mardi, novembre 03, 2009

PSYCHÉ



Pièce de Molière et Corneille
Musique de Lully
Opéra de Toulon

Le bel opéra néo-baroque de Toulon, finement restauré, était voué à Lully. Ici, pas de sonnerie aiguë pour inviter les spectateurs à rejoindre leurs places, mais les accords dansants solennels d’une danse de Lully. Voici donc le créateur italien de l’opéra à la française qui entre triomphalement en cette scène comme chez lui par la grâce d’une heureuse et audacieuse programmation  de Claude-Henri Bonnet, son Directeur général, et les efforts conjoints de eux jeunes compagnies, l’une théâtrale, la Compagnie du Griffon, l’autre de musique baroque avec instruments anciens, au nom joliment érotique emprunté au libertin Diderot, Les Bijoux Indiscrets. 


L’œuvre
Elle repose sur le mythe, tardivement transcrit en latin de traditions grecques anciennes par Apulée, en 160 après J.C., dans ses célèbres Métamorphoses ou l’Âne d’or, ouvrage érotique et burlesque, dont la complexité narrative et les récits enchâssés, avec d’autres romans grecs de ce II siècle, seront le modèle de ce que l’on appelle aujourd’hui le roman baroque.
Psyché, telle Cendrillon, est la plus belle des trois filles d’un roi, si courtisée par une foule d’amants que Vénus, qui voit par eux ses appas méprisés, en conçoit une bien humaine jalousie pour une déesse et charge son fils Cupidon d’assouvir sa vengeance en rendant la jeune fille amoureuse d’une hideuse créature (on pense à Titania, dupée par Obéron qui la fait tomber amoureuse d’un âne). Mais le jeune dieu de l’Amour, Éros des Grecs ou Cupidon des Romains, succombe aux charmes de Psyché et la sauve alors même que son père, pour complaire à Apollon, s’apprête à la sacrifier sur une montagne à un monstre (et l’on pense au sacrifice d’Abraham, à celui d’Iphigénie par Agamemnon). La curiosité malheureuse de Psyché qui veut connaître l’identité de son amant salvateur, est aussi une infraction fatale aux interdits des dieux jaloux de leur mystère, tel celui  de Sémélé, foudroyée par Jupiter, tel l’interdit imposé à Orphée pour garder sans regarder Eurydice, fatale indiscrétion de la femme amoureuse que l’on retrouve encore dans Löhengrin de Wagner où Elsa perdra de la sorte son fiancé venu d’ailleurs. Bref, ce mythe condense légendes et autres mythes, sans oublier l’interprétation symbolique : si Psyché, la psyché, l’esprit, est aussi l’âme, c’est l’aspiration finale, idéale de l’amour, le chemin de perfection amoureux qui mène de la beauté du corps érotique selon Platon, au Beau, au Bon et au Vrai. À Dieu pour les mystiques néo-platoniciens.

Mais ici, on en restera au divertissement profane linéaire : jalousie de femmes (les sœurs et Vénus) envers une femme plus belle, amours contrariées par la puissance familiale puis par le doute intime, la découverte éblouie de l’amour par deux jeunes gens, dans un marivaudage avant la lettre qui doit beaucoup au théâtre espagnol de Lope de Vega et, directement, à Calderón. En effet,  l’Amour amoureux avait déjà inspiré au grand dramaturge, en 1662, une comedia qui, sans être une zarzuela (l’opéra baroque à l’espagnole), est une pièce où la musique a un grand rôle, que Corneille, féru de théâtre espagnol, et Molière qui suivit le Prince de Conti dans la guerre de Catalogne, connaissait aussi parfaitement.
Malgré leur brouille, Corneille et Molière s’unissent pour écrire le livret d’une tragédie-ballet à machines pour le roi, en 1671, musique de Lully, les paroles chantées étant confiées à Quinault, à part  la « Plainte italienne », probablement du compositeur lui-même. En 1678, Lully reprendra cette pièce, mais adaptée pour la musique par Thomas Corneille, frère de Pierre, qui deviendra une tragédie lyrique.
La réalisation

Dans cette longue pièce, Julien Balajas, qui en signe la mise en scène, a taillé un texte judicieusement plus léger, et de ces musiques, Claire Bodin, a coupé les intermèdes oiseux pour garder les passages dramatiques, en sorte que cette Psyché réussit la gageure d’être à la fois ancienne et nouvelle, et sans lourde et onéreuse reconstitution baroquisante, préserve le meilleur de l’esprit baroque original. En effet, on craignait, de l’intention de ramener l’action aux années 1900-1925, encore un asservissement de jeunes créateurs à cette mode de l’actualisation des œuvres, déjà vieille, sur toutes les scènes, de près d’un demi-siècle. Mais, ici, les costumes (Gabriel Vacher) pour les dames, de la double esthétique Art Nouveau et Art Déco renvoient au néo-baroque et rococo 1900 avec ses robes à falbalas et fanfreluches, et l’épure néo-classique 1925 avec ses tuniques pures, à une Antiquité stylisée : c’est élégant et intelligent. Zéphyre (Jean-Jacques Rouvière), serviteur ailé et zélé de Cupidon, en costume d’aviateur pionnier, et Amour (Julien Balajas), en blazer rouge (aussi de timidité, tout faraud d’un baiser) de collégien british ou de Tintin tombé en tentation amoureuse sont fort drôles. Deux fauteuils néo-Louis XV et un vaste et solennel tableau de puissante famille situent Psyché et les siens au premier acte, avec ses deux inénarrables sœurs envieuses, Aurélie Cohen (Aglaure) et Véronique Dimicoli (Cydippe), la sèche et la boulotte, qui compensent leurs complexes physiques et leur appétit sexuel frustré en s’empiffrant nerveusement, hystériquement, de friandises.
Le second acte, avec juste une sorte de petit échafaud pour le sacrifice, avec sombre fond tourmenté et silhouette de château, est superbe, picturale mise en valeur de la robe blanche de la victime et de la magnifique déploration polyphonique menée par la ligne impeccable d’Eugénie Warnier, soprano, et d’un quatuor tout aussi émouvant de chanteurs. En contraste, le palais enchanté où Cupidon enlève sa belle, avec une végétation stylisée à la Douanier Rousseau et un édifice aux lignes nouilles de Guimard ou Horta, est lumineux, joyeux, souple et variée scénographie de Luc Londiveau aussi diversement éclairée par Marc-Antoine Vellutini en fonction des tableaux et de la couleur des situations dramatiques. Mais on n’aurait garde d’oublier, magnifique trouvaille humoristique, d’entrée, la tirade vengeresse d’une vraie Vénus de beauté (Ophélie Kœring) dont l’Olympe ou la Cythère serait une loge de théâtre, un implacable miroir pour la femme mûrissante et presque rugissante de se voir vieillir face à l’innocente péronnelle, qui est projetée comme un cinéma balbutiant, à l’image tremblotante et crépitante : le mythe et sa divinité, sa diva, sa déesse d’aujourd’hui.
La mise en scène est souple, inventive donc, avec des silhouettes à la BD, des jeux de duo, de symétries et dissymétries burlesques entre les deux sœurs et les deux prétendants (Bruno Detante et Jacques Rouvière), des vers débités à l’unisson, jolie façon de gagner du temps, des arrêts sur image, des gags sonores (René Maurin). Maïa Guéritte est une délicate et fragile Psyché, aspirant au sacrifice comme Iphigénie, face à un père désespéré (Guy Lamarque, Jupiter), et découvrant l’amour, comment l’esprit vient aux filles, avec une spontanéité et une fraîcheur délicieuse d’Agnès de l’École des femmes.
Il n’y a pas de solution de continuité entre la scène et la fosse puisque le beau quintette vocal monte sur le plateau, chœur antique saisissant, ou, individualisé, se substituant en chant aux personnages parlés, ainsi Lina Yang, fine soprano, et Luigi De Donato, basse, à la voix bouleversante de père blessé, avec e dignes partenaires Renaud Tripathi/François-Nicolas Geslot haute-contre et Carl Ghazarossian, ténor. Du clavecin, Claire Bodin mène sa troupe avec toute la souplesse baroque requise et un effectif judicieusement choisi d’instruments anciens dont la délicatesse répond à la finesse de cette versification qui alterne les vers de 12 et de 8 pieds, avec une fluidité que n’a pas le bourdon et le ronron souvent monotones de l’alexandrin continu.
Une danseuse, Sarah Berreby, remplit les espaces dévolus aux intermèdes, mais la chorégraphie mériterait peut-être un peu plus de détail. Presque un spectacle de tréteaux touché par la grâce et qui mériterait de tourner.

Psyché
Corneille, Molière, Quinault, musique de Lully


Julien Balajas, mise en scène et adaptation ;Claire Bodin, direction musicale et choix musicaux ; Sarah Berreby, chorégraphie; Luc Londiveau, scénographie ; Gabriel Vacher, costumes ; Marc-Antoine Vellutini, lumières ; Aurélie Cohen, assistante à la mise en scène.
Compagnie du Griffon :
 Ophélie Kœring, Vénus ; Aurélie Cohen, Aglaure ; Véronique Dimicoli, Cydippe et le Fleuve ; Maïa Guéritte, Psyché ; Bruno Detante, Cléomène ; Jean-Jacques Rouvière, Zéphyr et Agénor ; Julien Balajas, Amour.
Compagnie Les Bijoux Indiscrets (Instruments anciens) :
Chanteurs :  
Eugénie Warnier, soprano ; Lina Yang , soprano ; Renaud Tripathi/François-Nicolas Geslot, hautes-contre ; Carl Ghazarossian , ténor ; Luigi De Donato basse.
Danseuse, Sarah Berreby.

Opéra de Toulon
23 octobre 2009  (matinée scolaire), 23 octobre 2009 , 25 octobre 2009;
 Opéra national de Montpellier (04 6è 60 19 99) : 5 novembre, 20 heures; 8 novembre, 15 heures.

Photos: © k Belhatem.
1. Psyché et ses sœurs;
2. Psyché et Amour.

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