Séries d'émissions, confinement oblige par téléphone, sur les ondes de RCF Dialogue
Marseille : 89.6 et Aix, Aubagne, Étang-de-Berre : 101.9
JOURNAL MUSICAL D’UN CONFINEMENT
(1)
Rappelons-nous : Pascal, Blaise Pascal,
s’interrogeait sur la condition humaine. Il concluait :
« tout
le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas
demeurer en repos dans une chambre. »
C’est pourquoi, selon lui, nous cherchons avec
frénésie ce qu’il nomme « Le divertissement », un écran
fallacieux pour nous étourdir et ne pas voir en face la réalité de la vie avec
la mort au bout. Le repos forcé, le confinement, nous contraint au retour sur
soi, à l’introspection, à l’examen de conscience. Voici celui de Verlaine
(1844-1896), poète maudit. Il a tenté en 1873 de tuer son diabolique Rimbaud,
ami et amant, à Bruxelles. Condamné pour deux ans, il est en prison à Mons et
médite en regardant le peu qu’il voit de la fenêtre de sa cellule. Un poème
inclut en 1881 dans Sagesse :
D’une prison
Le
ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La
cloche, dans le ciel qu’on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.
Mon
Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
–
Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Paul
Verlaine, Sagesse (1881)
Écoutons
la version musicale de Reynaldo Hahn, interprétée avec une grande
délicatesse, qui respecte les nuances piano et pianissimo du compositeur par Bruno Laplante, baryton, accompagné au piano par Janine Lachance, Grand Prix du disque en
1974 .
JOURNAL MUSICAL D’UN CONFINEMENT
(2)
La Chine, ce n’est pas que ce virus
qui nous confine. Ces confins d’un Orient mystérieux ont nourri bien des
légendes. Ainsi, celle de la lointaine Princesse Turandot. Elle
représente déjà la révolte des femmes contre les hommes, qui ne date pas
d’hier. Pour venger son
immémoriale aïeule victime de la violence masculine, qui fut violée autrefois, la farouche vierge Turandot imagine
un jeu terrible et capital. Capital, au sens premier du mot, c’est-à-dire qui
relève du cap, de la tête : et ils ne la relèveront plus ces princes, dépités
puis décapités pour avoir perdu la tête pour la belle et cruelle princesse de
Chine. Pour gage de ce jeu, bien court mais peu courtois, ils engagent leur tête en
prétendant à sa main mais
ils doivent, pour cela résoudre, des énigmes insolubles qu’elle leur
propose : ils acceptent de payer, de leur tête, leur échec.
Un prince, inconnu, trouve
pourtant la solution et peut donc prétendre à sa main, ce qui horrifie
Turandot, qui hait les hommes. Généreusement, il lui propose de résoudre à son
tour, avant l’aube, une énigme, découvrir le mystère de son nom pour se libérer
de l'enjeu matrimonial. Turandot mettra Pékin à feu et à sang pour trouver qui
il est et s’épargner ainsi le mariage auquel elle s’est jurée d’échapper.
Sur la fable de Carlo Gozzi de 1762, Puccini, en 1924, met
en musique Turando qu’il ne pourra
achever, rattrapé par la mort. Voici le chant triomphal du Prince : « Vinceró, vinceró », ‘Je
vaincra, je vaincrai !’ Cri de victoire que nous allons faire nôtre pour
vaincre ce virus et les applaudissements, intempestifs, qui saluent l’entrée en
scène de Luciano Pavarotti et la fin de son air, nous les dédierons à ces
héroïques soignants qui luttent pour notre santé au péril de leur vie.
« Nessun dorma… »,
air de Calaf, extrait de Turandot de
Puccini par Luciano Pavarotti, Lincoln Center, 1979, accompagné par Richard
Bonynge :
JOURNAL MUSICAL D’UN CONFINEMENT
(3)
On demandait à Gide :
« Quel est le plus grand poète
français ?»
Il répondit en soupirant :
« Victor Hugo, hélas ! »
Laissons Gide, qui s’endormit en
lisant le manuscrit de Proust qu’il refusa d’éditer, à ses goûts étriqués et à
son nombril obsessionnellement et amoureusement scruté dans son Journal. Oui, Victor Hugo est souvent
pompeux, quelquefois pompant et même pompier. Cependant, certains de ses poèmes
ont une telle force qu’ils font partie du patrimoine poétique populaire de la
France, et il est l’écrivain Français le plus universellement connu, alors que
Gide est pratiquement resté confiné dans ses frontières.
Victor Hugo interdisait que l’on mît
« de la musique le long de ses vers. » Heureusement qu’on ne l’a pas
écouté. Certaines de ses pièces, mises en musique, devinrent des opéras, comme Lucrezia Borgia, par Donizetti, Ernani par Verdi qui fit, de son Triboulet, qu’on ne joue plus, un
immortel Rigoletto. Et nombre de ses
de ses poèmes devinrent d’inoubliables mélodies sous les plumes de grands
compositeurs.
Écoutez donc, pour vous convaincre
qu’ils firent bien de ne pas obéir à son interdit, ce tout petit poème, sublimé
par la musique de Reynaldo Hahn : c’est l’expression d’une personne
exilée, isolée, s’adressant, par la poésie, par l’esprit, par l’amour, au foyer
dont il est séparé… par le confinement.
Faites de la poésie, lisez de la
poésie, écoutez, de Victor Hugo et Reynaldo Hahn : Si
mes vers avaient des ailes…par Bruno
Laplante, baryton et Janine Lachance
au piano :
JOURNAL MUSICAL D’UN CONFINEMENT
(4)
Dans le dernier volet, je conseillais : « Faites de la poésie, lisez de
la poésie ! » Mon vœu a été exaucé : j'ai reçu de jolis
poèmes sur le modèle du haïku japonais proposé par des amis, trois vers courts,
de 5-7-5 syllabes, sans besoin de rime. On y rajouterait un quatrième vers de 7
syllabes et nous aurions le modèle de la seguidilla
espagnole, qui remonte au XVe siècle ! Des chaînes de poésie
circulent aussi, à travers les ondes, le monde, dans diverses langues. Le
même ami Raúl me rappelle que le si français Uruguayen comte de Lautréamont,
disait : « la poésie doit être faite par tous, non par un ».
Donc, nous vivons un moment de supplice mais propice à la poésie.
À mon tour, en hexamètres, vers de 6
pieds, j'ai écrit une sorte de petit haïku que je vous offre comme
thème aujourd'hui de ce journal :
Hermétique
silence
D’un ciel moins pollué :
Et
soudain, une étoile.
En effet, presque pas de circulation,
silence dans les rues, pas de pollution, on revoit le ciel, on redécouvre les
étoiles.
Et maintenant, imaginez-vous au XIIIe
siècle dans le Tannhäuser de Wagner, à la Wartburg, un
sombre château. Il y a eu un concours poétique de minnasänger, poètes de l’amour courtois, version germanique de nos
troubadours provençaux en langue d’oc, dont l’art avait été repris, en langue
d’oïl, par les trouvères du nord de la France. Le poète Wolfram von
Eschenbach (vers 1170-1220),
dont le Parzival inspirera le Parsifal de Wagner, est ici dans
l'angoisse du brouillard et de la nuit qui tombe, présage de mort de la
femme qu'il aime Élisabeth, abandonnée par le débauché Tannhäuser parti
chercher l’absolution du pape à Rome. Soudain, une douce étoile scintille,
comme un guide lumineux dans le sentier ténébreux du monde : Wolfram s'adresse à cette bienfaisante
étoile du soir (« Ô du mein holder Abendstern…»), il la prie de faire
d'Élisabeth un ange du ciel comme elle le fut sur terre.
Tannhäuser reviendra, mais trop tard,
son bâton de pèlerin, planté au sol, miraculeusement et printanièrement fleuri,
comme un rameau pascal, en signe de pardon du ciel obtenu pour lui par la
prière d’Élisabeth.
Après un sombre récitatif angoissé,
soudain, les cordes frémissent doucement : écoutez scintiller l'étoile de
l'espoir, fixez-la par l’esprit, laissez-vous bercer, envoler, tendrement par Dietrich Fisher-Dieskau qui
prête sa voix à Wolfram sur les ondes douces de la harpe du
poète :
JOURNAL MUSICAL
D'UN CONFINEMENT
(5)
de NOËL À PAQUES
TELS DES OISEAUX EN CAGE…
En
décembre, j’avais fait une émission pour conseiller ce conte livre /CD comme
cadeau de Noël pour les enfants. Je l’ai réactualisé pour Pâques et il est sur
mon blog ci-dessous. Il est comme une métaphore prémonitoire de notre
confinement. Musiques, que m’ont offertes aujourd’hui, en liens, pour illustrer
mon texte, les musiciens de l’Ensemble Artifices.
Adorable fable
initiatique d’une quête identitaire, une réflexion délicate sur le naturel et
l’artificiel, l’inné et l’acquis, qui sensibilise les enfants au respect de la
nature.
Le livre s’enrichit de trois bonus, un sur les oiseaux et la musique, sur
l’apprentissage de la musique aux oiseaux, avec cette serinette de la petite
fille ; un bonus sur les instruments de musique qui illustrent le conte.
Un joli conte,
joliment écrit, joliment dit, joliment joué et illustré : un joli cadeau
pour Noël et pour Pâques.
JOURNAL MUSICAL D'UN CONFINEMENT
Don Quichotte : recours et secours
En ce triste
temps de confinement, la lecture, relecture de Don Quichotte de Cervantes (1605/1615), par sa beauté, son humour, son
amour de l’humanité, est un recours et
un secours. Guidé par un idéal de justice et de bonté, le chevalier errant
est le défenseur des causes perdues. Il est toujours vaincu, mais il y a des
défaites plus glorieuses que des victoires. C’est un hidalgo qui a pris pour
écuyer un pauvre paysan, Sancho, qu’il appelle « ami »,
« fils » et lui transmet sa haute morale, un idéal de liberté, d’égalité, de fraternité déjà.
Sur la
liberté :
« La liberté, Sancho,
est un des dons les plus précieux que les Cieux aient faits aux hommes ;
pour la liberté autant que pour l’honneur, on doit aventurer la vie ; au
contraire, la captivité est le plus grand malheur qui puisse advenir aux
hommes. »
Sur l’égalité de tous les hommes, au-delà des titres :
« Sois fier, Sancho, de l’humilité de ton lignage,
et ne dédaigne point de dire que tu es fils de paysans. Si l’on voit que tu n’en as
pas honte, nul n’essaiera de t’en faire honte ; […] il n’y a pas de raison
d’envier ceux qui ont pour pères et aïeux des princes et des grands, car si le
sang s’hérite, la vertu se mérite, et la vertu vaut bien plus que toute
noblesse héritée. »
« Sache, Sancho, qu'aucun homme
n'est plus qu'un autre s'il ne fait pas plus qu'un autre. »
Don Quichotte, c’est aussi l’espoir :
« Toutes ces tempêtes
qui nous frappent sont le signe que le beau temps va revenir et que nos
affaires vont s'améliorer ; car il est impossible que le mal et le bien soient
durables et il s'en suit que, le mal ayant beaucoup duré, le bien est déjà
proche… »
Nous sentons bien tous, qu’après cette épreuve mondiale que
nous subissons, rien ne sera pareil et qu’il faudra en tirer les leçons pour
faire un monde meilleur. Écoutons encore Don Quichotte :
« Ami Sancho, changer
le monde n'est ni folie ni utopie, mais justice. »
Comment
n’être pas d’accord avec cette phrase à l’ironique duchesse ?
« Madame, où il y a de la musique, il ne peut y
avoir de mal. »
Don Quichotte à Dulcinée est un recueil de trois mélodies composées par Maurice Ravel en
1932 sur des poèmes de Paul Morand. Voici la « Chanson épique», chanson
d’amour mystique à Dulcinée assimilée à la Vierge, la dame idéale, dans une
tradition lyrique héritée des troubadours dans sa version orchestrale par José van Dam, baryton, et
l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, dirigé
par Kent Nagano :
Et la version piano originale des
trois mélodies toujours par José van
Dam, baryton, accompagné par Dalton
Baldwin au piano
Chanson épique
Bon Saint Michel qui me donnez loisir
De voir ma Dame et de l’entendre,
Bon Saint Michel qui me daignez
choisir
Pour lui complaire et la défendre,
Bon Saint Michel veuillez descendre
Avec Saint Georges sur l’autel
De la Madone au bleu mantel.
D’un rayon du ciel bénissez ma lame
Et son égale en pureté
Et son égale en piété
Comme en pudeur et chasteté:
Ma Dame.
Ô grands Saint Georges et Saint
Michel,
L’ange qui veille sur ma veille,
Ma douce Dame si pareille
A Vous, Madone au bleu mantel !
Amen.