mardi, mai 17, 2011

Concert de l’Orchestre Philharmonique de Marseille


Concert de l’Orchestre Philharmonique de Marseille
Berlioz, Tomasi, Rodrigo, Tchaïkovski
Emmanuel Rossfelder, guitare,
Mark Shanahan, direction.
Opéra de Marseille, 14 mai
Opéra comble pour ce concert de l’Orchestre Philharmonique de Marseille sous la direction bonhomme du chef irlandais Mark Shanahan.
En diptyque, en volet symétrique deux savoureuses pages orchestrales ouvraient et fermaient le programme, Le Carnaval romain, de Berlioz, Le Lac des Cygnes de Tchaïkovski, pleines de couleurs et de danses. Au milieu de ces deux brillantes pièces symphoniques, au cœur, au cœur battant, il y avait deux concertos pour guitare et orchestre.
En ouverture, plus que romain, le fameux Carnaval nous parut vénitien, d’une Venise noyée dans la brume, tant le chef, prenant à contre-pied des interprétations excessivement coloristes de cette page haute en couleurs, estompa dans une brume la vive palette, parfois gaillarde et même égrillarde sainement, populaire, de Berlioz : plus près des pastels XVIII e siècle que des teintes vives et violentes d’un Delacroix romantique. Même parti pris de délicatesse et de nuance dans tout le programme, avec de beaux contrastes dans La Lac des Cygnes, avec un chef se dandidant sinon dansant, dont le bis de « La  danse des cygnes » fut plutôt une humoristique danse des canards pataude et pataugeante, éclaboussée des applaudissements des spectateurs.
Les deux concertos pour guitare, en écoute  et regard symétriques, eurent un soliste d’exception : élève d’Alexandre Lagoya, Emmanuel Rossfelder, guitariste, allure, stature, figure et sourire de rocker, ouvert au public, attentivement souriant aux proches violons et au chef. Son jeu est franc, très hispanique dans sa façon de jouer limpio, ‘propre’ comme l’on dit en Espagne, net, notes bien détachées, jamais savonnées ni brouillés ; franchise d’attaque qui n’exclut pas la délicatesse irisée de la nuance sans mièvrerie.
On ne s’attardera pas sur le concerto fameux, de Joaquín Rodrigo, le Concierto de Aranjuez, lumineux et nostalgique. Depuis sa création en 1940, il a été plus joué, dit-on,que les plus beaux des concertos de Mozart… Mais notoriété n’est pas crime, bien sûr. Il faut dire que ce séduisant tableau néo-classique, oubliant le présent terrible de la Guerre Civile espagnole à peine achevée, tourné vers le passé comme le régime franquiste, rêve d’une Espagne ancienne, idéalisée, riante, dansante, en ses premiers et second mouvements, avec une parenthèse d’ombreuse mélancolie dans son célèbre adagio du milieu où la guitare, en arpèges et gammes descendantes, dialogue avec les volutes de la plainte tendre, aiguë mais adoucie par l’estompe brumeuse du cor anglais, « anglé » (courbé ou coudé) pour être plus précis.
Le concerto d’Henri Tomasi, est sombre, tragique, à la mémoire d’un poète assassiné, Federico García Lorca. Dédié et créé par Lagoya en 1969, à l’inverse, semble fait pour ne pas oublier et pour témoigner de l’horreur passée mais toujours présente de la Guerre, tournant le regard et le cœur en arrière : lorsque les fascistes de Franco, soulevés contre une République légitime, aux premiers jours de la Guerre Civile, en 1936, assassinent symboliquement l’une de ses nouvelles gloires, le délicat et puissant poète, Federico García Lorca, bourgeois aux sympathies populaires, coupable d’innocence poétique, et de vie privée non conforme aux normes de l’appareil répressif franquiste.
D’entrée, brièvement mais fortement, comme un appel de mort de percussions, l’orchestre semble s’ouvrir en rideau de théâtre funèbre, une force de fer, stridente, grinçante, grimaçante, tranchante, acide, qui paraît vouloir broyer dans ses mâchoires de cuivre, d’acier, la voix soliste, solitaire, de la guitare qui émerge de l’ombre. Tout au long, l’orchestre l’interrompt, la rompt, comme brisant une fragile corde, de la guitare ou le fil de la vie, de la vie du poète assassiné. Il ne faut pas s’attendre ici à une charmeuse guitare de sérénade, ni à un folklore espagnol galvaudé : on est dans une Espagne noire, tragique par la fatalité monstrueuse de l’Histoire. Quant un régime s’attaque à la poésie, à l’artiste, la concordance du monde est rompue, et seules les dissonances peuvent dire les débris irréparables de l’harmonie perdue. Même tempérée par la douceur du chef, cette interprétation très intérieure, apparemment moins tragique que celle du créateur de l’œuvre, n’échappait pas à la tragédie : c’était une vraie recréation.
Sans doute pour alléger cette tension et attention aiguë, Emmanuel Rossfelder nous gratifia avec brio de deux bis de célèbres pièces de guitare, Recuerdos de la Alhambra, de Tárrega, et Preludio, Leyenda ou Asturias du picaresque Albéniz, pressé par le besoin d’argent, qui donna trois noms au même morceau comme le rappela malicieusement le guitariste.

RAPPEL : on peut connaître un peu mieux le grand compositeur corse, né à Marseille, Henri Tomasi (1901-1971) en se plongeant dans un livre album passionnant, richement illustré par une belle iconographie:
UN IDÉAL MÉDITERRANÉEN
HENRI TOMASI,
par Michel Solis,
Postface de Daniel Mesguich,
 Éditions Albiana, 182 pages.
Accompagné d’un CD de trois œuvres du compositeur, 25 euros.

Opéra de Marseille, 14 mai
Concert de l’Orchestre Philharmonique de Marseille
Berlioz, Tomasi, Rodrigo, Tchaïkovski
Emmanuel Rossfelder, guitare,
Mark Shanahan, direction.
Photos :
1. Mark Shanahan ;
2. Emmanuel Rossfelder
3. Henri Tomasi.

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