vendredi, mai 22, 2020

JOURNAL D’UN (DÉ)CONFINEMENT (13)

 
JOURNAL D’UN (DÉ)CONFINEMENT (13) 
RCF DIALOGUE, 22 /05/2020, 12H20
L’homme et la nature, la nature et l’homme, la nature de l’homme

La science a informé notre conscience : c’est aux ravages que l’homme cause à la nature que nous devons la rage de cette pandémie. En détruisant les forêts, les niches écologiques, éthologiques, nous avons ouvert grandes les vannes, les rives, les dérives aux virus jusque-là confinés dans leurs rivages viraux naturels, inoffensifs. C’est que, avec une inconscience coupable malgré les progrès de la science, il semble qu’on en soit resté à l’enthousiasme arrogant de ses tout débuts qui faisait dire à Descartes que l’homme est « maître et possesseur de la nature. » Un maître qui aurait tout pouvoir, tous les droits et aucun devoir envers la nature. C’est ce même Descartes qui développait son atroce théorie des « animaux-machines », insensibles et inconscients, qui révulse notre fibre franciscaine d’amour des animaux. Cela choquait aussi en son temps Madame de la Sablière et son protégé La Fontaine dont les fables font des animaux nos semblables, sinon nos frères.

Leur contemporain Pascal jugeait Descartes « inutile et incertain ». Pour Pascal, en une époque qui venait de découvrir le télescope et le microscope, situé entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, l’homme est une antithèse irréductible de misère et de grandeur :



« Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout ».



Pour exprimer la misère de l’homme on connaît encore ces phrases de Pascal :

« L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. »



Notre faiblesse dans la nature, notre misère, devient supériorité quand on en a conscience, c’est notre grandeur.



Pour le mystique Cardinal Bérulle, qui précède Pascal, l’homme est un néant environné de Dieu. Mais où est ce Dieu qu’on cherche tant à démontrer au XVIIe siècle, sans le trouver ? Pour les jansénistes, c’est un Dieu caché et, pour Pascal, opposé à Descartes qui veut le prouver scientifiquement, Dieu est sensible au cœur, sa seule preuve. Pour leur contemporain juif Spinoza, opposé aussi à Descartes, nous sommes partie prenante de la nature, Dieu est tout : il est partout, c’est l'intégralité du monde.

Ce monde, dont les grandes découvertes géographiques et cosmographiques viennent de montrer l’immensité, on continue de l’explorer, pour l’exploiter. Dans l’infini du cosmos que laisse présager le télescope, certains ont perdu un Dieu céleste devenu trop lointain, dissous à jamais dans l’espace. D’autres le cherchent dans l’infini intérieur de l’âme, qui est une autre terre à explorer pour découvrir le ciel, ainsi le grand poète et mystique espagnol saint Jean de la Croix :



Je suis entré sans savoir où,

Et suis resté sans savoir,

Toute science transcendant…



Cependant, sa théologie négative, ses ténèbres lumineuses, n’empêchent pas sa poésie d’être traversée par le souffle, non des brutaux conquistadors, mais par les conquérants espagnols, émerveillés découvreurs de la nature dont la conquête est aussi une quête de l’âme qui explore et court le monde par « monts, rivages »,

                       Les montagnes,

Les vallées solitaires ombreuses,

                        Les îles étranges,
                        Les rivières nombreuses,



à la recherche, du seul El Dorado possible, non le mythique Indien Doré,  mais le mystique Époux divin pour célébrer avec lui l’union dans les noces spirituelles.

En effet, moins cupides de fortune matérielle qu’avides de richesse spirituelle, la quête céleste est traduite tout naturellement en termes de conquête terrestre chez des poètes mystiques espagnols. Ainsi Francisco de Aldana (1537-1577) rêve de



 la « conquête de ces sublimes parts / De ces Indes de Dieu ».



Miguel de Mañara (1627-1679), en qui l’on a cru voir par erreur le modèle du Don Juan, alors qu’il est né avant la création de la pièce qui fonde le mythe, mystique après une jeunesse de séducteur impénitent, rappelle cette équivalence :



         « Les découvreurs des Indes nous ont appris le chemin des Indes et, de la même manière, les découvreurs du chemin du ciel nous ont appris le chemin du ciel. »



Que l’on y cherche Dieu ou non, découvrir le monde, la nature, c’est se découvrir soi-même, et comprendre que nous sommes tous et monde et nature. C’est ce qu’exprime poétiquement et érotiquement le pasteur protestant John Donne (1572-1631) dont



la « main buissonnière/ Par-dessus, par-dessous, entre, devant, derrière »,



les fesses de sa maîtresse, explore les deux hémisphères, la rotondité du monde, la nature par le corps de la femme aimée dans le navire du lit de sa chambre. Une chambre dans une île anglaise qui ne le ferme pas au sentiment de l’unité entre nature, homme et humanité :



 « Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent […] la mort de tout homme me diminue, parce j’appartiens au genre humain ; aussi ne demande jamais pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne. »



Nous saluerons son île sans Brexit par la poétique musique de son compatriote Henry Purcell (1659 - 1695) “Music for a while…” tiré de Œdipus, Z 583



Un moment de musique, dit le texte, qui apaise tous les tourments, mais l’envoûtante basse continue du clavecin, le même motif qui pourrait se répéter à l’infini, dit, en réalité, l’éternité.



C’est chanté par Philippe Jarousky, contre-ténor






Texte



Henry Purcell



Music, music for a while,
Shall all your cares beguile,
Shall all, all, all,
Shall all your cares beguile.


Wond'ring, wond'ring
How your pains were eased, eased, eased
And disdaining to be pleased
'Til Alecto free the dead,
'Til Alecto free the dead
From their eternal bands,
'Til the snakes drop, drop, drop
Drop, drop, drop, drop, drop from her head
And the whip,
And the whip, from out her han.
Da capo
Music, music for a while…



TOUS CES AUTEURS SE PEUVENT RETROUVER DANS DEUX DE MES LIVRES, FIGURATIONS DE L’INFINI, SEUIL, 2000 ET D’UN TEMPS D’INCERTITUDE, SULLIVER, 2008 .



 89.6/ 101.9

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