mardi, avril 28, 2020

MOURIR AUJOURD'HUI


JOURNAL MUSICAL D‘UN CONFINEMENT (10)

Leçons d’un confinement.
Mercredi 29 avril 12h20 


Autrefois, la mort était sensible dans notre vie : on mourait chez soi, entouré de ses proches, réunis ensuite pour la veillée funèbre. La mort était visible dans nos sociétés : les Pompes funèbres encadraient de noir les portes du défunt avec ses initiales ; sur une petite table couverte d’une nappe de deuil reposait, avec un stylo, le cahier des condoléances. On avait vu arriver le prêtre avec les sacrements pour les croyants, et le défilé des couronnes de fleurs. Sensible, visible, la mort était aussi audible avec le glas des cloches et il y avait autrefois les petits corbillards délicatement chantés par Brassens.

Puis l’on a envoyé les encombrants mourants mourir à l’hôpital et, de l’hôpital, à un anonyme salon du cimetière pour une rapide cérémonie à temps compté puisque les convois mortuaires se succèdent à un rythme rapide. Aujourd’hui, on parle de « faire son deuil », d’autant plus que, peu à peu, on a évacué la mort de nos vies, dont elle fait pourtant partie.

C’est qu’avec le culte du beau, le culte du corps, par le sport, la chirurgie esthétique, notre arrogante modernité a cru nier la vieillesse et, sinon vaincre la mort, la dissimuler, par la parole ou les faits ; incapable d’affronter la violence de la réalité, on ne disait plus le mort, déjà plus le décédé, mais le défunt ; on use de la douceur d’euphémismes, du voile de périphrases : « il est parti, elle nous a quittés ».

Comme punis d’avoir cessé d’être jeunes, d’avoir renoncé à la jeunesse, comme si la vieillesse était une longue maladie qui choquait les regards, les anciens, on les a enfermés, avant de les renfermer dans les Ehpads, où la mort, qu’on ne voit plus, est allée silencieusement les chercher confinés dans une chambre, sans la famille, sans les amis : seuls.

Et songeons qu’à la douleur de la perte, s’est ajoutée, pour les familles, celle de n’avoir pu, par crainte de la contagion, assister l’être cher, ni l’accompagner pour ce qu’on appelle pudiquement le dernier voyage, interdit aussi. Et je pense, quand on n’a pas eu le temps de visiter, de dire adieu à un être aimé qui va disparaître à jamais, ce qu’on peut ressentir en pensant au geste qu’on n’a pas fait, au mot qu’on n’a pas dit ou, pire, au contraire, au mot de trop qu’on lui a dit, qui nous a échappé autrefois, et qu’on ne peut plus rattraper, ni effacer désormais par un autre mot aimant qu’il n’entendra plus.

Évitons ces mots cruels, qu’une fois dits, on ne cesse jamais de répéter et de regretter. À l’inverse, ne différons jamais, ne remettons jamais le geste amical, le mot affectueux à plus tard, au lendemain, à un avenir dont on n’est jamais assuré car on risque de n’avoir plus l’occasion de le faire ou dire.

         Écoutons ce doux adieu d’autrefois, Bist du bei mir un morceau qu’on a longtemps prêté à Bach car sa femme, Ana Magdalena l’avait copié dans son fameux petit cahier. Mais c’est un air du musicien allemand  Gottfried Heinrich Stötzel, tiré de son opéra Diomedes oder die triumphierende Unschuld  (‘Diomède  ou l'innocence triomphante’), crééé en 1718 à Bayreuth. On a retrouvé un exemplaire de la partition d'origine qu'on en 2000 Conservatoire de Kiev 

           Je vous donne une adaptation chantable des deux strophes :



Auprès de toi, j’irai sans crainte,

Tranquille, à mon dernier repos. (bis) 


Et mon adieu sera sans plainte

Si je sens à cette heure sainte

Tes douces mains sur mes yeux clos. (bis)

 (Da capo)
Bist du bei mir | par Benjamin Appl (baryton)













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