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AMY BEACH (1867-1944)
Une prodige empêchée
Jennifer Fichet, piano
Un CD label Hortus
Nous ne comptons plus, dans cette émission, à la faveur de la sortie de disques, le nombre de Dames compositrices, mal servies, ou desservies par l’histoire de la musique, dont nous voudrions nous faire chevaleresquement led chevalier-servant redresseur de torts. On ne nous accusera donc pas de caresser, je ne dis pas dans le sens du poil, mais de la belle chevelure, la mode féministe, ou plutôt la juste révolte des femmes contre le patriarcat, dont nous ne cessons de rougir à la découverte que nous faisons des dégâts qu’il a pu causer ancestralement, sans états d’âme, sur la moitié ou plus de l’humanité, la part féminine du monde —la plus belle pour nous osons-nous à peine avouer, tant on a voulu sa beauté muette et bête.
Encore un CD dira-t-on qui met en lumière une femme ensevelie dans l’ombre de l’oubli, ou laissée dans la pénombre de la mémoire, comme celles peine éclairées par de brillants compagnonnages masculins, maris, amants, mécènes, des vocations et des talents féminins qu’on découvre ou redécouvre à peine aujourd’hui : ne revenons pas sur les Fanny Mendelssohn, brutalement contrariée par père, et même frère, le grand Félix qui l’utilise froidement dans son œuvre, en riant de sa vocation, confinée au rôle germanique des traditionnels KKK (Küchen, Kirchen, Kinder, ‘Cuisine, Église, Enfants’), Clara Schumann, subordonnée servante de l’œuvre de son époux, Alma Mahler, peintre, compositrice, poétesse, sacrifiée au sien par lettre qu’on dirait patente, patente de son égoïste misogynie qu’il fait signer abusivement à sa jeune fiancée comme condition expresse du mariage. Objet décoratif, la femme à vocation artistique, était cantonnée, au mieux, dans les Arts décoratifs.
Voici aujourd’hui une enfant, une jeune fille, une femme, l’Américaine Amy Beach, qu’on redécouvre, première compositrice reconnue aux États-Unis, la première à y être jouée par un orchestre symphonique, à la brillante carrière, y fondant des écoles de musique comme une généreuse compensation à tous les empêchements personnels subis dans sa proche famille, pourtant cultivée, qui ne parvint pourtant pas à étouffer sa vocation, trop manifeste pour n’être pas suspecte, d’abord, paradoxalement, cruellement, aux yeux ou oreilles, peut-être jalouses, de sa propre mère, pourtant musicienne et chanteuse.
Son talent musical est manifeste dès sa première enfance, attesté par des témoignages admiratifs. En effet, à deux ans, la petite fille improvise des contrechants pour accompagner sa mère, chanteuse ; à quatre ans, pendant les vacances, elle compose de tête des valses, qu’elle joue ensuite sur le piano familial retrouvé et, à six, elle donne son premier récital. Et pourtant, au lieu d’en être émerveillée, sa mère, lui refuse tout enseignement musical, par peur de perdre son autorité avance Jennifer Fichet qui signe aussi le riche livret qui accompagne le disque. Malgré l’envol d’un récital à succès donné en 1881, à quatorze ans, son impitoyable famille lui coupe les ailes, refusant les propositions qu’on lui fait.
Le mariage est parfois une libération pour les jeunes filles brimées, corsetées par le carcan familial. Hélas, si Fanny Mendelssohn, confinée à son rôle décoratif de jeune fille de salon par ses injustes père et frère, eut la chance d’un époux éclairé qui comprit la vocation et le talent de sa femme qu’il aida à s’épanouir, Amy n’a pas cette chance : l’année même où sa première composition est éditée, l’homme qu’elle épouse en 1885, à dix-huit ans, de plus du double de son âge, tolère qu’elle compose, mais ne lui concède que deux concerts caritatifs par an, excluant tout contact artistique extérieur, et encore moins voyages et apprentissage, avec des pianistes reconnus. Autodidacte par la force des choses, et la surdité forcenée des siens, finalement, Amy se formant toute seule ne devra ses réussites qu’à elle-même.
En 1904, elle compose Variations sur des thèmes des Balkans op. 60, qu’elle révisera en 1936. Le motif principal est une mélodie folklorique bulgare assez mélancolique, qu’Amy Beach fait suivre d’onze variations. Écoutons le thème :
1) PLAGE 5
Avant que nous n’en perdions la perception, voici ce qu’il devient à la 2e variation :
2) PLAGE 7
Puis à la 3e :
3) PLAGE 8
Composées en une semaine, elle écrira une version orchestrale de ces variations en 1906, une édition piano révisée en 1936, puis une autre pour deux pianos en 1937, bref l’art de varier les variations !
Malgré ces traverses, ces entraves familiales, Amy arrive à composer et faire jouer un concerto et nombre de pièces pour piano. La réussite de la création de sa symphonie à Boston en 1896, ne change rien pour elle dans son inflexible famille maritale.
La libération pour les femmes, du moins dans les classes aisées, était le veuvage. Amy, sacrifiée par mère et mari doit attendre le décès de son mari en 1910 et de sa mère en 1911, pour pouvoir enfin se mouvoir librement. Elle peut alors se déplacer aux Etats-Unis, parcourir l’Europe et rencontrer les milieux musicaux. Malgré son éloignement jusque-là des grands centres musicaux, sa musique, sans connaître les avant-gardes de la musique européenne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, forcée à la singularité de sa solitude séduisit de grands interprètes européens de son temps tels Josef Hofmann, le plus novateur Ferruccio Busoni ou Rosenthal, qui mirent des pages d’Amy Beach au programme de leurs concerts.
La pianiste française Jennifer Fichet, formée à Lille et à Paris, lauréate de plusieurs concours, a fait une carrière d’accompagnatrice avant d’enseigner la pratique au CNSMD de Paris. Elle est titulaire d’une classe de piano au CRD d’Issy-les-Moulineaux. L’anthologie qu’elle propose court sur quarante-cinq ans de la vie d’Amy Beach qui décédera à New-York en 1944, laissant un catalogue varié, dont, évidemment, un grand nombre de pièces pour le piano. Sauf les Variations balkaniques, d’une vingtaine de minutes, le programme du CD offre des pièces de durée moyenne : une joyeuse Valse-Caprice (1889), une Ballade (1894), qui n’a pas oublié Chopin et Liszt, deux Sketches (1892) plutôt schubertiens. Une jolie vignette, The Old Chapel by Moonlight, et une la mélancolique berceuse de la mère solitaire Cradle Song of the Lonely Mother, sur laquelle nous nous quittons :
4) PLAGE 21
Émission N°772 de Benito Pelegrín
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