mercredi, avril 25, 2007

XVI e FESTIVAL DE MUSIQUE SACRÉE Mars-Avril 2007 Sacré et consacré

Plus de 20 ans d’existence pour les Festes d’Orphée de Guy Laurent, directeur de cet ensemble baroque, 16 ans pour son Festival de la Semaine Sainte à Aix : consécration d’une démarche originale. À l’inlassable quête musicologique en bibliothèque de partitions anciennes, oubliées ou perdues, du continent presque immergé du patrimoine de la musique baroque provençale, Guy Laurent joint leur patiente restauration et complète cet intense labeur en les faisant généreusement connaître au public par ses interprétations remarquables d’exigence stylistique, confiées à un chœur, à des solistes vocaux et instrumentaux mêlant harmonieusement des professionnels et des amateurs dignes de l’être par leurs qualités. Une cinquantaine d’œuvres ont ainsi été sauvées du naufrage du temps, présentées en nombreux concerts durant toute la saison (Les mardis musicaux), heureusement mémorisées par des disques.
Le Baroque, auquel se voue Laurent pour sa part musicale, né à Rome, migrant dans toute l’Europe et émigrant outre-mer avec l’expansion coloniale espagnole et portugaise (jusqu’au Indes et même le Japon) est devenu, de la sorte, comme nous l’avions défini en 1992 pour fêter le 400 e anniversaire de « La rencontre de deux mondes » à l’UNESCO, le seul art aussi universellement répandu, le plus grand facteur commun entre toutes les cultures : la plus belle et noble mondialisation, la plus exemplaire, par l’Art.
On saluera donc Laurent qui, loin d’en rester à une exhumation régionaliste et nombriliste, identitairement étriquée et confinée, confronte sans affrontement ces partitions locales, les met en écho harmonieux avec d’autres productions de ce même répertoire tant françaises qu’européennes et même latino-américaines : leur intérêt et leur spécificité s’en trouvent éclairés à la lumière de cette confrontation. Régionalisme universel, donc, et intemporel aussi puisque ouvert par ailleurs à la création contemporaine : découvertes et redécouvertes, jeu de réponses, de répons au sens musical et liturgique, entre cultures et époques.
Ainsi, cette année, l’événement du Festival fut, dans le lieu qui la vit éclore, la Cathédrale Saint-Sauveur, la re-création du grand motet Dixit Dominus de l’Aixois Claude-Mathieu Pelegrin (1682-1763), repris dans la miraculeuse acoustique de Saint-Victor à Marseille. L’œuvre d’hier faisait paire avec une œuvre d’aujourd’hui, Découverte, de Michel Pascal. Bach, Campra l’Aixois et Archambaud l’Avignonnais se partageaient aussi la riche affiche,
Sous les voûtes en berceau et les croisées d’ogive de l’abbaye, le Dixit dominus (1723) de Pelegrin, pour quatre solistes et chœur à cinq voix, séduisait par son énergie roborative, l’expressivité de ses parties (symphonie, récit de soliste, chœur) dans une écriture figurale collant au texte, rythme iambique à la française pour l’entrée, vigueur effervescente du chœur tourbillonnant, torrentiel, jubilant, un céleste Gloria patri en duo : l’aigu de la voix (lumineuse Laure Bonnaire), sur laquelle voletaient deux violons ailés planait en extase au-dessus du sombre tapis onduleux de l’orgue (Brigitte Tramier) et de l’ambre chaleureux et profond de la basse (René Linnenbank), dans un sentiment d’une pure et voluptueuse élévation de l’ombre à la lumière.
Même sentiment de « peinture éloquente » du In convertando de l’autre Aixois, André Campra, déployant tout l’éventail d’une riche et puissante polyphonie, jouant des contrastes rythmiques, avec un superbe violoncelle obstiné (Franck Lespinasse). Les deux Provençaux ne pâtissaient pas du voisinage de Bach et son Christ lag in Todes Banden (BWV4), un chœur majestueux, syllabique au début puis aux diminutions polyphoniques, un duo soprano/alto (Béatrice Lièvre) au prélude déchirant de cordes dramatiques et au soutien d’un ostinato fatal et, dans d’autres parties, une véloce course poursuite entre cordes graves et aiguës, des vocalises de l’espoir comme autant de volutes ascendantes, d’une sublime et simple grandeur.
La découverte, pour beaucoup, c’était Esteban Salas y Castro (1725-1803), maître de chapelle à Santiago de Cuba, le premier compositeur cubain dont une partie de l’œuvre soit arrivée jusqu’à nous, découverte par l’écrivain et musicologue Alejo Carpentier. Le programme « Passion baroque à Santiago de Cuba » était un hommage à la production de ce dévot de la Vierge, large éventail qui va des teneurs grégoriennes glosées dans une austère tradition hispanique, de sombres Lamentations de Jérémie à un rayonnant Salve Regina émancipé des formes liturgiques, soulevé d’ondes lumineuses, traversé d’une allégresse à la Pergolèse, très en faveur alors à Cuba, qui illustre bien l’écoute attentive de l’Europe, au-delà des mers. Un délicieux villancico populaire, rendait la Vierge à sa nature humaine et féminine, par une musique enjouée, propre à ce genre.

Dans la production discographique des Festes d’Orphée de Guy Laurent, on citera les trois volumes :

Les Maîtres baroques de Provence, Parnasse éditions
I. A. Campra, Ch. Desmasures, G. Poitevin, A. de Villeneuve
(Premières mondiales) ;
II. A. Campra, Ch. Desmasures, G. Poitevin, A. de Villeneuve, L. Belissen, J. Audiffren ;
III. Grands Motets Provençaux : Laurent Belisen, Pierre Gautier.

Parmi les autres disques gravés par Les Festes d'Orphée, voici le septième, avec les mêmes interprètes du concert de Saint-Victor :
Grands et petits motets de Jean Gilles (1668-1705) coll. K617, Harmonia mundi.

27 mars-8 avril

Photo : Guy Laurent à son pupitre.


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