mercredi, mars 03, 2021

HONGRIE/ITALIE : PONTS MUSICAUX


PRISMA – Il Transilvano : Musical bridges between Italy and Hungary around 1600 (one thousand six hundred)Works from Codex Caioni and Hungarian folk music,  Ambronay Éditions.

         Les Britanniques ont largué les amarres, et vogue la galère de leur île. Pourtant, les Européens, à en juger aussi par les titres des disques, restent amarrés béatement à une langue anglaise jargonnée qui n’est parlée ou comprise, en Europe, selon les statistiques, que par moins de 1% de la population. Si la musique est une langue universelle, qui n’a pas besoin de traduction, à juger par ces disques, on croirait qu’il n’est d’auditeurs que britanniques. Que l’on sache, le prestigieux festival et les éditions Ambronay, pardon Ambronay editions, sont bien ancrés en France. Ce fameux label  français nous offre, par l’ensemble Prisma, un Cd dont vous avez sans doute compris le titre, que je vous traduis tout de même :

‘Ponts musicaux entre l’Italie et la Hongrie autour de 1600’ ; œuvres tirées du Codex Caioni et de la musique folklorique hongroise’.

Il Transilvano, ’le Transylvain’ : le CD prend son nom d’un recueil que l’organiste Girolamo Diruta (Venise 1593) dédia au Prince Sigismund Báthory de Transylvanie, région dont les frontières, au hasard des guerres oscillent entre la Roumanie et la Hongrie, le mot venant du latin trans-silvam : « au-delà des forêts ». Pour l’anecdote, c’est en Transylvanie que Bram Stoker a situé l'action de son roman Dracula (1897) dans un château qui existe vraiment, avec le vrai nom d’un terrible seigneur Vlad III Dracula, surnommé l'Empaleur. Mais si le disque donne des frissons, c’est de plaisir.

         En effet, l’ensemble Prisma, formé de quatre jeunes musiciens hongrois, israéliens, franco-allemands, s’est fait une spécialité de musiques rares mais pittoresques des XVIe et XVIIe, donc de l’époque baroque en gros, et se sont adjoints ici un cinquième larron. Ils sont intégrés à l’excellent programme Européen Eeemerging+, une pépinière qui promeut les jeunes ensembles de musique ancienne, développe la mobilité des artistes, en leur facilitant des tournées en Europe. Prisma a fait des résidences en Hongrie.

Ce disque en est le bondissant et jubilant résultat sautant de la musique savante italienne, aux nobles accents, dont la superbe sonate La Romana d’Orazio Tarditi, des genres baroques localement adaptés, à des musiques populaires tirées d’un terroir hongrois immémorial. On nous pardonnera de donner ici la préférence à cette musique beaucoup moins fréquentée, disons inconnue qui semble venir d’un ailleurs à la fois proche et lointain, un touchant héritage revisité et revivifié. Comme dans la « Gaillarde dite la ‘Hongroise’ », actualisée de David Budai sur le même cadre harmonique, plage 10, que l’on vous recommande d’écouter et réécouter.

Les morceaux, alternant pièces vocales et instrumentales, sont courts, un seul excédant cinq minutes et c’est un plaisir d’en feuilleter les plages, les pages, de passer et de revenir de l’une à l’autre comme en effeuillerait un bouquet venu d’ailleurs. On peut être dérouté, sur ces terres inconnues, par la voix de Franciska Hadju : mais je la trouve, loin de toute sophistication belcantiste qui serait un contresens, ingénue, franche et fraîche, au timbre acide, pas forcément lyriquement séduisant, mais à la saveur populaire convaincante dans une poétique chanson d’amour hongroise au titre que, tout polyglotte que je sois, je ne me hasarderai pas à prononcer. Le poème est du XVIe siècle, la musique, du XVIIe, la seule de ce genre, dont la musique écrite soit parvenue (plage 7).

Ces pièces sont tirées du Codex Caioni qui, lui, tire son nom du compilateur János Kájoni (1629-1687), évêque de Transylvanie, érudit et humaniste. Il avait dressé une large collection de musique, populaire autant que savante, hongroise, allemande, italienne, (on y trouve Schütz, Monteverdi …), inestimable trésor dissimulé pendant la Seconde Guerre mondiale pour l’arracher à la fureur nazie cherchant à détruire, entre autres, tout le patrimoine slave, hongrois, tzigane, peuples soi-disant inférieurs. Heureusement redécouvert en 1988, il fait aussi le prix de cet enregistrement : au mythe mortifère des races et civilisations pures, il oppose la vitalité des métissages régénérateurs entre les peuples enrichis de leurs échanges, de leur mélange de sang et de cultures, savante et populaire.

C’est donc un disque original dans notre univers musical d’Europe occidentale, un panorama attachant, et l’on sera touché par la longue ballade dramatique que j’ose prononcer, Angoli Borbála, nom de l’héroïne (plage 11). Cela commence par un printanier et joyeux concert d’oiseaux qui semble accompagner la danse de la jupe de la jeune fille, jupe trop courte devant, trop longue derrière. On croirait d’abord la marche dansante de notre Perrette et le pot au lait de La Fontaine. Hélas, un dialogue de plus en plus pressant et oppressant avec la mère nous révèle que la jeune fille est enceinte d’un inconnu, elle cherche vainement à cacher sa grossesse par cette jupe. Sa mère, véritable marâtre des contes de fées, l’enferme, lui refuse toute nourriture. Elle meurt mais le Prince qui l’aimait, qui l’avait engrossée, apprenant le drame, vient se suicider sur elle, sa Juliette, en Roméo universel.

PRISMA – Il Transilvano : Musical bridges between Italy and Hungary around 1600 – Works from Codex Caioni and Hungarian folk music.  Ambronay Éditions.

Podcast :

https://rcf.fr/culture/livres/prisma-il-transilvano


 

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