lundi, décembre 02, 2024

 

La Belle de Cadix

Opérette en deux actes

De Francis Lopez,

Livret de Raymond Vincy et Émile Audiffred, Paris 1945

Théâtre Odéon, Marseille,

Samedi 23 et dimanche24, 14H30

         L’ŒUVRE

Sur un livret de Raymond Ovanessian, dit Raymond Vincy, librettiste et parolier français d'origine arménienne né à Marseille, et la complicité d’Émile Audiffred, originaire de Toulon, chanteur bien connu en son temps à Marseille au Palais de Cristal et à l'Alcazar. Avec ces deux artistes, auteur l’un et chanteur l’autre d’opérettes marseillaises, leur Belle de Cadix aurait pu l’être aussi. Prévue comme une opérette à la mode de Marseille, les deux compères avaient écrit le Mariage à l’essai. Mais le Casino Montparnasse s’empara du livret le destinant à Francis Lopez, dentiste mais compositeur de chansons à succès, d’origine basque par ses parents, qui choisit son compatriote de l’autre côté des Pyrénées, Mariano Eusebio González y García, un ténor hésitant entre l’opéra et les variétés, qui perçait sous le nom de Luis Mariano.

On songeait à transposer l’action en Hongrie, mais, Bohémiens pour Bohémiens, Lopez leur préféra les gitans d’Andalousie. Créée en 1945, en peu de temps et très peu de moyens, l’opérette eut un tel succès qu’on en fit une superproduction au Théâtre de l’Empire. Un triomphe ! Sur la lancée, un film musical sera tourné sur cette histoire de film qui se tourne en Andalousie, avec la danseuse et chanteuse espagnole Carmen Sevilla. Un autre triomphe. Et les chansons, dont on s’arrache les disques, feront la fortune de Pathé Marconi. L’opérette reste des années à l’affiche. La Belle de Cadix, au sortir de la guerre, renouvelle le genre et c’est le début d’une collaboration réussie entre Lopez et Mariano, et succès qui ne se dément pas depuis. À quatre-vingts ans de sa création, La Belle de Cadix reste l’opérette la plus jouée en France et Belgique.

SUJET

Il est assez pauvre pour les riches péripéties portées par la musique et le talent des chanteurs acteurs. Coupé pour Luis Mariano, qui a la part belle en chant : le héros, Carlos Medina, chanteur et grande vedette de cinéma, qui exprime, en bellâtre béni des dames, sa vocation de chanteur de charme, quitte la Côte d'Azur pour aller tourner un film dans le Sud de l'Espagne au milieu des dernières tribus gitanes qui gardent encore leurs traditions, leurs chants et leurs danses.

Le fringant Carlos, qui pourrait être escort, était escorté à Cannes de sa fiancée Miss Hampton qui le rejoint à Cadix. Maria-Luisa la plus belle des gitanes, soupçonneuse, jalouse, acceptera de tenir le rôle de la Belle de Cadix dans le film en préparation mais surtout pour surveiller, tenir à l’œil son frétillant fiancé Ramirez, engagé comme guitariste dans la troupe.

         On voit donc un quadrille amoureux classique de deux couples, Carlos et Miss Hampton, María Luisa et Ramírez, que le jeu du jeu filmique plus que du hasard va bousculer. Le livret original était Le Mariage à l’essai. Et c’est une valse pas très hispanique du mariage chantée par la fiancée, que seule la grâce piquante de Caroline Géa arrache à la banalité.

Premier accroc, premier accident de tournage de la scène de la cérémonie du mariage. Le figurant choisi comme officiant, est un véritable roi gitan, et, coutume faisant loi, même pour le film, Carlos et María Luisa se retrouvent réellement mariés. Imaginons l’émoi des fiancés officiels du couple de cinéma, Miss Hampton et Ramírez —qui se consoleront ensemble. Mais coup de théâtre au cinéma : le roi gitan n'était qu'un imposteur, le mariage est nul, non avenu. Mais amour survenu : le faux fait advenir le vrai. Et les deux héros, je t’aime, moi non plus, dépit amoureux, malentendus mais bien entendus et écoutés dans leurs duos, dont le joli fox-trot : « Mais qui êtes-vous ? Mais que voulez-vous ? Et d’où venez-vous ? »

On peut donc se livrer avec joie à cette fiesta bohémienne très œcuménique qui mêle gitans d’Espagne et Bohémiens de Vienne dans une musique syncrétique, hispano-tzigane.

On ne va pas invoquer, même en connaissance de cause, le vrai hispanisme musical à propos de la musique de Lopez (aux racines et inspiration tout de même espagnoles) et disserter sur Espagne et espagnolade : il suffit que cette musique jaillisse et emplisse joliment sa mission, même au-delà de l’impossible pour d’autres, de rester gravée, qu’on le veuille ou non, dans l’oreille, dans la mémoire collective. À preuve, la fameuse séguedille rythmée par les « Chica-chica-chic, ay-ay-ay » qui imitent plaisamment les castagnettes. Mais, sans couleur hispanique particulière, chantée par Luis Mariano, la valse « María Luisa, mon amour », qui fut un tube en son temps, faisant la fortune, dit-on de la maison de disques.

RÉALISATION, INTERPRÉTATION

Carton plein pour Carole Clin qui en signe, cette nouvelle production : encore une fois, elle coche toutes les cases de la réussite, avec cette œuvre qui, sans être majeure, n’est pas mineure pour autant : pleurez, vous me ferez pleurer, mais autre affaire que de faire rire ou simplement sourire, de divertir avec aisance et qualité, de faire jouer avec un enjouement naturel une opérette qui ne se la joue pas, mais joue le joli jeu traditionnel des toiles peintes comme toiles de fond, place, paysages, palais mauresque andalou, taverne, mais renouvelé par la belle idée de deux légers rideaux transparents, une immense guitare aux courbes féminines, comme déployée, déclinée en couleur, auréolée, d’éventails papillonnants, ou, de dos, une géante danseuse en robe blanche à volants et non attifée faussement d’un irréel hispanisme multicolore, outrancière colorisation de la couleur locale caricaturale d’une Andalousie pour touristes nordiques en manque de soleil. Ces touchantes toiles peintes, souvenir d’un théâtre populaire inexistant, qui reprennent ponctuellement vie à l’occasion de telles célébrations, mériteraient d’être classées, conservées comme trésor historique d’un art populaire naïf dans ce temple unique de l’opérette qu’est l’Odéon.

Venues de l’Opéra, on apprécie l’élégance des costumes, l’harmonie chromatique des robes à pois, à tonalité différente selon les scènes, les atours goyesques de María Luisa, noir transparent sur jupe rose, son juste ajustement andalou, chapeau cordouan et riche mantón, châle de Manille sur l’épaule que Caroline Egéa porte avec la fierté désinvolte d’une véritable Espagnole ou l’exacte tenue blanche des mariés.

Didier Benetti mène d’une baguette ferme mais charmeuse le luxe offert à l’Odéon, de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, qui a dû se réjouir des fastes légers de cette récréation joyeuse après les néfastes délices soyeuses pucciniennes d’un Pays du Soleil levant nocturne et sanglant.

Je ne peux que redire la maîtrise de Carole Clin de l’espace, du rythme, toujours accordé, même sans elle, avec la musique, son sens chorégraphique des groupes intégrés, des chœurs (Rémi Littolf) sans hiatus mêlés aux nombreuses danses réglées avec l’élégance de son style par Felipe Calvarro, qui sait hispaniser, « flamenquiser » dignement n’importe quelle musique, servi par sa remarquable troupe.

Sans un temps mort ni un hiatus entre entrées et sorties, les quiproquos, les gaffes se succèdent et les gags, fluides sans lourdeur, comme les cartouches de cigarettes subtilisées par deux fois avec une prestesse de prestidigitateur par le décoiffant metteur en scène, tout en nerfs, Dany Clair, le defunesque et clownesque Dominique Desmons, «le chauve aux cheveux roux » comme le définit sa victime, le naïf Manillon de Gregory Juppin qui a le charme mélancolique d’un Pierrot lunaire (pas de Schönberg) avec la douceur de sa voix sur un corps d’athlète qui retrouve sa digne partenaire Julie Morgane, souple liane, dégaine de parigote dégingandée en Pepa, Pepita, Pepona poupée, naïve bécasse pas Bécassine de la tradition comique espagnole pour des duos et pas de deux pas dondon dondaine dont ce couple si assorti a l’acrobatique et angulaire secret dont on ne se lasse pas.

Dans le faux cinéma des années 50 ne pouvait manquer l’anticipation de la Marylin des années 60, disons plutôt la grande et richissime Américaine amoureusement moulée dans son tailleur noir en quête de Latin lover interchangeable d’une rive de la Méditerranée de Cannes à l’Atlantique de Cadix : c’est Laurence Janot, qui sait tout faire, accent amerloque à couper au couteau, qui nous offre en quittant sa première scène le luxueux clin d’œil chanté, le scat jazzy, « dili dili pou pou pidou », de I wanna be Loved by you, qui est comme l’affriolante friandise, signature sucrée et susurrée de la blonde star.

Ramírez, fiancé frivole puis amoureux dépité, guère servi par le texte et le jeu, a la magnifique revanche chantée d’un air d’amour blessé que, vrai Basque de cette pièce ourdie entre les deux Basques Mariano et López, Gilen Goicoechea offre d’une ardente voix pleine et riche de baryton, non sans émotion.

Juste une scène, une menaçante phrase et mimique et l’on retrouve, figure de l’Odéon, Antoine Bonelli, louche et farouche roi des gitans. Il y a le mari jaloux de Damien Rauch, non, Damien Rauch en mari jaloux de Manillon et ses manigances.

Bien planté, portant beau, en fringant bellâtre à moustache datée des années 50, je ne sais si à la Clark Gable ou en Jorge Negrete, fameux chanteur et acteur mexicain, à Jérémy Duffau, belle voix égale sur tour le registre, bien menée, timbre viril, je ne reprocherai que sa prononciation française « Maria Luiza » au lieu de Maria Luissa : on le félicite de ne pas coller à Mariano, sauf là, bien sûr. Il se tire au mieux de la fameuse séguedille la Belle de Cadix, ballade narrative, qu’il rythme discrètement sur les délicats « Chica-chica-chic, ay-ay-ay ! » qui peuvent humoristiquement déraper.

La Madrilène Caroline Géa, sourire mutin, regard malin ou coquin, timbre fruité, campe en allure et figure cette Belle de Cadix et en mouvement, rythmant, avec sa connaissance du flamenco, par un beau zapateado, les compliments débités par le bonimenteur charmeur.

Moments heureux volés au temps…

La Belle de Cadix de Francis Lopez

Odéon

Mise en scène : Carole CLIN
Chorégraphie : Felipe CALVARRO

María Luisa : Caroline GÉA
Pepa : Julie MORGANE
Miss Hampton : Laurence JANOT

Carlos : Jérémy DUFFAU 
Manillon : Gregory JUPPIN
Dany Clair : Dominique DESMONS
Ramírez : Gilen GOICOECHEA 
Le Roi des gitans : Antoine BONELLI

Le Mari jaloux : Damien RAUCH

Chœur phocéen : Chef de Chœur Rémi LITOLFF

Fiorella ALESSANDRA, Nicole FRANCO RALÓN, Sabrina KILOULI, Esma MEHDAOUI, Manon PIZZICHEMI, Katherymne SERRANO, Damien BARRA, Laurent BŒUF, Corentin CUVELIER, Jacques FRESCHEL, Roman PANZER, Damien RAUCH

Orchestre de l’Opéra de Marseille

Pianiste répétitrice Caroline DAUZINCOURT

Ballet : Sophia ALILAT, Sabrina LLANOS, Valérie ORTIZ, Annabelle RICHEFEU 

Photos Christian Dresse 

1. L'un des rideaux ; 

2. L'acteur et ses groupies (Duffau) ;  

3. Manillon et Clair (Juppin,  Desmons) ;

4. Pepa et Manillon (Morgane, Juppin) ;

5. María Luisa (Géa);

6. Le ballet Calvarro;

7. Le couple renversant (Morganbe, Juppin) ;

8. La renversante Marylin (Janot);

9. Ramírez joli cœur (Goicoechea);

10. Mariage gitan (Bonelli imposant célébrant).

 

 

 

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