vendredi, octobre 26, 2012

LA BOTTE SECRÈTE


LA BOTTE SECRÈTE
Opéra-bouffe en un acte (1903)
Musique de Claude Terrasse,
Livret de Franc-Nohain 
Chausseur sachant chausser : le pied !

Inutile de chercher des traces de cette botte-là même par un chasseur sachant chasser. L’histoire musicale, ingrate, a oublié, à tort, Claude Terrasse (1867-1923), compositeur pourtant parti d’un bon pied, auteur de la musique de scène d’Ubu Roi de son ami Alfred Jarry et dont la musique pimpante de cet opéra-bouffe vaut mieux que d’autres de compositeurs pompeux, pompiers, pompants. Surtout assaisonnée du livret piquant de Franc-Nohain (1872-1934), avocat de formation, sous-préfet sinon aux champs, au chant, puisqu’on a retenu de lui le texte spirituel de L’Heure espagnole (1919) mise en musique par Ravel.
L’œuvre
Les deux compères ont réussi une œuvre où rien ne pèse ni ne pose, d’une fantaisie débridée qui, dans la veine d’Offenbach, joue des détournements culturels (le prince de Commagène, clin d’œil à la Bérénice de Racine, le duc de Nevers du Bossu de Paul Féval et sa botte secrète à l’épée), des parodies musicales du grand opéra, et anticipe les non-sens dadaïstes. Mine de rien, au petit pied, cette histoire échevelée de chaussure et de chausseur, au second degré, s’adresse à un public cultivé pour en goûter la pointure, mais, à pas de géant, y implique le plus vaste auditoire par l’immédiateté jubilante des effets à gros sabots et rires, à coups de pieds dans le plat.
On peut donc goûter à la fois, des « Airs de liste » dans la tradition de l’opera buffa italien du XVIIIe dont le sommet est le catalogue des femmes de Don Giovanni par Leporello,  tels, ici, en solo, duo, trio,
 « Que ce soit du daim, du veau, du chevreau, de la vache, c’est toujours de la peau… », « Toutes les femmes ont la manie de courir dans les bijouteries, les pâtisseries, les épiceries, les merceries, les pharmacies, les lingeries… », etc,

ou les jeux langagiers savants de polyptotes rhétoriques, jeux sur la dérivation du son dont tout le monde s’amuse, comme l’inénarrable ensemble  :
«Tout à l’égout, l’égoutier, dégoutté des égouts, il n’a plus goût à rien ».
C’est pourquoi on regrettera l’absence de surtitrages pour rendre justice à la délirante fantaisie des paroles que, malgré la bonne diction des chanteurs, la célérité de la musique ne permet pas toujours de capter.
L’intrigue est mince : un couple de princes d’un pays inconnu recherche pour en tirer raison, chez un chausseur, le pied coupable imprimé au postérieur princier par une phénoménale semelle par sa taille à la faveur nocturne d’un feu d’artifice républicain de 14 juillet. Le Prince rêve de vengeance et la Princesse, de l’engeance qui, du même coup de pied de l’âne à l’époux, frôla son féminin postérieur d’une pointure à la faire rêver, apparemment à l’étroit avec le gabarit princier. Comme dans le vaudeville, tous les protagonistes se retrouvent, par le méchant et joyeux génie du théâtre, là où il ne faudrait pas : la femme, le mari, les potentiels amants. Posé le nœud de l’action, c’est aussi l’imparable logique mécanique du vaudeville : enquête pas à pas, pied à pied, pied de nez des situations burlesques sur les traces de la trace outrageante de l’indigne chaussure. Intrigue nouée, lacets dénoués, pieds chaussés et déchaussés, coup de théâtres, coups de pied de l’âne, croche-pieds, pieds dans le plat. Il est tellement question de chaussures, bottes, bottines, qu’il y aurait de quoi chausser un mille-pattes.

Réalisation et interprétation
Cette production de la Compagnie Les Brigands, ni de grands chemins ni d’autoroutes autres que les sentiers et détours, plus les tours dans le sac de l’ingéniosité, offre une belle énergie vitaminée en cette période morose de crise.
Une astucieuse scénographie (Florence Evrard) en deux plans superposés reliés par un escalier en colimaçon : en bas, le magasin de chaussures ; en haut, à travers deux lucarnes, un va et vient de pas, de pieds, de jambes : de chaussures comme en démonstration de celles qui se vendent en bas. Pour la revue finale, rideaux envolés, il restera l’épure à la fois post-moderne et d’architecture industrielle métallique du début du XXe siècle, avec de magnifiques effets de frises féminines en d’ombres chinoises sous les somptueuses lumières (Christophe Forey).
Pas de temps mort dans la mise en scène alerte et haletante de Pierre Guillois, abondant en trouvailles cocasses : jeu stéréotypé de cinéma muet pendant l’ouverture animée, jeux de mains, jeux de vilains, de pied chauffant, pour être pudique, ceux de la chaude Princesse chevauchant la jambe érectile de l’amoureux transi. C’est vif, réglé comme un ballet par Stéphanie Chêne, assistante aussi à la scène, la seconde partie étant pratiquement une comédie musicale à l’américaine, aussi dansée que chantée.
On admire autant le talent de chanteurs que d’acteurs des protagonistes de La Botte, Blandine Staskiewicz, voix chaude et fruitée de beau fruit, mezzo qu’on vient d’applaudir à Marseille en Mercedes de Carmen, Princesse allurée et délurée cherchant sexuelle chaussure à son pied, Christophe Crapez, ténor, Prince échevelé avec une tête amusante et médusante de Méduse, le ténor David Ghilardi, Hector au talon d’Achille chatouilleux, chaussant les bottes de sept lieues de l’égoutier dans ses petits souliers, le baryton Vincent Vantyghem, tous chez l’élégant, précis sans être pressant, mesuré mesureur, toujours exact, Gilles Bugeaud, baryton sonore et chaud.
La revue de seconde partie, avec une plaisante continuité thématique sur chaussures et parures, était un tourbillon de chants, de pas de danse joyeux sur des musiques de Jacques Offenbach (Les Brigands, comme par hasard) Maurice Yvain, Reynaldo Hahn, Henri Christiné, Marcel Lattès et des parodies, dont Wagner. Solos et ensembles réglés comme du papier à musique par les comparses de la mise en scène, toujours dans une orchestration brillante de Thibault Perrine  et l’allègre direction de Christophe Grapperon, tous les interprètes d’une remarquable homogénéité de chant et de jeu. Et la beauté des costumes et robes lamées des dames (Axel Aust, assisté de Camille Pénager).
Bref, chacun y trouva chaussure à son pied : le pied !
Opéra de Toulon, 24 novembre
La Botte secrète, de Claude Terrasse et Franc-Nohain.
Production Compagnie Les Brigands. 
Orchestration : Thibault Perrine ; Direction musicale : Christophe Grapperon.
Mise en scène : Pierre Guillois ; chorégraphie et assistante à la mise en scène : Stéphanie Chêne ; scénographie : Florence Evrard ; costumes : Axel Aust ; Lumières : Christophe Forey.
Distribution de la Botte secrète :
La Princesse : Blandine Staskiewicz ; le Prince : Christophe  Crapez ; Monsieur Edmond : Vincent Deliau ; Hector : David Ghilardi ; l’égoutier Vincent Vantyghem.
Distribution de la Revue :
Anne-Lise Faucon, Léticia Giuffredi, Emmanuelle Goizé, Estelle Kaïque, Isabelle Mazin, Lara Neumann, Charlotte Plasse, Camille Slosse, Muriel Souty, Jean-Philippe Catusse, Gilles Favreau, Olivier Hernandez.

Photos : ©Frédéric Stéphan


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