mardi, mai 21, 2024

SEIGNEUR

Roberto Alagna (ténor), Jean-Félix Lalanne (guitare), Marek Ruszczyński (piano), Dominique Blanc-Francard (ingénieur son)

UN CD APARTE

Né en Seine Saint-Denis, de parents siciliens immigrés en France, le ténor Roberto Alagna, par son immense talent, a fait la conquête des plus grandes scènes mondiales d’Opéra, mais par l’éclat solaire de sa voix, par son charme, son charisme, sa simplicité, il a su également conquérir le cœur d’un autre immense public qui fait de lui, à coup sûr, un ténor populaire.

Nous l’avons vu dans les grandioses Chorégies d’Orange, qu’il a souvent présentées à la télévision, attaquer les grands rôles héroïques de son répertoire. Nous l’avons applaudi à Marseille dans le Cid de Massenet, où à peine le rideau tombé, il accourait sur la place de Bargemon, avec sa Chimène Béatrice Uria-Monzon, devant une foule immense, pour voir la fin de l’œuvre en différé, filmée sur grand écran sur grand écran. En septembre 2007, il participe à Marseille avec Angela Gheorghiu à la création mondiale de Marius et Fanny, opéra ou plutôt opérette composée par Vladimir Cosma d'après les œuvres de Marcel Pagnol. Au sommet de sa gloire mondiale, il viendra également offrir un récital gratuit à Marseille, sur la Place Bargemon et je n’oublierai pas tous les descendants d’Italiens du Panier littéralement descendus de ce qui fut la ville antique, avec leur chaise, pour occuper dès très tôt le matin une place hors celles réserves aux invités : ce fut un délire. Pas une seule table libre dans les restaurants du Port bénéficiant gracieusement en prime de la voix généreuse de Roberto. Car il venait retremper, dans la chaleur populeuse de Marseille, un répertoire populaire de variétés, mélodies napolitaines et siciliennes, airs latino-américains, de ses tout débuts de jeune chanteur se produisant, dans les cafés, cabarets ou restaurants de la région parisienne. Entre temps, il avait enregistré le répertoire de Luis Mariano. En 2008, Roberto Alagna rendait hommage à ses origines siciliennes à travers le disque Sicilien (vendu à 300 000 exemplaires).

Début 2023, c’est la gageure, l'aventure de la comédie musicale Al Capone, sur le célèbre gangster, œuvre composée par Jean-Félix dans une mise en scène de Jean-Louis Grinda, spectacle dont ne sait trop pourquoi, il s’est arrêté très vite.

Avec une discographie impressionnante, il s’offre aujourd’hui le luxe de ce disque tout intimiste avec ce même Jean-Félix Lalanne, frère de Francis, guitariste, auteur, compositeur de musiques de films. En 1996, Alagna avait déjà enregistré un disque de Chants sacrés. Ce dernier au titre de Seigneur, comme une invocation à Dieu, est un CD empreint de spiritualité, mais je dirais une spiritualité élargie, qui va au-delà du religieux, ou intègre dans une religiosité affective, les émotions, les sentiments, les souvenirs d’enfance, entre foi, amour et espérance. Sur les seize morceaux, il y a une chanson de son frère David, Libertà, mais Roberto y va aussi de sa plume et inspiration avec un arrangement de l’Ave Maria de Schubert, de la Valse de Chostakovitch, le texte d’une chanson en italien, Sognare, et le Notre Père, qu’il a mis en musique. Nous en écoutons un extrait :

1) PLAGE 16 

On sera sensible à la ferveur de l’interprète célèbre, adulé, qui offre ici comme une humble action de grâce pour cette vie de réussite qui peut aujourd’hui regarder en arrière ou en bas de son sommet de sa gloire, mais comme conscient de la vanité des gloire terrestres qui peuvent être très éphémères, même si lui, à soixante ans peut s’estimer bénit des cieux de la pérennité de son succès, car il sait que le temps est impitoyable comme il le murmure gravement dans la chanson de Ferré, Avec le temps :

2) PLAGE 9 

Réalisé et arrangé par Jean-Félix Lalanne, ce disque est capté entièrement en direct par l’ingénieur du son renommé Dominique Blanc-Francard, qui lui conserve un côté vivant intimiste, naturel, bien que les instruments sonnent parfois un peu trop au premier plan.

Voici un extrait de l’Ave Maria de Schubert qu’il ne chante pas en allemand qu’il n’a presque pas pratiqué mais en latin et en français. Même si ce n’est pas exactement le style intimiste habituel d’un lied, je pense que vous apprécierez la délicatesse, la caresse dirait-on, dont il auréole à mi-voix le nom de Jesu, Jésus :…

 3) PLAGE 2

         Roberto Alagna a défendu le chant, l’opéra français, aux quatre coins du monde. Mais, même en France, il a fait école ne serait-ce que pour la clarté de sa diction, sa prononciation naturelle, loin de cette sophistication souvent ampoulée qui en faisait la limite. En effet, contrairement à la tradition de ces r roulés qui, certes, projettent mieux la voix que le r engorgé du français parlé (comparez mon pèr’, pèrre, l’amourr, …) il imposé le r naturel de la langue parlée sur la scène lyrique française et l’on ne trouve plus guère que les chanteurs étrangers interprétant le répertoire français qui, habitués à la prononciation classique jusque-là, roulent encore les r qu’on ne roule plus en France ! Écoutez cette superbe diction dans La Valse de l’espérance de Chostakovitch qu’il a lui-même adaptée :

4) PLAGE 4 

         Nous allons quitter ce grand artiste avec un air où toute sa sensibilité frémissante s’exprime dans une douleur exprimée confidentiellement comme à voix basse des grandes douleurs intimes, dans une chanson traditionnelle napolitaine mythique datée exactement de 1842 dont on connaît l’un des auteurs du texte, mais dont la musique d’une douceur lancinante serait de Bellini, le romantique compositeur de Norma, né à Catane, dans la Sicile chère à notre ténor. Caruso avait enregistré cette mélodie en 1913 : Fenesta che luciva, ‘fenêtre qui luisait’. Un amoureux venait sous la fenêtre illuminée de sa bien-aimée malade. Mais la sœur y apparaît une nuit pour lui dire qu’elle est morte. On le retrouvera à l’église demandant au curé de laisser éternellement allumée une lampe pour la morte :

5) PLAGE 8 : FIN

Programme donné en récital dans des cathédrales , dont qu’on peut espérer encore entendre de vive et tendre voix.


ÉMISSION N° 748  DE BENITO PELEGRÍN

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