lundi, juin 11, 2018

GUERRE (ET BEAUCOUP) D'AMOUR



DALLA GUERRA AMOROSA



Sergio Ladu, baryton-basse

Jean-Paul Serra, clavecín



Marseille, église Saint-Théodore



25 mai 2018

         Un lieu

         Angle rue d’Aix et rue Nationale : sauvés de justesse de la ruine, deux puissants atlantes musculeux soutiennent on ne sait quel ciel qui risquait de leur tomber sur la tête avant leur restauration. Ils sont de Pierre Puget (1620-1694), admiré au XVIIIe siècle comme « le Michel Ange de la France », mais célébré —de loin— en son siècle par Versailles, circonscrit à trois grands ports, Toulon et Gênes et Marseille sa ville natale qui en garde quelques magnifiques traces, telle la Chapelle de la Vieille Charité, un théâtre de la dévotion en pierre rose, digne de la monumentale Rome.

On monte la rue d’Aix et, à droite, rue des Dominicaines, immédiatement, même engoncée dans l’étroitesse de la voie, sur son piédestal fermé de grilles à deux accès à degrés, l’église Saint-Théodore impose la noblesse de sa façade classique, sa géométrie de style Renaissance, quatre pilastres coiffés d'un fronton triangulaire. La porte d'entrée est surmontée d’une statue de la Vierge flanquée de deux statues : Saint-Louis et sa couronne d'épines et la statue de Saint-Théodore.


L’intérieur, sous la crasse des ans plus que la patine vénérable, dans un état de dégradation qui serre le cœur, un joyau baroque. Mais le soulagement et le concert dissipent l’angoisse : après des années de tractations, l’église, bientôt fermée provisoirement, sera restaurée en 2021, dont ce toit, ce ciel, contenu d’un filet actuellement pour en éviter l’effondrement. On espère être au rendez-vous.  


On a beau connaître le lieu, même en l’évitant souvent pour s’épargner l’indignation de son abandon séculaire, on s’émerveille de découvrir ces chapelles latérales dorées, aux ornements rocaille, cet autel avec sa croix sur un nuage de chérubins à la chair tendrement caressée du marbre. Et cet orgue à l’admirable buffet, au pied-douche d’un bois de miel, galbé, sculpté de trophées musicaux dont Jean-Paul Serra s’est voué, dévoué à faire restaurer en sa qualité de titulaire.

Un ensemble


C’est en ce lieu, entre autres, que nous retrouvons Serra, fondateur de l’ensemble Baroques graffiti (voir site plus bas), organiste titulaire aussi du grand orgue de l’Église Saint-Germain-des-Prés à Paris, à la débordante activité dans des domaines musicaux divers, de haut niveau pédagogique (Le Voyage musical baroquePetites histoires de claviers), par ailleurs animateur du festival « Asse-Arcadie, des musiques anciennes et des arts plastiques dans les hautes vallées de l'Asse ». En maître de maison attentif, il nous reçoit comme dans un salon d’autrefois, mais sans rien de guindé, dans l’intimité accueillante de la musique, en compagnie du baryton-basse Sergio Ladu, une découverte.

         Le programme :  la guerre d’amour qui vaut certes mieux que l’amour de la guerre même si ‘la guerre amoureuse’ sonne aussi comme « la guère amoureuse », étant entendu, depuis les troubadours et leur éthique et esthétique de l’amour, prolongée à l’infini par le Baroque, que la Belle Dame sans Merci est d’une froideur à faire périr les plus ardents des chevaliers servants, dont, il faut bien le dire, l’arsenal métaphorique s’arme en guerre : assiéger la forteresse inexpugnable de la belle et faire fi , pour la fléchir, des flèches de ses yeux.

Donc, programme centré sur le titre de la cantate de Hændel, Dalla guerra amorosa, qui en est comme un magnifique résumé par son fond verbal mais aussi par l’exemplarité sa forme de l’aria da capo précédée et suivie de récitatifs. Serra ouvrait le feu, tendrement, noblement, avec la sarabande de Hændel, sur cette autre folie, amoureuse aussi, d’Espagne, se prêtant merveilleusement aux variations sur le thème exposé, repris avec ces tempi divers. Les deux concertistes alterneront de la sorte airs chantés et morceaux instrumentaux du « caro sassone », si italien, à Vivaldi, si européen de ce baroque sans frontières. À l’exception, autre magnifique découverte, d’un mouvement affettuoso de Fortunato Chelleri (1686-1757), un canevas, nous confiera Serra qui lui permet des variations étourdissantes de verve et de virtuosité, gammes, grappes de gruppetti, arpèges, trilles, tout le charme chatoyant du Baroque.

Photo: Gianandrea Ughetti

           Sergio Ladu, lui, était tenu au genre de l’opéra, « dramma per musica » essentiellement marqué par les affects scéniques de la douleur, comme le lamento sur le prince d’Ariodante de Hændel, aria di portamento, de longues tenues legato au noble phrasé, passant ensuite à un air de fureur de Tito Manlio de Vivaldi et l’inévitable aria di paragone, moralisante c’est-à-dire fondée sur une comparaison, ici le cliché de l’habile marin qui sait mener sa barque au port au milieu de la tempête, de la vie bien sûr tiré de l’Arsilda de Vivaldi. Il terminait avec la première partie de la cantate Piango, gemo… du même, en forme, naturellement d’aria di capo. Son bis était un hommage au plus aixois et italien des compositeurs baroques français, Campra, dont il détailla l’air italien tiré du Carnaval de Venise, une sorte de vengeance contre tant d’ingrates de cette guerre amoureuse, à qui vient enfin le tour de pleurer :



« Bella, non piangere,   ‘Belle, ne pleure pas,

non si puo frangere        on ne peut briser

un cor di scoglio… »     un cœur de pierre…’



         Et je donne ces trois vers pris à la dictée, comme j’aurais pu le faire d’autres airs n’était-ce la vélocité virtuose du chanteur, de sa bouche même tant sa diction était impeccable, nous rappelant que le chant baroque est du théâtre musical où la parole importe autant que la musique, sans dispute de prima la musica ou prima la parola : la voix large, aisée, égale du grave sombre à l’aigu de  Sergio Ladu, rendant naturelles les vocalises les plus artificieuses et avec une sobre expressivité des affects. Une leçon que la connivence musicale entre le clair clavecin de Serra et le velours sombre de ce timbre rendirent exemplaire pour notre bonheur.

         On se laissa bercer mollement, volupteusement, par cette douce guerre et nous pensions à ce vers du plus grand sans doute des poètes baroques, sans insulte à notre cher Marino,  Luis de Góngora :



« a batallas de amor, campos de pluma »

‘à bataille d’amour, champ de plume.’



DALLA GUERRA AMOROSA
Sergio Ladu, baryton-basse
Jean-Paul Serra, clavecín
Marseille, église Saint-Théodore
25 mai 2018
Hændel, Vivaldi Chelleri.

Prochain concert de Baroque Graffiti : 23 juin, Marseille, église Saint-Théodore.
Samedi 24juin, festival « Asse-Arcadie »
Église de la Mûre,
Airs de cour de Michel Lambert,
Sophie Boulin, soprano, Jean-Paul Serra, clavecin.

Photos 1 et 2 : B. Pelegrín
3. © Baroques graffiti ;
4. S. Ludo par Gianandrea Ughetti.



 



https://baroquegraffiti.blogspot.com

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