Musique française pour
chœur de Fauré à Poulenc
Chœur
de femmes des Zippoventilés
Saint-Charles
de Marseille
19
novembre 2017
En
un moment où le scandale de la violence faite aux femmes déborde dans la rue,
il était bon, au sein —et l’on donne à ce mot tout son sens féminin, charnel et
chaleureux— au sein matriciel donc de l’église Saint-Charles de Marseille, de
se recueillir, d’entendre, de sentir la caresse chorale, cordiale, d’un chœur,
de cœurs de femmes.
L’église
Saint-Charles, est malheureusement enchâssée au bout de la rue Breteuil dont
l’étroitesse empêche d’embrasser largement la simple élégance. De style
néo-classique du premier tiers du XIXe siècle pour la sobre et
linéaire façade d’une rigoureuse et plane géométrie : quatre colonnes
ioniennes encastrées encadrant la porte rectangulaire soutiennent le second
niveau où quatre pilastres corinthiens semblent porter le triangle du fronton.
Harmonieuse structure en croix interne, murs et pavements à réminiscences
géométriques de la Renaissance italienne, marbres de miel, la belle coupole rayonnante
semble pourtant faite, parfaite, pour coiffer l’autel néo-baroque, quatre
colonnes ambrées en hémicycle soutenant une gloire sur volutes dorées surmontée
de la croix. Merveilleux réceptacle des voix, aujourd’hui au féminin superlatif,
de seize chanteuses des Zippoventilés
de Benoît Dumon, chassé le masculin
du chœur, qui en assure la direction, secondé à l’orgue par Pascal Marsault.
Benoît
Dumon, je l’ai déjà dit, occupe assurément une place multiple et singulière, jeune
musicien qui se singularise par la multiplicité de ses dons, de ses talents,
claveciniste, organiste, contre-ténor. Chanteur soliste, , il sait se fondre
solidairement avec le quintette masculin a cappella, Calisto, mais il
est aussi chef
de chœur et dirige un ensemble vocal mixte qu’il a fondé en 2013, les
Zippoventilés. Il nous en présente ici une quintessence au féminin pour
un parcours, en un concert, de la Musique
française pour chœur de Fauré à Poulenc.
En effet, comment mieux sentir incarné,
littéralement fait chair, cet Ave verum
corpus…, ce salut au vrai corps de Jésus, Verbe, pain et vin faits vrai
corps, sinon par des femmes qui, de leur vrai corps aussi, de leur voix, font
de l’abstraction fatale du texte latin et de sa sublimation musicale par Fauré,
une vraie incarnation avec la potentialité maternelle de donner la vie ?
C’est dirigé par Dumon avec des gestes amples et arrondis, engageants, et l’on
goûte l’équilibre entre des piani et
des forte et l’on se laisse porter,
emporter doucement par la quiétude transparente de l’amen, sur l’horizon bleuté de brume vaporeuse de l’orgue de
chœur caressé par l’invisible Marsault.
Toujours
de Fauré, qui fut maître de chapelle à la Madeleine de Paris, la brève Messe basse (1881), sans gloria, est une messe en abrégé. Les
lignes vocales sont simplifiées dans la tendance du moment de retour au
grégorien solennisé à Solesmes par les travaux de Dom Guéranger (1805-1875)
qui, en le restaurant pieusement, en ignore cependant la libre ornementation,
restituée depuis. Mais chaque époque se fabrique les mythes dont elle a besoin
et, après la défaite de 1870 contre la Prusse, avec le crépuscule du romantisme
tardif, il y a un rejet de la complexité de la musique allemande et les
fioritures néobaroques et rococo de ce que sera l’Art nouveau prochain se
réduiront aussi aux proches épures néo-classiques de l’Art Déco. La musique,
surtout dans la France blessée, malgré sa fascination, manifeste ce rejet des
grandes formes germaniques, Wagner, Mahler, n’échappant pas à cette répulsion
pour le gigantisme écrasant, associé à la puissance bismarckienne de la Prusse
impériale. Cela donne, cependant, ces exquises miniatures et il faut dire que
le Benedictus, chanté par une frêle,
fragile et fraîche soprano (Julie Pons),
a un charme touchant d’estampe naïve et pieuse. La fin se fond dans une
évanescente rêverie bercée doucement par l’orgue solidaire de Marsault.
On
connaît trop Racine pour pouvoir aimer le texte de son Cantique, desservi par une compréhension immédiate qui n’a pas le
charme poétique immémorial du latin. La musique d’un jeune Fauré de dix-neuf
ans est d’une véhémence qui contraste avec les autres pièces tardives ici
présentées. À l’évidence, le Pie Jesu
de son Requiem (1888) s’envole à un
autre niveau et nous aussi avec la fraîcheur angélique de cette toute petite
voix sans acidité ni arêtes, tombée du ciel, planant, comme en apesanteur, sur
un orgue vaporeux, respectueux et souriant pour cette berceuse tendre de la
mort.
Avec le Lied de Louis Vierne, nous changeons d’époque
(1870-1937) et d’orgue du chœur au grand orgue de tribune où Pascal Marsault, organiste titulaire de l’église Saint-Ignace à Paris et
de Sanary-sur-Mer, sur une pédale obstinée élève un impressionnant crescendo.
Plus tard, il nous fera frissonner des frémissements, tremblements, grondements
grandioses aux lignes efflorescentes, de la Toccata
(1890) Eugène Gigout (1844-1925)
trop peu joué.
André
Caplet (1878-1925), ami et chef d’orchestre pour Debussy, vit sa carrière
et sa vie écourtées par la Grande Guerre, gazé très vite. Sa Messe
à trois voix subit aussi l’influence de la modalité médiévale alors en
faveur, mais enrichie de modulations, de mélismes qui renvoient à l’origine
orientale du grégorien, notamment dans le Kyrie.
Le Sanctus est d’une prenante ferveur.
Le malheureux Jehan Alain
(1911-1940), mort au champ d’honneur en résistant seul à un bataillon allemand
à Saumur, figurait avec son austère Tantum
ergo… et sa longue vocalise, que la dévotion de son père pour l’héroïque
fils sacrifié transforma en un Ave Maria
délibérément sans vibrato, mais nous faisant vibrer d’autant plus devant la beauté
sévère de cet extrait d’une œuvre, ou plutôt d’une vie si tragiquement
tronquée.
Poulenc
fermait le concert avec ses Litanies à la Vierge noire de Rocamadour,
morceau de bravoure pour les chœurs mais d’autant plus délicat d’exécution par
la large palette de moyens musicaux divers déployés par le compositeur :
vocalité souvent lyrique pour une polyphonie à saveur médiévale, avec des
cadences plagales, des modes d’église et un orgue puissant aux sombres couleurs.
La supplique souvent véhémente, déchirante, à la Vierge, est exprimée presque d’entrée
a cappella par les sopranos et leur anaphore, la répétition obsessive, propre
de la litanie, « Ayez pitié de nous », sera reprise avec l’entrée
progressive, parfaitement étagée, des deux autres voix, les mezzos, puis les
altos, ponctuée finalement par l’orgue. Après un passage narratif, cette
noirceur tragique de l’existence humaine s’éclaire et s’apaise à la fin de
l’œuvre par l’espérance en la rémission des péchés avec l «’Agneau de Dieu qui
enlève les péchés du monde » et la réitération litanique, en toute
humilité, de « Pardonnez-nous », « Priez pour nous et
« Exaucez-nous. »
Ce
n’est pas le moindre mérite de Benoît Dumon de contenir, de géométrique
précision, les risques de débordements lyriques, effusifs, emphatiques, de l’œuvre.
Musique française pour
chœur de Fauré à Poulenc
Chœur de femmes des
Zippoventilés
Saint-Charles de
Marseille
19 novembre 2017
Fauré, Caplet, Vierne,
Alain, Gigout, Poulenc