lundi, novembre 02, 2009

Portraits de femmes à l'époque baroque

 
Lucile Pessey, soprano
Hôpital Saint-Joseph
Marseille

Alors que les crédits pour la culture ne cessent malheureusement de rétrécir, les associations culturelles font des miracles pour offrir un éventail riche en proportion de la pauvreté de leurs moyens, pour nous donner cet aliment de l’âme qu’est la musique. Dangereuse situation qui, si elle honore l’ingéniosité financière de ces producteurs bénévoles et la générosité des artistes, n’est pas à l’honneur des avares institutions tutélaires qui laissent s’installer une situation à terme mortelle pour l’art.
Ainsi, comme si c’était un symbole, dans un lieu de souffrance et de salut, de vie et de mort, dans l’auditorium, confortable mais un peu opaque, de l’Hôpital Saint-Joseph de Marseille, Musique and Co, nous présentait ces beaux portraits chantants de femmes du XVIII e siècle,  doucement présentés par la Présidente Marie-Jeanne Gambini.
 Avec un continuo assuré par Corinne Betirac, clavecin, et Annick Lassalle, viole de gambe, la rayonnante et souriante soprano Lucile Pessey avait la lourde tâche de nous peindre en voix et expressions, ces héroïnes de Hændel, Pergolèse, Rameau, sans oublier la rieuse fille d’une cantate de Bach et peut-être sa femme, Ana-Magdalena. Cette jeune cantatrice, presque à peine brillamment sortie de ses classes, s’est polie en musique ancienne auprès de Musica Antiqua de Christian Mendoze et a tourné en  Europe avec Le Carnaval et la Folie de Destouches, sous la direction d’Hervé Niquet. Elle s’est déjà frottée sur scène à de grandes œuvres et manifeste un sens théâtral réel, sensible ici dans la diversité des affects exprimés par ces héroïnes.
Timbre fruité et rond, légèrement sensuel, médium charnu, elle charme par une présence immédiate, et une incarnation simple de ces femmes dans des situations bien contrastées, dramatiques ou heureuses, en bonne esthétique baroque. D’entrée, on goûte et savoure la Cantate dite du café de Bach (BWV 211) : dans l’effervescence du continuo,  bouillonnant, tourbillonnant, fumant d’une chaude vapeur de petites notes, elle la déguste avec une voix légère, primesautière. On passe avec sensibilité au drame d’Almirena (Hændel, Rinaldo) prisonnière déplorant sa liberté, sur une sarabande où la corde frottée de la viole de gambe gémit et le clavecin verse des larmes d’argent. Puis c’est, badine, ironique, pétillante de vocalises telles des bulles éclatant de rire au nez de Tolomeo, l’air de Cléopâtre , « Non disperar », (Hændel, Giulio Cesare) moquant son frère malheureux en amour, avant d’exprimer sa flamme à César avec de jolies nuances dans « V’adoro, pupille », déroulant de larges rubans de vocalises bien conduites ; en antithèse, c’est le noble lamento, « Piangero la sorte mia », souligné de la ligne de la viole et scandé des implacables accords du clavecin avant le « pont » de la fureur, hérissé de terribles arêtes de vocalises. Avec les deux airs de la Serva padrona de Pergolèse, dans le registre comique, deux airs de caractère opposé, taquinerie et fausse tristesse. Enfin, encore deux morceaux en contraste de Rameau, la plainte funèbre et poétique « Triste apprêts… » (Castor et Pollux), sans apprêts inutiles, toute en ligne tenue et émotion contenue, phrase baroque française  brodant autour du mot final à la différence de la longue période italienne ornée au fil du discours. Enfin, le feu d’artifice fantasque, cocasse et cocotant de l’air de la Folie de Platée, dont la cantatrice se tira à merveille avant d’offrir, en bis, un air du Petit Cahier d’Ana Magdalena Bach, plein de ferveur qui mit en valeur la rondeur de son timbre et sa sensibilité.
Ses deux partenaires, Betirac et Lassalle, apportèrent aussi, au succès de la soirée, une magnifique Sonate en ré, très théâtrale, très passionnée, où l’on sent du Scarlatti, d’une mystérieuse religieuse portugaise, Soror da Piedade, la voix de l’âme de la Sonate en mi mineur de Hændel, transcrite pour clavecin et viole de gambe. On apprécia la noblesse de la Passacaille de C. F. Vitt, aux agiles variations pulsionnelles et passionnelles et, de W. Croft,  le « ground », cette basse obstinée héritée des danses espagnoles, chacone, passacaille, sarabande, qui, sur leur presque immuable tapis harmonique, permettent les plus riches variations, âme du baroque.
Un petit regret, cependant, dans le programme, bien fait, des erreurs sur les deux textes de La Serva padrona, sans doute héritées des mauvaises traductions qui affligent les disques. 



Portraits de femmes à l’époque baroque :
Lucile Pessey, soprano, Corinne Betirac, clavecin et Annick Lassalle, viole de gambe : Bach, Hændel, Pergolèse, Rameau, Soror da Piedade, Croft, Vitt.
Hôpital Saint-Joseph
Marseille, 15 septembre 2009.



Photo: Lucile Pessey

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