empreint d’une grandeur stoïque :

« Je sais bien que je suis né pour aimer et pour souffrir beaucoup, je sais que nombreux seront les jours où j’aurai mal et je ne m’en plains pas. La saison est belle et ma part est bonne et puis c’est là seulement qu’est le bonheur : aimer tout ce qui valait d’être aimé et souffrir tout ce qui valait d’être souffert. »

À ne lire que ces deux phrases, on sent bien ici une lucide réflexion alliée à sens évident de l’écriture, de la phrase bien frappée, bien rythmée. On ne s’étonne donc pas du goût de la poésie dont témoigne justement ce CD qui comprend, à part la Sonatine pour piano en trois mouvements, Trois poèmes de François VillonCinq poèmes de Tristan KlingsorTrois chants d'été, sur des poèmes de Rimbaud et de Franz Toussaint, Deux sonnets de Mallarmé, un Hommage à Dante au piano et le Psaume 22, qui est aussi poésie.  

 Écoutons le premier rondeau de Villon, turbulent poète de la fin du Moyen-Âge, mais ici le trublion crie son trouble face à la mort qui lui a ravi sa bien-aimée, et dans ces rimes avec « vie », « ravie, assouvie, dévie », on ne peut s’empêcher d’entendre, de sentir l’obsession de cette vie qui va quitter ce jeune compositeur :

 

Mort, j'appelle de ta rigueur,
Qui m'as ma maîtresse ravie,
Et n'es pas encore assouvie
Si tu ne me tiens en langueur :

Onc puis n'eus force ni vigueur ;
Mais que te nuisoit-elle en vie,
Mort ?

Deux étions et n'avions qu'un cœur ;
S'il est mort, force est que dévie,
Voire, ou que je vive sans vie
Comme les images, par cœur,
Mort !

 

1)    PLAGE 1 


Malgré le sujet, dramatique, cette musique reste en deçà du mot, ne déborde pas, ne fait pas pléonasme en rajoutant du pathos au pathétique, sobriété encore plus frappante par la pudeur de l’expression. Le ténor Kaëlig Boché, qui a de nombreux prix très mérités de mélodie, et même un d’opéra au concours de Marseille, avec un beau phrasé, une grande clarté dit l’émotion, la révolte, tout en la contenant avec dignité, en parfaite intelligence avec le pianiste Thomas Tacquet, couvert aussi de prix, élégant avec franchise sans ce maniérisme qui affadit parfois la musique française de ce temps. 

 De Rimbaud, Cartan choisit Sensation, bref poème de deux strophes en alexandrins, d’une grâce juvénile, primesautière :


Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.


Nous l’écoutons : 


2)    PLAGE 12 


Jean Cartan naquit dans une famille de grands mathématiciens, musiciens, qui encouragèrent sa vocation. Élément touchant aussi de ce disque, la petite préface est signée par « Les neveux et nièces de Jean Cartan. » Le manuscrit de la Sonatine est aussi transmis par « les héritiers ». Les rares œuvres de ce jeune compositeur parti trop tôt ne pouvant être une manne financière de rock star, on saluera donc cet héritage moral, artistique et cette dévotion familiale. On quitte le disque sur les accents puissant du Psaume 22 :


Le Seigneur est mon berger : 

je ne manque de rien. 

Sur des prés d'herbe fraîche, 
il me fait reposer. 


3)    PLAGE 23 


Jean Cartan. Partir avec un idéal avec Kaëlig Boché, ténor et Thomas Tacquet, piano



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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