mercredi, février 27, 2019

LA GUERRE DES BOUTONS N’AURA PAS LIEU

 

L’Auberge du Cheval Blanc

(Im Weissen Rössl, 1930)

Opérette en 2 actes et 8 tableaux

Livret d’Erik Charell, Hans Müller et Robert Gilbert

Musique de Ralph Benatzky
(1887-1957)
Adaptation française de Lucien BESNARD et René DORIN




         Guerre des boutons… disons plutôt des boutonnages de tuniques, le révolutionnaire, par devant, ou le réactionnaire, inversion et perversion, par derrière (même les souples chimpanzés auraient du mal à s’auto-boutonner, non ?). Sur les verdoyants alpages tyroliens, vert de rage—couleur pâturage— risque de s’alpaguer —il en a des boutons— Napoléon Bistagne, cherchant la castagne au sommet contre un contrefacteur, avisé qu’il est par une walkyrienne contre(ut)factrice lui apportant par courrier recommandé la sommation à comparaître en procès contre César Cubisol. Bref, Bistagne tonne, on se déboutonne, c’est la guerre des boutonnages inverses rivaux, ouverte, déclarée, entre le génial créateur de la combinaison « Napoléon » (devant) et celui de la « César » (derrière) auquel César Napoléon Bistagne ne rendra pas ce qui ne lui appartient pas.  Mais que va faire sur cette galère alpestre le Marseillais de la rue Saint-Ferréol, rêvant de Bandol et sa plage pour attaquer le plagiaire Cubisol qui jouera l’Arlésienne du Tyrol puisqu’il ne paraîtra jamais ?


         À cette guerre sans dentelles (mais… mais, peut-être les combinaisons en  ont-elles ?) s’ajoute la guerre d’amour : Léopold aime Josépha qui aime Guy qui aimera Sylvabelle… Quatuor, quadrille ; ajoutez un autre couple, le leste rejeton de Cubisol et un beau zeste de fille zozotante et cela fait, en trois couples, un sextuor. Et en avant la musique, sous la cravache —non, trop dur pour le cheval!—la baguette ou trot ou galop de Bruno Conti. Les solos alternent avec les duos et les chœurs, toujours mêlés habilement de danses par Estelle LELIÈVRE-DANVERS, valses, fox-trots, et même un ranz des Vaches qui Rient autant que nous, dans un rythme oxygéné des hauteurs, mais pas de tyrolienne de Piccolo…

       Un rideau de scène peinturluré de sapins, encadré à cour et à jardin des hures hilares de deux chevaux (des bêtes) en carton découpé comme les deux chalets, agrémentés de quelques tables incrustées de motifs floraux tyroliens et sièges. Et avec tout le déploiement fidèle des costumes de la Maison Grout, plus tyroliens que nature, tabliers, jupes pour les dames, chapeaux feutre à plume, shorts, bretelles chaussettes à mi mollet pour les hommes. Voilà pour le lieu, encore célèbre de villégiature où se bousculent les estivants, accueillis par une armée chantante et dansante de serveurs stylés, dont Piccolo Lothaire LELIÈVRE, jeune et digne comme un groom.


         Ah, oui ! Nous sommes dans l’auberge autrichienne de Saint-Wolfgang (oui, comme Mozart, que l’on canoniserait volontiers si l’on croyait aux saints, mais qui n’en a nul besoin puisqu’il est divin) où les gens qui en ont les moyens viennent chercher celui de se refaire une santé à l’air pur.

La rêche et revêche patronne rabroue son élégant maître d’hôtel Léopold qui a le tort d’être amoureux d’elle : comment peut-elle maltraiter le bien chantant, le beau Grégory BENCHÉNAFI, qui couve son amour, couvre l’ingrate de fleurs et lui roucoule : « Pour être un jour aimé de toi », voix tendre, souple, nuancée de brumes romantiques ? Mais, ni rêche ni revêche, la pimbêche anti Léopold pour son Guy Florès d’avocat parisien, beau ténébreux au sourire étincelant et à l’œil de velours, Marc LARCHER, dont la voix solaire, chaude, dès qu’il arrive, fait monter la température : le désir de la dame et la rage de l’amoureux dépité. Et la voilà, l’accorte Jennifer MICHEL puisqu’il faut l’appeler par son nom, qui déploie l’éventail d’une voix ample, fruitée, offerte, épanouie, voluptueuse et enveloppante comme une promesse d’amour. Qui sera frustrée, tant pis pour elle : le Florès en question fait florès et la roue de sa ronde voix prenante, prenant sous son charme la jolie Sylvabelle Bistagne (Charlotte Bonnet)  au sourire radieux, au timbre limpide comme une source montagnarde dont son aigu a les pics lumineux : sourire pour sourire, voix pour voix, les deux tourtereaux s’assemblent. Comme se ressemblent les timbres plus doucement corsés et accordés de Léopold et Josépha, autre vérité que la dame, comprendra à la fin.


Narcisse auto-proclamé, on n’est jamais si bien servi que par soi-même, souple comme un écureuil rieur et railleur, le béguin bondissant Célestin Cubisol, Vincent ALARY, une nature qui, du zozotement de sa belle n’a cure, ni dent dure car il est vrai que sa Clara, Priscilla BEYRAND, est à croquer, mais tendrement. Vive les couples heureux. Qui ont des histoires. Petites histoires du temps suspendu entre la Grande Histoire : 1930, opérette allemande adaptée et adoptée par la France entre deux Guerres mondiales…

Et l’on regrette même, en compensation joyeusement et pacifiquement belliqueuse, que l’affrontement au sommet entre Cubisol, absent, n’ait pas lieu avec Napoléon Bistagne quand on sait que celui-ci est personnifié par Antoine BONELLI, tout en rondeur mais hérissé de pointes (pas de casque teuton) mais sans accent pointu, Marseillais à couper au couteau, occupant le plateau comme un Empire personnel, qui déclenche la salve (inoffensive) des rires avant même d’ouvrir la bouche, un spectacle à lui tout seul, puis en shorts !
Et l’on regrette que son prénom ne soit pas exploité par le texte ni la scène quand on sait que ce Napoléon rencontre, incarné par Claude DESCHAMPS, le mélancolique Empereur d’Autriche François-Joseph (1830-1916, veuf de Sissi assassinée en 1898) dont l’empereur français, vainqueur du père, devint son beau-frère en épousant Marie-Louise… On lui pardonnera pour sa tristesse et sagesse, comme aux cuivres sonnant la chasse bestiale, qu’il vienne ici pour un concours de tir jamais de bon augure pour les bêtes et les hommes. Notre indulgence, qui n’est pas grande pour les massacreurs d’animaux, nous la réservons au plus inoffensif « Garde général des forêts », Michel DELFAUD, ineffable même fusil, pour rire, à l’épaule, inénarrable avec son compère Jean GOLTIER, en shorts obligés, autre couple hilarant. À ajouter au tableau de chasse de l’opérette.


On n’aurait garde d’oublier, en Professeur Hinzelmann, Dominique DESMONS et l’on avoue frémir un peu à le voir, en noir, chapeau Loubavitch en tête, deux grandes mèches en spirales, les « payos », encadrant sa face barbue : l’image caricaturale du Juif qui, en rajoute d’ailleurs avec son histoire de petites économies débitées d’une petite voix à l’accent yiddish, qui nous rappelle quelqu’un. Dans le contexte des années 30 allemandes, par notre temps de retour d’antisémitisme à vomir, on craint le pire mais on s'abandonne au rire et l’on se dit, non : n’en déplaise au politiquement correct, ces blagues, comme les blagues corses, belges, auvergnates, tout ce folklore nous appartient, il est à notre communauté sans discrimination d’origine. D’ailleurs, le voilà qui se lance, avec un autre quadrille dans une danse devenue patrimoine comique national, celle de Louis de Funès dans Rabi Jacob de Gérard Oury. Non, il ne faut pas renoncer au rire sain qui libère des haines : sa proximité, sa familiarité, c’est finalement notre fraternité.


Derrière moi, une vieille dame émerveillée, chantonnant les airs et commentant presque à haute voix les costumes avec sa voisine, avisant la factrice Walkyrie (détonante Perrine CABASSUD) en casque à cornes, chope de bière en main, dévorant une saucisse,  s’écrie naïvement, indifférente aux frontières et anciens conflits, à voix basse : « Vé, la Gauloise, elle mange la choucroute ! »

Blagues tyroliennes, blagues juives, Walkyrie et Gauloise : tout le merveilleux œcuménisme culturel de notre Europe à tous. L’auberge tyrolienne est une vraie auberge espagnole : on y apporte ce qu’on a, culture et cœur.



Marseille, théâtre de l’Odéon

23 et 24 février
L’Auberge du Cheval Blanc
de Ralph Benatzky
Direction musicale :  Bruno CONTI
Chef de chant : Caroline OLIVÉROS
Mise en scène : Jack GERVAIS
Assistant mise en scène : Sébastien OLIVÉROS

 Chorégraphie : Estelle LELIÈVRE-DANVERS
Décors Théâtre de l’Odéon ;  Costumes Maison Grout
DISTRIBUTION
Josepha : Jennifer MICHEL ; Sylvabelle : Charlotte BONNET , Clara : Priscilla BEYRAND : Kathy : Perrine CABASSUD
Léopold : Grégory BENCHENAFI
Bistagne :  Antoine BONELLI
Guy Florès : Marc LARCHER
Piccolo Lothaire LELIÈVRE
Célestin :  Vincent ALARY
L’Empereur Claude DESCHAMPS
Le Professeur Hinzelmann :  Dominique DESMONS ; Le Garde général des forêts : Michel DELFAUD ; Le Cook / Le Guide :  Jean GOLTIER
Orchestre du Théâtre de l'Odéon
Alexandra JOUANNIÉ, Chantal RODIER, Jean-Christophe SELMI, Isabelle RIEU, Chris ne AUDIBERT, Stéphanie BENVENUTI, Tiana RAVONIMIHANTA, Pierre NENTWIG, Philippe ANSELMINO, Claire MARZULLO, Flavien SAUVAIRE, Philippe SEGARD, Marc BOYER, Luc VALCKENAERE, Thierry AMIOT, Gérard OCCELLO, Yvelise GIRARD, Alexandre RÉGIS
Chœur Phocéen
Caroline BLEYNAT, Sneji CHOPIAN, Diane GAUTHIER, Sabrina KILOULI, Davina KINT, Servane LOMBARD, Jing NING, Anne-Gaëlle PEYRO, Laurent BŒUF, Angelo CITRINITI, Emmanuel GÉA, Vagan MARKVETSYAN, Jonathan PILATE, Damien RAUCH, Bruno SIMON, Jonathan SUISSA
Chef de Chœur Rémy LITTOLFF

Danseurs
Laura DELORME, Malory DE LENCLOS, Mylène MEY, Laia RAMON Evgeny KUPRIYANOV, Serge MALET, Gérald NEEB, Sullivan PANIAGUA

 Photos Christian Dresse :
1. Léopols rebuté par Josépha ;
2. Florès et Sylvabelle dans le bleu ;
3. Claire et Célestin ;
4. Piccolo et Léopold ;
4. La danse juive à la Rabi J. ;
5. Le Marseillais Napoléon Bistagne et la factrice Walkyrie;
6. Josépha et le mé"lancolique empereur ;
7. Finale.

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