dimanche, octobre 13, 2024

Roberto Alagna 60

Avec le Morphing Chamber Orchestra, directionGiorgio Croci,

un CD Aparte

         À un public encore sous le charme des ondes de son dernier disque, Seigneur, paru le printemps dernier, chez le même label Aparte, nous en avons parlé ici, le jour même de l’automne, inversant le rituel des anniversaires, pour ses soixante ans, c’est Roberto Alagna au lieu de le recevoir, qui nous offre généreusement un cadeau, un nouveau CD que je dirais printanier par la fraîcheur pratiquement intacte de sa voix et par la jeunesse d’une palette lyrique qui renouvelle bien largement le répertoire vocal auquel il nous avait jusqu’ici habitués.

Certes, de ses débuts d’amateur dans les bars, cabarets et restaurants parisiens, le jeune Roberto, chantant un répertoire léger de variétés au gré de publics divers et cosmopolites dont il fallait capter l’attention, qu’il fallait contenter, accrocher, avait conservé cette faculté, devenue facilité, d’adaptation vocale et thématique au cadre, aux gens souvent distraits même au milieu des repas. Sans doute un rude apprentissage dont il a tiré une indubitable expérience d’accommodation aux répertoires les plus internationaux capables de charmer des auditeurs de tous horizons par la grâce solaire sa voix.

Au sommet de sa carrière mondiale de chanteur lyrique indiscuté depuis quarante ans et d’une vertigineuse discographie, comme le précédent Cd, Seigneur, fervent de dévotion intime, de reconnaissance aux cadeaux de la vie, dont on ne sait jamais les lendemains, disque de réflexion sur l’existence, celui-ci est un reflet de sa personnalité mobile, curieuse du vaste champ, le champ chantant, enchanteur, d’une vocalité sans frontières qui ne lui est jamais étrangère.

Ainsi, du grand opéra italien et français, de l’opérette à la musique religieuse, de la chanson traditionnelle sicilienne et internationale, du goût compréhensible pour la généreuse vocalité hispanique aux créations, parfois les siennes et de ses frères, Roberto Alagna chante et enchante dans tous les genres de répertoires. Ce dernier Cd est donc un éventail de ses goûts, offrant le cadeau de morceaux qu’il n’avait pas enregistrés ou de répertoires et langues jamais ou rarement abordés jusqu’ici. Venu tard à Wagner, mais interprété lors d’une mémorable diffusion d’un Löhengrin pendant la pandémie, prudemment mis en scène sans attouchement corporel des chanteurs, comme déjà un rêve distant, le voici dans l’air du mystérieux chevalier au cygne venu d’un lointain pays des rêves : « Mein Lieber Schwan ». Wagner avait forcément des chanteurs de bel canto italien pour ses opéras que n’avait pas grossis, enflés, le mauvais goût ultérieur qui n’était pas le sien. Alagna chante ce passage comme un véritable et poétique lied confidentiel flottant en extase dans la brume du rêve d’Elsa :

1) PLAGE 6 

 Accompagné, presque auréolé parfois par le Morphing Chamber Orchestra, délicatement dirigé par Giorgio Croci, le chanteur propose ici un programme à son image, personnalisé à sa voix toujours belle et rayonnante, toujours riche et colorée, avec des demi-teintes à faire rêver de tout jeunes chanteurs, fruit d’un long travail à l’évidence, de toute une vie. Il expose son talent admiré en terrain connu de l'opéra français (Gounod, Massenet, Thomas, Adam, mais se lance aussi dans Meyerbeer), de l’opéra italien (Verdi, Leoncavallo), s’inaugurant dans le baroque napolitain de Pergolèse. Mais on le découvre en territoires et styles différents, allemand (deux airs de Löhengrin de Wagner, mais aussi Flotow), polonais (Moniuszko) ou russe (Tchaïkovski, l’air bouleversant de Lenski avant le duel qui verra sa mort dans Eugène Onéguine, et Rimski-Korsakov). Mais c’est dans ce dernier que nous l’entendrons, un extrait de son opéra légendaire, Sadko (1896) chanté, murmuré presque dirais-je, en français, : « Les diamants chez nous sont innombrables », aux mélismes orientalisants :

2) PLAGE 9 

Et puisque nous sommes dans des œuvres rares sinon inconnues, dans ce français à la diction exemplaire de Roberto Alagna le Sicilien de Paris, voici un air d’un compositeur italien bien oublié aujourd’hui, Riccardo Drigo (1846-1930) qui fit surtout carrière en Russie dont rappelons que la langue de la bonne société était pratiquement toujours le français. Voici donc, dans le même registre de la richesse imaginaire, la Sérénade, extrait Les millions d’Arlequin :

3) PLAGE 14 

Nous le retrouvons interprétant en polonais un air très nostalgique tiré de Halka, un opéra de Stanislaw Moniuszko (1819-1872) : 

4) PLAGE 7  

Naturellement, chez ce déjà ancien adepte du « cross over », l’on ne manquera pas de trouver un air en anglais le fameux Be my love, et en espagnol, le célèbre Ay, Ay, Ay !, du Chilien Osmán Pérez Freire, une aubade, chanson de l’aube pour réveiller la belle mais que notre ténor ralentit tellement, et en donne tant de délicates nuances, que ça en devient plutôt une berceuse qui rendormirait plutôt que réveiller la bien-aimée. Peu emporte, c’est très charmeur et, dans ce registre hispanique, on goûte, en italien, une espagnolade, La Spagnola, un populaire boléro autrefois interprété par Gina Lollobrigida dans le film La Belle des belles où elle incarnait une cantatrice. Mais comme notre ténor a un sens très vif de la famille, une autre pochade espagnolisante des trois frères Alagna, David, Frederico et Roberto lui-même, L’Andalouse, dont on s’étonnera, en Espagnol, qu’on lui prête un sein bruni tant on connaît l’horreur du soleil des femmes de ce pays, surtout autrefois.

Nous quitterons ce sympathique et talentueux ténor qui, à ses soixante ans, se souvient du jeune compositeur de vingt ans qu’il fut, composant cette chanson si solairement italienne, Sognare, ‘Rêver’, songer, ce rêve d’une vie à chanter en pleine liberté, à pleine voix, qui n’a pas été un songe vain pour lui :

5) PLAGE 20 : FIN

https://open.spotify.com/intl-fr/album/72K6qjV8XerxiLahjlnKQ1

Roberto Alagna 60

 

Émision N°769 de BENITO PELEGRÍN, 29/09+2024


 

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