jeudi, mai 10, 2007

JULIA MIGENES

Julia Migenes
Alter ego
Théâtre du Gymnase, Marseille

« Les Visiteurs du Soir », nom vibrant du souvenir magique du film de Carné et Prévert avec diable et ménestrels, sont venus visiter Marseille avec une magicienne et belle diablesse de la scène et du chant : Julia Migenes. Mis en scène par Philippe Calvario, ce ce récital , Alter ego, ‘Autre moi’, est comme un magique miroir où Migenes mirerait (admirerait comme nous), les multiples faces, facettes du talent de Julia, si multiple en un, en un ravissant minois : toujours différente et toujours elle-même. En effet, chanteuse d’opéra, d’opérettes (viennoises, françaises), de zarzuelas espagnoles, de jazz, de chansons internationales, du tango, du boléro au negro spiritual, elle est aussi actrice, metteur en scène : il n’y a pas une partie de l’art divers de la scène qui soit étrangère à Julia, cette portoricaine mâtinée de Grèce, métissée d’Irlande, née dans le melting pot de New York, polyglotte et citoyenne universelle par la musique et le succès, illustration constante de la variété au meilleur sens du terme.
Sur scène dès l’âge de 3 ans, elle brûle les planches, vraie Maria portoricaine dans West Side Story avec la bénédiction de Leonard Berstein, le compositeur, créatrice et interprète d’opéras contemporains, tel The Saint of Bleaker Street de Menotti, cher aux Marseillais à qui il a fait l’an dernier encore une visite avant de mourir, Lulu de Berg au Met, et mémorable Salomé de Strauss chantant et dansant pour Maurice Béjart, metteur en scène. Pour le film du grand Francesco Rosi, face à Placido Domingo, elle est Carmen : sans en avoir la voix, elle en a l’âge, le visage, la rage, l’abattage, en laisse une mémorable version filmée. Auteur, elle promène dans le monde son hilarante Diva au bord de la crise de nerfs, ses Passions Latines. On s’épuiserait sans épuiser le répertoire de Julia, ses disques, ses prix…
Au Gymnase, on l’attendait, elle nous tendait, sa traversée du miroir, en chant, enchantement. Crinière rousse de lionne, frimousse espiègle d’éternelle gamine, bustier noir sur pantalons noirs sur talons aiguilles, mouvante et émouvante silhouette sensuelle, moulée, chaloupée, balancée, dans un halo de lumière, elle entre en scène, elle entre chez elle et nous y invite avec une simplicité souveraine, directe, s’adressant au public dans un délicieux français coloré d’accent américain. Elle explique le choix de ses morceaux : 14 chansons la plupart, américaines deux brésiliennes, une française (belge, en fait) de Brel, Les Paumés du petit matin, mêlée avec le fameux Milord de Piaf, une belle mélodie irlandaise et une poignante ballade ancienne irlandaise aussi. Tous les arrangements d’Édouard Ferlet, par ailleurs pianiste et compositeur dont on apprécia deux morceaux, sont originaux, et mettent en valeur l’art de Julia, passant du grave de la voix de crooner à la voix de tête lyrique, qui n’a rien perdu de son brillant, de ses nuances, un vaste éventail de ressources vocales, très personnel, au service de l'émotion. Elle chante la tristesse embrumée de la fin des amours dans How insensitive (« when a love affair is over… »), la solitude des arrachements loin de la mère, du foyer, de la patrie, poignant spiritual hérité de sa mère, Motherless child ("I feel alone…"), les proches souvenirs familiaux du jazz (Miles Davis) et les lointains de la violence de la guerre dans la douceur des blés, mais la joie, la jubilation aussi, terminant par un hymne vibrant en action de grâces à la vie, Hallelujah.
Le jeune Thierno Thioune, break danseur, agile comme une élastique, tourbillonnante toupie vertigineuse du hip hop, donnait la réplique muette mais éloquente de la danse à l’enchanteresse chanteuse, le pianiste Édouard Ferlet faisait déferler les arpèges du clavier virtuose de son piano parfois « arrangé » à la Cage, le violoncelle d’Alain Grange donnait la ligne d’horizon de sa nostalgie et, à la batterie et aux palpitantes percussions, Xavier Desandre-Navarre devenait un rapeur à l’accent brésilien très convaincant.
9 mai

Photos de Julia Migenes :
© Dana Rossini

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