samedi, octobre 23, 2021

MUSIQUES DE RÊVES

 

Ich schlief, da träumte mir… par Anne Marie Dragosits au clavecin. Label Encelade

« Je dors et un rêve… ». « Dans mon sommeil, un rêve… » On n’en saura pas plus sur ce rêve qui vient troubler ou bercer le sommeil mais, ce qu’il m‘importe de faire savoir c’est que ce disque est un rêve en musique sous les doigts de Anne Marie Dragosits, qui le font délicatement éclore en douceur, comme des nimbes vaporeux du sommeil. Cette musicienne Autrichienne, a étudié le clavecin avec les meilleurs maîtres. Professeur de clavecin à Linz, elle vit à Vienne. Anne Marie Dragosits est, par ailleurs, Docteure en Arts et auteure d’une thèse sur Giovanni Girolamo Kapsperger et sa musique vocale. Nous aimons ces artistes qui, à la science musicale, joignent une culture littéraire et artistique, car il n‘y a pas de compartiments étanches entre les disciplines artistiques.  Très justement, elle donne le thème de son CD :

 

« Depuis toujours, l'humanité s’intéresse à l'interprétation des rêves et aux    approches tant médicales que philosophiques pour expliquer tous les phénomènes qui surviennent pendant notre sommeil. En même temps, comme un théâtre imaginaire, les images de rêve, qu'elles soient belles ou terribles, offrent un vaste terrain de jeu pour tous les arts. » 

 

L’époque baroque est, par excellence, celle qui porte et élève le rêve à la scène, en méditation poétique comme dans les célèbres vers de La Tempête de Shakespeare, que la claveciniste, qui signe aussi la belle et bonne préface place en épigraphe du livret,

 

     Nous sommes de l’étoffe

     dont sont faits les rêves, et notre petite vie

     est entourée de sommeil.

 

On regrette un peu l’absence de la grandiose interrogation philosophique que lui donne Calderón dans La vie est un songe, dont je donne ma propre traduction de la méditation de Sigismond :

 

     C’est quoi la vie ?

     C’est frénésie.

     C’est quoi la vie ?

     Une illusion,

     Ce n’est qu’une ombre, une fiction

     Qui dans le trouble nous plonge,

     Car toute la vie est songe

  Et les songes, sont mensonge.

 

Reprenant l’enjeu de la pièce espagnole, Pascal pose la question de la réalité : un mendiant rêve douze heures qu’il est roi et un roi douze heures qu’il est mendiant. Mais, dans ce beau CD, à l’exception de la Suonata quarta de Johann Kuhnau (1660-1722), Hiskia agonizzante e risanato , sur le roi biblique de Babel, malade et guéri, pas de cauchemar ici mais le bonheur de rêves heureux grâce aux musiques où Bach père , avec deux morceaux, et deux de ses fils, Carl Philipp Emanuel Bach (quatre pièces)et Wilhelm Friedemann Bach, 2 sont représentés par huit morceaux sur les quinze, qui comprennent aussi des compositions de Christoph Graupner (1683-1760), Johann Kaspar Fischer (1656-1746), Johann Balthasar Kehl (1725-1778) et Johann Kuhnau (1660-1722) déjà cité.

         Mais le rêve impliquant sommeil, écoutons An den Schlaf, ‘Au sommeil’, une si brève pièce de Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) 

 

1) PLAGE 2 :

 

Trop bref sommeil sans doute, alors, sommeillons un peu encore avec Johann Kaspar Fischer, justement Sommeille - extrait de la suite  Febrarius ;

 

2)  PLAGE 5 :

 

Anne Marie Dragosits, avec une charmante érudition, nous parlant de personnages mythologiques (sous les noms desquels notre oreille entend les poétiques origines grecques de notre langue) nous dit avoir voulu donner des homologues en musique aux  visiteurs nocturnes des rêves : d’abord Hypnos, (hypnotique) fils de la nuit et des ténèbres, dieu du sommeil ;  ses fils, les Oneiroi, (oniriques) dieux, donc, du rêve : Morphée, aux bras duquel on s’abandonne, j’en passe, Phantasos  qui nous donne sans doute la fantaisie des songes, Lethe (le léthargique oubli).  Mais aussi, Thanatos, la mort à laquelle le sommeil ressemble, qui , je le rappelle, fait couple opposé avec Éros, l’érotisme de la vie.

Décrivant sn clavecin historique, Anne Marie Dragosits dit : « L’opulence créative et la beauté correspondent heureusement avec les qualités tonales ». On pourrait en dire autant de la beauté de la présentation de ces disques du label Encelade qui reprend à même la pochette l’extraordinaire décoration de cet exceptionnel clavecin Zell de 1728 du Musée des Arts de Hambourg, restauré par Martin Skowroneck en 1973 : une luxueuse scène mythologique d’une molle et langoureuse femme nue endormie dans des drapés de rose chair sexualisée et un dais rouge de plaisir, veillée de petits amours ailés papillonnants et, à l’intérieur du CD (couvercle ouvert du clavecin),  comme le rêve, une dame endormie, habillée, parée, préparée peut-être pour un mariage symbolisé  par les guirlandes de fleurs que les infatigables petits dieux ailés, sont en train d’accrocher au-dessus de son lit, avec une échappée nébuleuse vers un lointain palais. Cela n’achève pas toute la décoration de l’instrument, avec une peinture à la laque de style chinois mêlé, à mon sens, de motifs pompéiens retrouvés à l’époque de l’instrument, des incrustations, dont je préfère donner les oniriques images. Magnifique préparation visuelle aux images et sonorités du rêve dont Anne Marie Dragosits est la fée délicate, au doigté arachnéen ouvrant le sommeil à ces sonorités argentines, ces dentelles de sons, de songes, qui bercent. Non, nous ne sommes pas dans le danger dénoncé par le peintre Goya : « Le sommeil de la raison engendre des monstres. » Sommeil bienfaisant bienheureux ici, comme ces variations de Carl Philipp Emanuel Bach sur « Ich schlief, da träumte mir » du titre, un poème souvent mis en musique :

 

3) PLAGE  13

 

La musicienne, en exergue de sa préface, citait Shakespeare à propos du sommeil dans la tempête. Le rêve étant aussi un défilé d’images théâtrales, comme elle le rappelait. Elle clôt son texte sur les tout derniers vers du Songe d’une nuit d’une nuit d’été qui, comme toute pièce baroque, finissait toujours sur les excuses des acteurs au public, ici, Puck le malin petit elfe, paroles dont je donne ma version :

 

     Si nous vous avons déplu, pauvres ombres que nous sommes,

    Songez donc seulement, (et tout est pardonné),

    Que vous n’avez fait qu’un somme,

    De toutes ces visions peuplé.

.

On prendra à rebours cette conclusion, on n’a rien à blâmer, rien à pardonner à cette merveilleuse artiste dans un programme qui n’est ni vain ni faible et qui nous fait rêver. Mais, puisqu’à tout beau rêve il y a hélas un réveil, voici le Réveille (proposé par Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784) sur lequel, nous quittons ce théâtre des ombres, des songes auquel  

 

4) PLAGE 4 fin et fond

 

Ich schlief, da träumte mir… par Anne Marie Dragosits au clavecin. Label Encelade

 

RCF, émission N°569 de Benito Pelegrín

 

 

 


 

 

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