dimanche, août 22, 2010

LA ROQUE D'ANTHÉRON (3)

 
Festival de la Roque d’Anthéron (3)

Saburo Teshigawara et Rihoko Sato, danse contemporaine
Francesco Tristano Schlimé, piano

Arraché aux ardeurs du temple de Lourmarin, sur la douceur nuageuse et nostalgique du jeu de Zhu Xiao Mei, après avoir flâné et dîné légèrement dans un coin de table de ce village cher à Camus, sa dernière demeure, on regagne ensuite le cœur de la Roque, s’acheminant vers le théâtre de verdure du Parc Florans quand le soleil alangui du soir attendrit de rose les rideaux végétaux des arbres. Le festival de piano s’ouvre pour la première fois à la danse.
 
Gestes de la musique et musique gestuelle
Luxembourgeois de naissance, Barcelonais d’adoption, le jeune pianiste Francesco Tristano Schlimé, est précédé d’une réputation d’originalité, d’iconoclaste même, qui ose revendiquer deux amours, sinon sa patrie et Paris, mais Bach et la musique techno. Après tout, rien de choquant que ce long et mince farfadet, T shirt noir et cheveux fous, allure et figure de feu follet moderne, partage le goût des jeunes de sa génération, bien ancré dans son temps sans renier le passé. On imagine aussi que l’ambiance de la toujours novatrice et expérimentale Barcelone, de la folle Ibiza où il n’hésite pas à jouer les DJ, est propice aux mélanges insolites, éclectiques et hétéroclites, grand fenêtre ouverte sur des répertoires parfois trop momifiés par la naphtaline de la tradition.
Le voilà ici, s’affairant comme un lutin penché debout devant son piano ouvert, percutant les cordes à la main, en arrêtant la vibration du plat de l’autre, pianotant des doigts une basse obstinée, lancinante. Un œil  à gauche sur un ordinateur, gamin d’aujourd’hui, mais hautement savant, il contrôle d’autres sons pépiants, jacassants, étonnants, venus d’on ne sait plus où, du piano, de l’espace ? de la musique à coup sûr.
Et, tout en noir, c’est le corps de Saburo Teshigawara qu’on perçoit, ombre furtive, dans un coin de la scène. Un corps ? Sans doute, mais qui aurait reçu la grâce d’un squelette élastique, qui fait oublier son architecture rigide par une destructuration qui semble aux limites des possibilités corporelles : ondulations de vague de la silhouette, divagation de gestes décomposés en ondes, puis, sur la musique plus rythmée, dans une plasticité qu’on dirait celle d’effets de cinéma passant du ralenti à l’accéléré, corps saccadé, saccagé, soudain ressaisi en accéléré par les angles, les angulosités des membres.
Sur un autre motif du piano, plus tendre, vaporeux chemise blanche sur pantalons noirs, étrange papillon hésitant, fleur flottante, paraît la femme, Rihoko Sato, gestes plus amples, en apesanteur dans l’espace ou comme un fin foulard de soie suspendu dans l’eau calme. Paix, sérénité, à la lisière de l’audible de la musique et du sensible de gestes aux frontières de l’immobilité. Aucun enlacement dans l’autonomie concordantes des figures. Les raclements de cordes électrisent soudain les corps, ils sont en vrille sur les trilles de Bach, sur la gavotte gesticulante, la gigue gigotante : en blanc et noir, les deux danseurs sont des notes visuelles, comme les déplacements et manipulations du pianiste sont des notes gestuelles.
Audace et grâce d’un spectacle rare de qualité. Trente ans pour la Roque : une éternelle jeunesse, adolescente ici.

25 juillet 2010
Parc du Château de Florans
Francesco Tristano Schlimé, piano, 
Saburo Teshigawara et Rihoko Sato, danse.
Improvisations ; Bach Partita pour clavier n°6 en mi mineur BWV 830.

Photos : Xavier Antoinet.

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