mardi, avril 06, 2021

CONVERSATIONS GALANTES ROCOCO

Louis-Gabriel Guillemain : Second Livre de sonates en quatuor œuvre XVII  , Ensemble la Française, 1 CD , label Musica Ficta

ou Conversations galantes et amusantes, en fait, entre une flûte traversière, un violon, une basse de viole et la basse continue


Voici encore un CD dont la présentation graphique est des plus séduisantes, raffinées, un détail de tableau rococo : dans une touche rapide sur un fond léger d’azur délicat, dans des roseurs de chairs satinées, une indolente néréide, une nymphe marine nue, doucement souriante, adossée mollement à un flot aquatique, et une autre en buste, appuyée sur ses coudes. On ouvre le livret et l’on déploie un tableau marin de François Boucher, bouillonnant de baigneurs en spirales posés sur les ondes : c’est Le Triomphe de Vénus, comme on sait née de la vague, avec un Triton musculeux et bronzé, sa conque marine à la main dans des flots, des vagues écumeuses comme du champagne ou des draps de soie mousseux, avec envol enrubanné de petits amours dans un ciel azuré aux légers nuages floconneux.

On ne peut rêver plus délicate adéquation entre cette illustration d’un peintre de l’époque rococo, ou nommée rocaille par la présence de la coquille comme ornement des meubles aux gracieuses lignes galbées, aux pieds de biche, style qu’on dit aussi parfois, pour le situer historiquement, Pompadour, Louis XV. C’est le léger crépuscule rosé du Baroque, du style galant, dont nous avons ici deux emblématiques artistes, François Boucher (1703-1770) et son presque strict contemporain, à deux ans près de la date de leur naissance, le musicien et compositeur Louis-Gabriel Guillemain (1705-1770).

Cette correspondance esthétique, est déjà le plaisir d’intelligence que procure encore cette livraison discographique de l’Ensemble la Française, qui avait son disque Pour la Duchesse du Maine révélait la musique de la Régence. En effet, fuyant un Versailles vieillissant, devenu ennuyeux, pesamment dévot avec l’emprise religieuse intolérante après l’abolition de l’Édit de Nantes, la cour, qui donnait le ton artistique, perd de son prestige au profit de Paris et des salons qui fleurissent comme autant de petites cours où règnent des femmes distinguées qui s’entourent de lettrés, de philosophes, d’artistes

La flûtiste et architecte Aude Lestienne, qui anime La Française, nous ravit lorsqu’elle donne comme épigraphe à son ensemble les trois  buts, que Cicéron donne à la rhétorique, Docere, Delectare, Movere : ‘Enseigner, charmer, émouvoir’. Je me permets, en spécialiste, de rappeler : le Concile de Trente, la Contre-Réforme catholique, impose à l’art, à tout art, les trois impératifs de Cicéron résumés par Horace, l’art doit être utili dulce, ‘utile et doux’ ; il ne doit jamais être gratuit : il a un message, évidemment moral, c’est-à-dire religieux qu’on doit instiller en charmant, en émouvoir, pour enseigner. C’est dont là que je nuance le judicieux exergue rhétorique de La Française : à l’époque rococo, on est fatigué d’un art didactique, qui délivre un message autre que lui-même : de la trilogie ‘Enseigner, charmer, émouvoir’, on oublie le docere, ‘enseigner’, on s’intéresse surtout à « charmer », ‘plaire’ et, avec l’avènement de la sensibilité rousseauiste, « émouvoir », reviendra avec la mode des flots de larmes.

  Ainsi, loin des fastes baroques empesés, écrasants, de Versailles, c’est l’éclosion des arts d’agréments, des genres mineurs. La musique française de chambre, encore enclose à Versailles, va s’envoler vers le salon plus intime. Elle semble, sinon éclore, être parfaitement représentée par ces sonates en quatuor de Louis-Gabriel Guillemain qui ne fut pas pour rien violoniste de la Chapelle et de la Chambre du roi Louis XV. 

L’indication de tempo sinon de caractère du deuxième mouvement de la Sonate I est « Aria, gratioso » : en somme, air, chantant mais il faut souligner l’adjectif, la nuance, « gratioso », qui est bien cette « grâce », mais jamais sans gracieuseté maniérée, qui est bien l’esthétique légère, galante de ces sonates. Loin de la liberté fantasque du style « phantasticus » des sonates de Buxtehude, celles de Guillemain ont toute exactement la même structure en trois mouvements : deux mouvements vifs, allegro le premier et presto le troisième, encadrant une aria centrale toujours marquée de « gratioso ».

Ce plan équilibré donne parts égales aux deux instruments solistes, la flûte traverso à la voix virilement boisée et violon virtuose, sur un tapis soyeux et velouté de la basse continue à la viole de gambe ou violoncelle aux sons de miel ou d’or ponctué du clavecin argentin. C’est un dialogue galant entre personnes de qualité qui ne se coupent pas la parole, mais s’écoutent, qui mêlent voluptueusement leurs enivrants et virtuoses envols. 

Talleyrand, descendant d'une lignée     aussi ancienne que les premiers Capétiens, évêque défroqué, républicain révolutionnaire convaincu, homme connu par son raffinement, disait avec nostalgie que, si on n’avait connu l’Ancien Régime on ne pouvait savoir ce qu’était « la douceur de vivre. » On le croit sans peine à entendre cette musique, mais « douceur de vivre » pour qui, bien sûr ? Cependant, à l’écouter, qui croirait que Louis-Gabriel Guillemain, selon Aude Lestienne, homme « sombre, mélancolique, d'une grande timidité, misanthrope et probablement alcoolique », musicien le mieux payé de son temps, mais toujours follement endetté, mourut « percé de quatorze coups de couteau qu'il semble s’être donné lui-même dans un accès de folie. » Oubliant cela pour honorer sa mémoire et rendre grâces à ce disque gracieux de nous offrir si élégamment ce dernier exemple du quatuor rococo avant l’émergence quatuor à exclusivement à cordes de l'âge « classique ». suivant. 

Louis-Gabriel Guillemain : Second Livre de sonates en quatuor œuvre XVII , Ensemble la Française, 1 CD , label Musica Ficta

 


 

 

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