mardi, septembre 27, 2016

"MY FAIR LADY", ESCALE MARSEILLE


MY FAIR LADY DE MARSEILLE



d’après My Fair Lady de Frederick Loewe, 
livret de Alan J.  Ferner

adaptée pour deux personnages par Jean-Christophe Born

Dans le cadre de Septembre en mer,

Marseille,

Voilier le Don du vent,

16 septembre



 L’auteur de l’œuvre originelle
         George Bernard Shaw (1856-1950) fut critique dramatique, d'art et de musique, auteur de romans, d’essais, militant politique socialiste. Il a écrit plus de cinquante pièces. Sa verve humoristique va faire de lui un maître incontesté du théâtre anglophone. Très engagé politiquement, George Bernard Shaw s'attaque aux abus sociaux, dénonce la rigidité des classes sociales.
En 1925, il reçoit le prix Nobel de littérature. Il est célèbre pour ses mots d’esprit souvent acides. L’on pense à Sacha Guitry :
       "On compare souvent le mariage à une loterie. C'est une erreur, car à la loterie, on peut parfois gagner. 
        "Quand une femme du monde dit non, cela veut dire peut-être ; quand elle dit peut-être, cela veut dire oui ; et quand elle dit oui, ce n'est pas une femme du monde.
     "Lorsque Dieu a créé l'homme et la femme, il a bêtement oublié d'en déposer le brevet si bien que, maintenant, le premier imbécile venu peut en faire autant.
      "Les animaux sont mes amis... et je ne mange pas mes amis.
    "La mort ne m'impressionne pas, j'ai moi-même, en effet, l'intention bien arrêtée de mourir un jour.
        "La vie est trop courte pour être prise au sérieux."

         Son l’époque est encore celle du réalisme dans le roman (Zola n’est pas loin, il meurt en 1902) dans le théâtre avec Ibsen, Strindberg dans les pays scandinaves, du vérisme dans l’opéra italien qui, en réaction contre le néo-romantisme, veut traiter de tranches de vies, illustré par Mascagni et sa Cavalleria rusticana, Leoncavallo et ses Pagliaci, par Giordano et même Puccini, ou même en France avec le « Roman musical » qu’est Louise (1900) de Charpentier. Bien sûr, en réaction, il y a les mouvements symbolistes, décadentistes, brillamment illustrés par le spirituel Oscar Wilde, autre Irlandais, par Richard Strauss en musique, par Debussy, par Maeterlinck dans le théâtre. Et la peinture est déjà sur d’autres voies modernistes. Mais Shaw écrit des pièces à thèses, dénonçant l’injustice sociale de la rigide Angleterre encore victorienne (la reine Victoria meurt en 1901) corsetée, étouffée par les conventions hypocrites) même sous le règne du successeur Edouard VII.

         Sa pièce Pygmalion, est créée en 1912.
On connaît le mythe grec du sculpteur Pygmalion qui tombe amoureux de sa statue, Galatée, qui prend vie par la grâce d’Aphrodite. Le mythe pose le problème du rapport entre le créateur et son œuvre, l'idéalisation qu’il matérialise dans un corps, dont il aime la beauté dans un miroir narcissique qui lui renvoie sa force créatrice. Shaw l’actualise : un distingué et insupportable professeur de phonétique, de diction, vieux garçon revendiqué, rencontre, dans le marché londonien de Covent Garden, une jolie petite marchande de fleurs d’une extrême vulgarité. Il fait le pari avec l’un de ses amis de corriger son horrible accent cockney, faubourien, d'en faire une grande dame capable d’éblouir la haute société par sa distinction.

En 1939, un premier film remporte un Oscar pour le scénario que Shaw a tiré de sa pièce Pygmalion et l’on dit qu’il se sert de la statuette pour bloquer sa porte. Broadway s’en empare : c’est  la comédie musicale My Fair lady, musique de Frederick Loeve, livret d’Alan Jay Lerner, créée par Rex Harrisson et Julie Andrews en 1956. En 1964 la pièce est portée à l'écran par Georges Cukor avec le même Harrisson et Audrey Hepburn.
        
        

DON DU VENT ET DOUÉ À TOUS VENTS

         Le Don du vent c’est ce joli deux-mâts ancré au Vieux-Port devant la Mairie ; il a un long passé, il a vécu nombre d’aventures, dont la moindre n’est pas que le compositeur Frederick Loeve, invité à bord par des amis, y écrivit tout ou partie, justement, de My Fair Lady. Sans le prendre à l’abordage, Jean-Christophe Born l’a investi déjà triomphalement, notamment, l’an dernier (voir dans ce blog 11 septembre 2015) avec Marseille, mes amours, un succulent condensé d’opérettes marseillaises concocté savoureusement par lui-même. Il récidive, mais sur la rive britannique, avec cette adaptation personnelle de My Fair Lady, et avec le même succès. Une gageure.

         Passer d’une pièce fourmillant de personnages, le père, Freddy l’amoureux d’Eliza, la mère d’Higgins, à un condensé, un tête à tête, le duo longtemps duel entre le docte professeur et sa disciple ou, plutôt, son cobaye, n’est pas un mince exploit. Pourtant, il est pleinement réussi, non seulement parce que quelques interpellations habiles font exister des personnages absents (mère, public des courses et chevaux), sauf une duchesse joliment incarnée par une spectatrice, mais parce que ce resserrement de l’intrigue, excluant donc le spectaculaire, surtout dans l’exiguïté de l’espace et la proximité physique du public, condense et rend plus dense le jeu et l’enjeu : la cruauté expérimentale de l’épreuve à laquelle l’arrogant professeur imbu de sa science sans conscience, soumet  la pauvre jeune fille. Et l’on est heureux qu’il ne soit professeur que de diction de salons et palais, qui classe ou déclasse, admet ou rejette selon l’accent chic ou choc, le mot propre ou sale car, malgré l’humour de la pièce, sa toute bonne conscience d’imposer à autrui un bonheur sans appel de ce qu’il estime la norme langagière, on sent en lui l’énorme ambition du tyran écrasant sans pitié les êtres non conformes, renvoyés à l’anormalité, à l’animalité même, sale et puante, en toute bonne conscience. On l’imagine plus avant en savant expérimentateur et fou de sa science.

C’est donc une adaptation réussie centrée sur le conflit psychologique et social entre les deux héros. Car, sous l’apparence frivole de la pièce, il s'agit, en réalité, d'une charge sur l'amour et sur les difficiles rapports entre les différentes classes sociales : le professeur, c’est le maître, Liza, l’esclave. Mais petit à petit, dans une dialectique hégélienne comme on dirait en philosophie, les rôles sont inversés, Liza prend le pas sur le maître. Malgré tout, quel sera le sort de cette pauvre fille prise entre deux mondes auxquels elle ne peut appartenir complètement, sorte de Cendrillon d’un moment qui reviendra à la case départ mais après avoir connu un univers qui ne sera jamais le sien ? Certes, comme dans les contes de fées, cela finira bien, le Pygmalion, le Professeur créateur tombe amoureux de sa créature mais tombe-t-il vraiment amoureux de Liza, de la femme qu'elle est vraiment ou de sa création, c’est-à-dire de lui-même ?
C’est donc tout cela que nous rend sensible cette adaptation de Jean-Christophe Born ce jeune ténor au physique de jeune premier qui a tous les dons, doué à tous vents. Il chante bien, il maîtrise ce chanté-parlé typiquement anglo-saxon destiné à des comédiens non chanteurs, alors qu’il est un chanteur lyrique remarquable. Il déroule, distille les mots avec une parfaite diction qui rend crédible l’irascible professeur de phonétique. Mais, comédien tout aussi talentueux, malgré l’élégance contenue du gentleman, tout son visage extrêmement mobile et quelques gestes stylisés accompagnent avec souplesse et variété, sans nulle outrance, avec un naturel comique confondant, le distingué professeur célibataire endurci, fils de famille et à sa maman. Du grand art en toute joyeuse modestie.

La partie de la soprano Cecilia Arbel est un peu plus ardue puisqu’elle doit incarner la pauvre vendeuse de violettes de Covent Garden dont la mine et l’accent horrible horripilent et fascinent l’érudit et distingué professeur, puis évoluer vers la jeune élève polie lentement plus par l’amour que l’éducation phonétique et advenir enfin, papillon éthéré sortant de la chrysalide, à l’éclosion éblouissante de la femme fleur séduisant même le roi. Rôle de composition délicat de trois personnages en un. Elle s’en tire assez bien et nous touche par son rêve naïf de bonheur dans un modeste confort « Wouldn't it be lovely ? », ’Ce serait pas charmant’ au rythme de claquettes, et son introspectif et vengeur « Just you wait », ’Attends voir, tu vas souffrir’ et nous  enchante, par le brillant « I could have danced all night », ‘J’aurais pu danser toute la nuit’ qu’elle finit avec un timbre fruité et corsé sur un beau contre ré .
C’est à Solange Baron (qui a adapté pour l’accordéon la partition) et Cyrille Muller, plus qu’accompagnateurs, partenaires et témoins ironiques, rêveurs ou amusés, que revient, en interludes de nous bercer de l’air fameux de Freddy passant sous les fenêtres de Liza.
Les costumes, d’une élégance britannique pour le professeur, en frac pour les mondanités, d’une somptuosité 1900 pour la métamorphose de Liza, avec un chapeau plaisamment surdimensionné qui se souvient du film de Cukor, quelques éléments pertinents, un téléphone, un livre, une table, un siège, des déplacements et des mouvements justes et précis dans cet espace réduit, sont à porter au crédit de la mise en scène subtile et habile d’Henri de Vasselot : avec apparemment des riens, beaucoup de résultats.

Bon vent au voilier et à ce délicieux spectacle ! 


My Fair Lady de Marseille
Textes parlés en français, musiques chantées en anglais
Le Don du Vent
1, 2, 16 septembre
Mise en scène :  Henri de Vasselot ; costumes : Atelier Sevin-Doering.
Avec :
Cécilia Arbel : Eliza Doolittle ; Jean-Christophe Born :  Professeur  Henry Higgins.
Solange Baron et Cyrille Muller à l'accordéon classique.

1. L'affiche initiale de Septembre en mer, reprise de 1928, censurée en 2016, au prétexte qu'elle pouvait gêner "certaines populations" (infos FR3) : "Cachez ce sein que je ne saurais voir" (Molière, Tartuffe, 1669). Rétablie dans quelques stations de métro : le corps de la femme dans les tunnels au XXI e siècle…

Photos Germain Thyssen 
 Vidéo Germain Thyssen
https://www.youtube.com/watch?v=CgnpySEbxSc






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