mercredi, janvier 07, 2015

ÉLÉGANTE ET BELLE



LA BELLE HÉLÈNE (1864)
Opéra bouffe en trois actes de Jacques Offenbach (1819-1880)
Livret d'Henri Meilhac (1830-1897) et Ludovic Halévy (1834-1908) 
Opéra de Toulon
27 décembre 2014


La Guerre de Troie eut lieu
    Hélène de Troie, la belle Hélène, selon Homère, fut cause de la guerre de Troie. Cette Hélène quelle hérédité ! Quelle famille ! En effet, du côté généalogique, elle est née des amours de sa mère, la reine Léda, avec un cygne, en réalité Zeus, en grec, Jupiter pour les Romains, métamorphosé en ce volatile pour tromper et détromper la vigilance de sa jalouse de femme, Héra ou Junon emblématisée par le paon, le pa/on chez Offenbach et ses compères librettistes. Côté famille latérale, du même œuf, Hélène a pour frères Castor et Pollux, les jumeaux, les gémeaux. Elle aura une fille, la jalouse Hermione de l’Andromaque de Racine qui fera tuer son amant par Oreste amoureux fou d’elle ; quant à sa sœur, Clytemnestre, aidée de son amant, elle assassinera son mari, le roi des rois Agamemnon au retour de la Guerre de Troie, car il a fait sacrifier leur fille Iphigénie pour avoir des vents favorables et Clytemnestre sera à son tour assassinée par son fils Oreste, poussé par sa sœur Électre, pour venger le père. Jolie famille !
    Elle causera aussi bien des ravages, notre chère Hélène, héroïne bien innocente encore, enjeu d’un jeu qu’elle ignore, disons le jeu non de paume, mais de la pomme, le fruit. Eh oui, la pomme, pas celle d’Ève ni la pomme d’Adam Mais la pomme de discorde (de là vient l’expression) de Pâris. Nous sommes sur le Mont Ida : Héra (Junon), Athéna (Minerve) et Aphrodite (Vénus), trois déesses, ont une compétition guère divine mais bien humaine, bref, un concours de beauté couronné d’une pomme pour la gagnante : elles se disputent le titre de la plus belle. Et voilà : le beau prince troyen Pâris passait par là comme simple berger. Elle s’en remettent au jugement du jeune homme. Ce dernier offre le prix à Vénus qui, recevant la pomme de la plus belle déesse, promet à Pâris la plus belle des mortelles, Hélène de Sparte, mariée au roi Ménélas, hélas. Il l’enlèvera et l’on verra la suite funeste : la Guerre de Troie.

La Guerre de Troie n’aura pas lieu
    Du moins chez Offenbach et ses deux érudits librettistes qui nous en présentent les héros, avant la tragédie, les drames, en pleine comédie de ces boulevards tracés par le Second Empire en gloire : Hélène en cocotte, Pâris en jeune premier rusé, Oreste en fils à papa débauché, Agamemnon, roi des rois bien vivant encore, Achille bouillonnant et vibrionnant myrmidon  au cerveau limité par le casque, et Ménélas, en exemplaire parfait des cocus du vaudeville français du temps.
   
Car La Belle Hélène (1864) est aussi connue que méconnue. Qui, en effet, aujourd’hui, peut identifier, pour s’en délecter, toutes les références généalogiques, mythologiques, détournées de façon comique, qui tendent, comme l’arc d’Ulysse, le texte cocasse mais très érudit d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, les duettistes librettistes futurs auteurs de Carmen ? Ainsi, une seule allusion rapide d’Achille combattant « à un contre mille », « grâce à [son] plongeon » ne se comprend que si l’on sait que sa mère, pour le rendre invulnérable, le plongea, enfant, dans les eaux du Styx, fleuve des Enfers, pour le rendre immortel, le tenant simplement par les talons, seules parties non trempées qui resteront ainsi vulnérables : il en mourra d’une flèche de Pâris, lors du siège de Troie. D’où l’expression, le talon d’Achille, la part, le maillon faible de quelqu’un. Mais à texte savant, musique virtuose, qui décomposant des mots de manière surréaliste déjà, a sans doute fixé dans la tradition et la mémoire collective ces noms de rois, ainsi, le bouillant Achille, « le roi myrmidon », ce  roi « barbu, bu qui s’avance, c’est Agamemnon », Ménélas, « l’époux, pou de la reine »,  qui partira « pour la Crète », l’île aux cornes qui orneront sa tête après que Pâris sera parti avec sa femme Hélène pour Troie.

Réalisation et interprétation
    La fête va bien à Offenbach, compositeur festif, et les fêtes de fin d’année, qui le voient programmé un peu partout, le lui rendent bien. Et mal. En effet, le raffinement facétieux de sa musique et de ses livrets, par méconnaissance, ignorance, inculture, donnent lieu trop souvent à des productions tirant par le bas de la gaudriole et grasse gauloiserie lourdingue au goût douteux ce qui relève de la suggestion, de l’allusion légère et de la parodie plus colorée, à la fois historique, politique : verve musicale et verbe extrêmement cultivés. Alors, l’étourdissant tourbillon l’emporte sur la finesse de la nuance. 
    On saura gré ici à Bernard Pisani, qui signe la mise en scène et la chorégraphie, d’avoir résisté à la lourdeur et paré cette Hélène d’une élégance classique de bon aloi. Inspirée des tableaux de Lawrence Alma Tadema, le « peintre du marbre », néo-classique, antiquisant, opposant les lignes nettes de sa géométrie au flou de l’impressionnisme en plein essor à l’époque, la scénographie d’Éric Chevalier est habile : quelques degrés blancs, à la fois entrée et montée vers le temple, tribune et trône, serrés aux deux extrémités de volutes stylisées, praticables servant de fauteuils imposants, suffisent à une sobre caractérisation antique. Les costumes de Frédéric Pineau sont à cette échelle : jouant de l’antique avec des signes parodiques contemporains et des couleurs d’un technicolor hollywoodien tout aussi élégants, sans tapage ni ravage, dont des bleus cobalt magnifiques, clins d’œil souriant aux péplums de Cinacittà, puisque des fauteuils de tournage aux noms des acteurs, à la fin, renvoient explicitement au monde du cinéma. Les lumières de Jacques Chatelet sont en harmonie avec cette belle vision d’ensemble, avec un onirisme d’azur ombreux dans la scène du rêve d’amour entre Hélène et Pâris.
   Mais on apprécie, dans cette harmonie générale entre scène, décors costumes et lumières, les mouvements rythmiques, chorégraphiques souvent, des personnages et des chœurs qui confèrent au plateau une unité visuelle qui joue avec celle de la fosse, de la musique, enchaînant mouvements de valse suggérés, galops, ébauches de cancan  : parmi les réussites, Ménélas, le roi, cocu annoncé, littéralement « roulé » par tout le monde comme une balle, une vague, qui le pousse à partir pour la Crète, l’île aux crêtes maritales ornées.
   On attend toujours au tournant la scène de la charade, que la tradition adapte plus ou moins bien au goût  bon ou mauvais du jour. Ici, la locomotive révolutionnaire du temps devient l’Airbus A 380 et Chronopost pour la poétique colombe de Vénus, amusante trouvaille. Les allusions contemporaines, le fort de Brégançon, une chanson d’Aznavour, l’apostrophe télévisée de Maurice Clavel quittant en 1971 le plateau de l’émission À armes égales, « Messieurs les censeurs, bonsoir! », sont trop discrètes ou lointaines et ne soulèvent que peu de rires.
    Côté vocal, on pouvait craindre, avec le luxe royal d’une Karine Deshayes, magnifique Hélène au velours somptueux d’un timbre charnu et souple, plein de voluptueuses promesses, hilarante dans l’air tragique échevelé de « l’homme à la pomme » —à y tomber— une faiblesse mitoyenne du reste de la distribution. Mais Cyrille Dubois, haute contre, ténor aigu dans la tradition française baroque et néo-classique, en ductile Pâris, est un digne —non futur mais présent— amant, donnant des aigus superbes de coq vainqueur. Le troisième du ménage à trois du vaudeville, Yves Coudray, est un Ménélas qui réussit à être touchant d’innocence dans le rôle ingrat du futur cocu, exhorté par l’autoritaire et grande gueule Agamemnon d’Olivier Grand à s’immoler, à accepter son sort, pour préserver les « Ménélas de l’avenir ». Le rusé Calchas est campé de picaresque façon par Antoine Garcin en voix et veine (forcée) au jeu. Les deux Ajax, Yvan Rebeyrol et Jean-Philippe Corre, sont de très drôles Dupont et Dupont antiques et Vincent de Rooster un Achille truculent, plus bredouillant que bouillonnant dans la charade. Eugénie Danglade est un Oreste léger et bondissant, voyou de bonne famille et en rien futur matricide, triolisant à plaisir de façon enviable avec les belles Léœna et Parthoénis (Hélène Delalande et Marie-Bénédicte Souquet), Rosemonde Bruno La Rotonda est Bacchis qu’on a envie de réentendre. Antoine Abello (Philocome) et Dominique Lambert (Euthyclès) ferment la ronde et forment la bacchanale de ce plateau joliment endiablé.
   À la tête de l’Orchestre et des chœurs de l’Opéra de Toulon parfaitement préparés et intégrés (Christophe Bernollin) Nicolas Krüger mène tambour battant la musique, baguette pétillante, pétulante, pétaradante quand il convient.

Opéra
 de Toulon 

La Belle Hélène
 de Jacques Offenbach
Coproduction Opéra-Théâtre de Saint-Etienne et Opéra-Théâtre de Metz
27, 28, 30, 31 décembre 2014

Orchestre, chœur et ballet de l’Opéra de Toulon
Direction musicale : Nicolas Krüger.
Mise en scène et chorégraphie : Bernard Pisani. Décors : Éric Chevalier. Costumes : Frédéric Pineau. Lumières : Jacques Chatelet.

Distribution :
Hélène : Karine Deshayes ; Pâris : Cyrille Dubois ; Ménélas : Yves Coudray ; Agamemnon : Olivier Grand ; Calchas : Antoine Garcin ; Oreste : Eugénie Danglade ; Achille : Vincent De Rooster ; Ajax I : Yvan Rebeyrol ; Ajax II : Jean-Philippe Corre ; Léoena : Hélène Delalande ; Parthoénis : Marie Bénédicte Souquet ; Bacchis : Rosemonde Bruno La Rotond ; Philocome : Antoine Abello ; Euthyclès : Dominique Lambert.

Photos : © Frédéric Stéphan


1. "Il nous faut de l'amour!";
2. "L'homme à la pomme" : Cyrille Dubois ;
3. Hélène (Karine Deshayes), prête à la/le croquer ;
4. "Voici les rois de la Grèce!" ;
5. "Ce n'est qu'un rêve…" : Dubois, Deshayes ;
9. Départ pour Cythère.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire