lundi, avril 26, 2021

LE COR, OUI, LA CHASSE, NON!

RCF N°519

 Semaine 15

Aquarelles, Alexandre Collard (cor), Nicolas Royez (piano), œuvres de Jean Françaix, Claude Debussy, Jane Vignery, Eugène Bozza.

Label Paraty

 

         Non, je m’inscris en faux, en fausse note avec au moins le second vers d’Alfred de Vigny, tiré de ses Poèmes antiques et modernes parus en 1826 :

J'aime le son du cor, le soir, au fond des bois,
        Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois…

 

Stop, j’arrête :  rien ne me fera aimer, surtout au fond des bois, un instrument qui sonne l’hallali, faisant des chiens, animaux si affectueux, une meute meurtrière dressée, par la cruauté des hommes pour leur sadique plaisir, sans nécessité alimentaire aujourd’hui, à déchirer de leurs dents un pauvre animal vivant, un cerf ou une biche. Toute mon âme franciscaine, humaine, tendue aussi vers la protection des animaux, se révulse et se hérisse de tous les poils animaux de mon corps pour dénoncer la cruelle chasse à courre. Et dans ce cas, je souscris au dernier vers de ce long poème,

 

Dieu ! que le son du cor est triste au fond des bois !

 

Il s’agissait, chez Vigny, d’évoquer la Mort de Roland à Roncevaux qui, assailli par les maures, appelle en vain le secours de l’armée de Charlemagne en soufflant à s’en rompre les tempes dans son olifant, corne d’éléphant creusée, ancêtre, comme toute corne de bovidé, du cor. Cor aujourd’hui harmonique, harmonieux, tout doré, comme enroulé voluptueusement sur lui-même avec ses tuyaux complexes lovés dans la courbe de son large pavillon : un volubilis de métal, de soleil, de sons, des plus doux, aux plus puissants appels.

Je n’imputerai donc pas à Alexandre Collard des crimes de chasse dont il n’est pas coupable, pas plus que son instrument qu’il sublime par la palette de couleurs qu’il en déploie avec la complicité de Nicolas Royez, dont le piano tisse un tapis ou broderie à son déploiement. Les deux instruments chantent et enchantent ensemble les Ariettes oubliées de Debussy, destinées au chant, sur des poèmes de Verlaine. Verlaine appelait ces brèves poésies Romances sans paroles. Collard reprend ce titre au pied de la lettre, au pied de la note de Debussy plutôt, puisque, à défaut de voix humaine, c’est le cor, avec un charme confidentiel pénétrant, qui donne voix aux poèmes sans paroles de Verlaine. Mais c’est si prenant, si présent, que l’on se surprend à murmurer sur le fil de sa voix discrète les vers fantômes évanouis. Écoutons un extrait de la première ariette, « C’est l’extase », bien sûr, « l'extase langoureuse », « la fatigue amoureuse » après l’étreinte des corps qui s’étirent, déjà gagnés de nostalgie dans le souffle feutré du cor, cuivre devenu caresse, soupirant une heureuse lassitude sensuelle :

1) PLAGE 4 : 

Le poème suivant, l’ariette suivante est aussi délicatement exprimée : « Il pleure dans mon cœur », on en connaît le texte :

« Il pleure dans mon cœur

Comme il pleut sur la ville ;

Quelle est cette langueur

Qui pénètre mon cœur ? »

Le piano de Nicolas Royez larmoie, ponctue obstinément des larmes infinies sur ce cœur plein d’ennui, mais la voix triste et fine du cor en fait un délicieux ennui de dandy élégant, comme le « Spleen » qui clôt ces bien nommées Aquarelles de Debussy : car, à part quelques pièces de Jean Françaix  (1912-1997) ou de la Belge Jane Vignery (1913-1974),

plus colorées, ce ne sont pas d’impressionnantes couleurs de tableaux impressionnistes ou expressionnistes, mais de modestes peintures à l’eau d’une grande douceur, où les teintes sont délicates, estompées d’humidité, forcément diluées, sans rien d’éclatant, entre deux eaux dirait-on, deux tons : un entredeux du rêve.

Justement, de Jane Vignery, que l’on découvre avec plaisir, un aperçu du troisième mouvement allegro de sa Sonate op. 7 :

2) PLAGE 12

Les cinq pièces, tableaux sonores ou scènes de genre d’Eugène Bozza (1905-1991) font la part belle au cor, le piano restant un peu à part, en plan, sentent l’exercice de style pour exploiter toutes les possibilités de l’instrument, mais ne sont pas sans charme.

On lui pardonnera, dans, « En forêt » (plage 13), quelque inévitable mauvaise réminiscence d’un cor mal employé de chasse à courre, mais permettant au corniste de jouer d’effets bien venus d’échos, de distance, de profondeur. « En Irlande » (14), avec quelques modulations celtiques, nous ferait entendre presque la cornemuse sur de vertes campagnes. « Chant lointain » (15) semble la plainte du piano dont le cor s’émancipe en triomphant, occasion aussi de ces jeux de perspective sonore. « Sur les cimes » (16), un effet d’espace réussi où le piano semble la référence horizontale des sommets, des crêtes des envols planants du cor.

Nous quittons ce disque sur la dernière pièce de Bozza, « Entretiens » (17), long solo du cor qui joue de tout son corps vibrant, de vibrations infimes, fins frissons ou larges tremblements, déroulant, déroutant, osant des sonorités sibilantes, acides, raillant, déraillant dans une plaisante autodérision de l’instrument qui ne se monte pas du col, dans des virtuoses virevoltes et voltiges étourdissantes :

3) PLAGE 17

Aquarelles, Alexandre Collard (cor), Nicolas Royez (piano), œuvres de Jean Françaix, Claude Debussy, Jane Vignery, Eugène Bozza.

Label Paraty

 Podcast :

https://rcf.fr/culture/livres/aquarelles-avec-alexandre-collard-cor-et-nicolas-royez-piano


 

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