lundi, avril 09, 2007

HEURE DU THÉ, mars, Opéra de Marseille


L’HEURE DU THÉ

Le rendez-vous mensuel du CNIPAL continue à enchanter le foyer de l’Opéra en nous présentant ses jeunes chanteurs, un déjà bien connu, Marco di Sapia, baryton, une soprano entendue dans les opérette américaines, Olivia Doray et, enfin, se présentant pour la première fois ici, la basse croate, Tomislav Lucic.
Programme consacré en première partie au lied allemand du XIX e siècle et à la mélodie française du XX e et, en seconde, à Mozart. De la vignette de la mélodie, paysage, anecdote, poème, qu’il faut imposer immédiatement et changer rapidement d’état d’âme, d’atmosphère, pour passer à une autre à l’opéra mozartien, musique et théâtre intimement mêlés, c’est un exercice à la fois vocal, stylistique, qui requiert une grande maîtrise technique, musicale, artistique et mentale. Seuls les plus grands chanteurs se sont imposés dans les deux disciplines et l’on sait que la mélodie a été la grande lacune -en dehors de sa voix- de Callas qui s’est cantonnée dans le seul répertoire d’opéra. C’est donc une rude mais nécessaire discipline à laquelle les jeunes stagiaires du CNIPAL sont pliés et dont ils se tirent souvent très bien.
Hugo Wolf, mort prématurément, longtemps mal aimé des récitalistes, a laissé 350 lieder loin d’être tous très fréquentés, ceux inspirés de l’Espagne et de l’Italie, étant les plus célèbres. Six poèmes du « Livre de lieder italiens » étaient ici interprétés. D’inspiration populaire italienne pour les textes, mais sans couleur locale à part la mention de villes, ces poèmes chantent le plaisir d’un amour farceur et joyeux. Marco di Sapia, savourant les textes et la langue, est d’abord le faux moine bourru, ruse du renard dans le poulailler des filles, l’amoureux qui en fait des tonnes, le donneur de sérénade qui tombe sur un bec : celui de la belle oiselle espiègle, volage Colombine et guère colombe qui ne tombe dans les rets de l’oiseleur, mais le fait tomber d’un pied de nez dans les siens pour agrémenter sa collection, son catalogue d’hommes sinon dans chaque port, dans chaque ville. Quand il s’agit d’Olivia Doray, vibrante, ravissante, voix de soie délicatement ourlée, timbre perlé, joliment malicieuse, on voit que le combat est perdu d’avance dans le duel ou le duo que supposaient ces lieder joliment couplés sinon accouplés.
Deux des trois poèmes de Michel-Ange, méditation sur la vie, le temps, l’amour, et un sonnet de réflexion néo-platonicienne sur une beauté au-delà du terrestre mais à laquelle conduit le beauté d’ici-bas, furent interprétés avec la gravité requise par Tomislav Lucic : voix d’ombre sonore, rocailleuse, taillée dans un marbre sans pesanteur dans des aigus aisés, ailés. Larges et lourdes touches mélancoliques d’un piano puissant remuant des profondeurs harmoniques que fait émerger Nino Pavlenichvili au clavier.
Avec la même évidence vocale et linguistique, Marco di Sapia se lance dans le dramatique et funèbre « Roi de elfes » de Schubert, perpétué sottement dans l’erreur de traduction et tradition de Roi des Aulnes : un cavalier dans la nuit, un père portant son enfant délirant et sollicité par la mort (masculine en allemand). Quatre voix ici : un narrateur, le père, l’enfant et la doucereuse invitation de la mort, sans oublier le piano au galop angoissant. Di Sapia s’en tire à merveille, encore que gêné sans doute, dans la ligne fragile de l’enfant, par le piano un peu trop lourd. Avec le même bonheur, il sert une chanson gaillarde de Poulenc et, extatique et brillamment ivre, les Chansons de Don Quichotte à Dulcinée. Dans Mozart, il est un Comte séducteur séduit et un Don Juan, aristocrate cynique dans le duo, irrésistible dans la folie de la fête. Du grand art.
Avant d’être une aérienne Illia gracieusement torturée dans Idoménée, une mobile et lucide Suzanne, une fine et coquine Zerline, Olivia Doray, lutine, mutine, toute légèreté, nous régalait des trois poèmes de Louise de Vilmorin, d’autant plus encanaillés de sens doubles que délicatement féminins, un peu brouillés par le piano.
Veloutant sa sombre et riche voix dans Figaro, Lucic, qu’il nous faudra réentendre dans un autre répertoire, campait un Leporello gouailleur, dans un tempo peut-être à la volubilité un peu rapide pour lui dans le mouvement vif.

22 mars 2007
Photos M@rceau, légendes B. P. :
1. "Je voudrais, je ne voudrais pas…" (Doray, di Sapia) ;
2. "Dans cette chambre?…" (Lucic, Doray) ;
3. "Entre les deux, mon choix balance…" (Lucic, Doray, di Sapia).


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