mercredi, mars 29, 2017

CORDES SENSIBLES…


FESTIVAL JEAN-CLAUDE PETIT
Marseille, divers lieux
25, 26, 27 et 28 février

Un festival de quatre jours a été consacré au compositeur Jean-Claude Petit, connu pour ses célèbres musiques de films, mais qui ne se limite pas à cela, je ne suis pas trop mal placé pour en parler, puisqu’il mit en musique un livret d’opéra que j’avais écrit, Colomba, créé sur notre scène lyrique en mars 2014, programmation de Marseille 2013 Capitale européenne de la culture, et retransmis par la télévision régionale et nationale, un succès selon la critique.
         Jean-Claude Petit nous revenait pour quatre manifestations les 25, 26, 27 et 28 février dont l’épicentre était une création originale, un Concerto pour mandoline et cordes, une première mondiale, interprété par le fameux mandoliniste Vincent Beer Demander, à qui est il dédié, dirigée par Petit lui-même mardi 28 février au théâtre de la Criée en clôture de ce festival.

         La première soirée, intimiste, commençait chez le luthier André Sakellaridès, pour la musique douillet cocon,  conques de luths, coques de violons sagement rangés et lustrés dans des vitrines comme des vaisseaux au port avant de prendre le vent et l’envol vers la musique. Tel un hôte gai et gouailleur, qui sait faire fable affable de la moindre anecdote, de la moindre croche, sans anicroche, Vincent Beer Demander, de sa mandoline virtuose, de son verbe et de sa verve, présentait, préludait et préparait joyeusement, sur des musiques de films de Petit, l’arrivée discrète du compositeur pour patronner gentiment ce programme, Jean-Claude Petit and friends, puisqu’un hommage était aussi rendu à d’autres musiciens s’étant illustrés dans le cinéma et la mandoline. Une sorte de condensé festif, amical, de la future soirée, avec la complicité talentueuse de Frédéric Isoletta au piano et de la soprano Lucile Pessey aux yeux rieurs ou tristes selon les airs extraits de films qu’elle interprétait avec beaucoup de conviction.
         Vincent Beer Demander
Interprète mais compositeur lui-même, organisateur de ce festival, il manifestait un étourdissant talent d’animateur et présentateur. Né en 1982 à Paris, mandoliniste, il tourne dans le monde entier avec son instrument qu’il a remis à l’honneur. Après avoir animé nombre de classes d’écoles de mandoline, il enseigne actuellement au Conservatoire National à Rayonnement Régional de Marseille et à l’Académie de mandoline dont il est Directeur artistique et se trouve à la tête d’un orchestre de cordes à plectre,  cet onglet dont use la mandoline. On lui doit plusieurs disques, parmi lesquels Massalia Concerto et Mandolinomania. Dans ce dernier, par un Tombeau à Raffaele Calace (1863-1934), il rend un hommage au plus grand des mandolinistes romantiques à cheval sur deux siècles, compositeur et luthier napolitain, qui éleva cet instrument, qu’on croyait dévolu aux pittoresques sérénades et chansons napolitaines, à la dignité de la musique classique. Vincent Beer-Demander semble avoir repris le flambeau de Calace mais, sans nostalgie musicale passéiste, il assume la musique de son temps et la sienne vibre parfois d’accents de hard rock.


Jean-Claude Petit
On ne sait s’il faut encore présenter Jean-Claude Petit : apparemment pas tant furent nombreuses les manifestations de sympathie, de reconnaissance à son égard lors de ces quatre manifestations. Mais l’arrangeur de chansons célèbres, de « tubes », est si connu, l’auteur de musiques de films est tellement entré dans les oreilles, qu’on en oublie qu’il est pianiste, chef d’orchestre, et compositeur dans un grand éventail de genres musicaux ; sans les marques d’estime publiques d’autrui, j’aurais scrupule à en parler personnellement puisqu’il mit en musique le livret d'opéra que j’avais écrit, Colomba,  mars 2014, retransmis en direct à la télé et repris le 2 décembre 2014 sur France 3 à minuit, réunissant quelque 900 000 spectateurs, chiffre officiel. Je pense que cela m’autorise à parler de Petit sans soupçon de complaisance amicale, puisqu’il y l’impartialité du succès sanctionné de l’extérieur, dont je ne fais que témoigner.
Né en 1943 à Paris,  études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où il obtient, tout jeune, de nombreux premiers prix. Pianiste de formation classique, donc, Petit s'oriente néanmoins vers le jazz et accompagne notamment Dexter Gordon, Kenny Clarke, Johnny Griffin. Il se tourne ensuite vers la chanson de variété, devenant arrangeur, orchestrateur et compositeur très sollicité pour Juliette Gréco, Marie Laforêt, Julien Clerc, Gilbert Bécaud, Serge Lama, Claude François, Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, John Baez, Michel Sardou, Alain Souchon, etc... On se l’arrache. Il en parle avec humour et modestie. Il collabore également à des comédies musicales (La Révolution française ; 36 Front populaire). Parallèlement, n’ayant jamais abdiqué sa fibre première, il dirige de grands orchestres classiques un peu partout dans le monde, et rien moins que le London Symphony Orchestra, le Munich Symphony Orchestra, et les non moins prestigieux Orchestre de Paris, Orchestre de l’Opéra de Paris, l’Orchestre National de France.
À partir des années 1980, c’est la grande aventure des musiques de film et, en dix ans, il remporte un César, deux Victoires de la Musique, un British Award, est nommé aux European Awards et plusieurs fois aux Oscars. À Jean de Florette, 1985, de Claude Berri succède, du même réalisateur, Manon des sources, 1986, et une longue liste de succès, une trentaine de films, un Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappenau, 1990, primé, désormais un classique ; le dernier film, Dalida, de Lisa Azuelos, est de 2017.
Dans le domaine des variétés, s’il compose parallèlement des génériques pour des émissions télévisées célèbres, il écrit aussi des pages symphoniques et met en musique deux opéras, Sans famille, 2007 à Nice et notre Colomba, 2014, à Marseille. Il n’a donc jamais abandonné la composition « classique » que Michel Legrand, autre compositeur célèbre de musiques de films, commence joyeusement aujourd’hui, à quatre-vingt-trois ans…
Le lendemain, dimanche 26 février, on le retrouvait dans l’église Sainte-Marguerite, pleine malgré le soleil et la concurrence de l’OM dans le voisin Vélodrome, pour un large programme, petit échantillon de la diversité de ses cordes, entièrement consacré exclusivement à sa musique qu’il dirigera lui-même, musiques de films ou pièces instrumentales. Le concert était préludé avec des thèmes célèbres de ses musiques de films, dont le fameux Cyrano en entrée par André Rossi, titulaire de l’orgue, compositeur et professeur d’orgue et d’improvisation au Conservatoire de Marseille : sur la vague ombreuse de l’orgue, envol de clarinette mélancolique avant une houle perlée d’écume d’argent. On retrouvait avec plaisir, avec la mandole aguichante et guillerette de Beer Demander, la désinvolte et piquante musique de Beaumarchais l’insolent (1996) d’Edouard Molinaro.
Le compositeur nous offrait ensuite sa récente orchestration des Six épigraphes antiques de Debussy pour piano : une amorce voluptueuse du violon vaporisé rêveusement par les vents avant le chant de la clarinette ; appel albugineux du solo d’argent et réponse crépusculaire des cordes graves, auréole dorée de cor et frisson d’exotique xylophone…Tout le spectre instrumental de la formation de chambre jouant et déjouant le sentiment tonal, entre majeur, mineur, modal, oriental parfois par la couleur. Il faudrait réentendre, pour la savourer cette œuvre nouvelle qui, amoureusement, donne chair et couleurs à la percussion pianistique de l’œuvre initiale de Debussy, respectueusement habitée et habillée par Petit. On comprend, dans cette souveraine liberté debussyste d’essence si moderne, échappant fièrement aux carcans des écoles, des chapelles et des systèmes musicaux impérieux qui vont s’imposer à cette époque, la fascination de Petit pour Debussy, la libre germination d’une musique non inféodée aux modes dogmatiques du temps :  ses deux quatuors, d’une rigoureuse construction sur une brève cellule initiale, tant pour son Quatuor à cordes que pour son Quatuor pour saxophones, une brève cellule initiale développée et déclinée sur l’éventail des possibilités des instruments  respectifs, démontraient, même en une première et sommaire écoute, cette liberté de Jean-Claude Petit, même dans la contrainte formelle de cette forme, quintessence de la composition classique, et sa connaissance et fine maîtrise de ces pupitres divers de l’orchestre.
Ces pièces classiques du compositeur, séduisante découverte, alternaient avec des extraits de ses musiques de films, ainsi, ouvert à l’espace, l’air largement ventilé du Château des oliviers, fameuse série télé de 1993 qui bâtit des records d’audience, un hommage à cette terre de Provence qu’il avait aussi célébrée avec bonheur dans Jean de Florette et Manon des sources.  Le générique de Mayrig du Marseillais Henri Verneuil (1991), avec Claudia Cardinale et Omar Sharif, qui se situe à Marseille lors de l’arrivée des Arméniens rescapés du génocide turc (et des rues de cette ville en perpétuent le cruel souvenir) fut un moment d’émotion, hier et aujourd’hui confondus en migrants, douleur aiguisée par la douceur poignante du doudouk, sorte de hautbois, rare instrument immémorial arménien classé par l’UNESCO, joué, comme dans le film, par Yvon Minassian lui-même qui venait amicalement apporter son concours au compositeur qui en fit l’instrument emblématique d’un peuple martyr.
Jean-Claude Petit, qui présentait avec humour et simplicité les œuvres, dirigeait ensuite l’Orchestre à plectres de Vincent Beer Demander, celui-ci en soliste, gros de quarante musiciens, en général des jeunes, sérieux, mines impressionnées de se voir dirigés par ce monsieur guère impressionnant par son sourire et sa simplicité. 
Petit, Beer Demander, Pessey, l'Orchestre à plectre
Cinéma Mondolino
On retrouvait le lendemain, 27 février, Beer Demander et Petit à l’auditorium de l’Alcazar où le compositeur était soumis aux pertinentes questions de Frédéric Isoletta, pianiste entre autres talents, sur son parcours et sa dernière création, le Concerto pour mandoline, création au cœur du programme du 28 février à la Criée, la grande soirée Cinéma Mondolino, sous l’égide de Marseille-Concerts.
Riche et joyeuse soirée à la gloire de la mandoline organisée et présentée par Vincent Beer Demander, programme consacré à quelques uns des plus grands compositeurs de musique de films du XXe siècle qui ont écrit pour la mandoline, tels Michel Legrand, Ennio Morricone, Nino Rota, Mikis Theodorakis. Nombre de chansons de films furent également interprétées avec sensibilité et humour par la délicieuse soprano Lucile Pessey oubliant le lyrique pour nous séduire en chanteuse de charme ; quelques « tubes » cinématographiques furent élargis à l’Orchestre à plectre conduit par Beer Demander, décidément au four et même aux moulins de mon cœur. Mais toute la première partie était, en somme, une sorte d’hommage qui lui était rendu, à sa mandoline, puisque, de Claude Bolling, Francis Lai, Vladimir Cosma (deux pièces), créations de 2015, à celle de Jean-Claude Petit qui allait se créer, tous les morceaux lui étaient dédiés, réponses aimables de ces compositeurs illustres aux sollicitations inlassables de Beer Demander pour faire vivre son instrument en complicité avec un ensemble de cordes.
On ne boudera pas son plaisir à ces musiques d’agrément, très agréables assurément, touchante et personnelle Romance de mon enfance de Lai, Concertino encore assez jazzy de Bolling, Fantaisie de Cosma et son Concerto mediterraneo, où, avec humour, il recycle habilement, des musiques de ses films. La création du Concerto pour mandoline avec orchestre et cordes dirigé par Jean-Claude Petit lui-même, en soliste Beer Demander, le dédicataire, affichait, dans une durée de dix minutes, une autre ambition. Forme française classique dans son équilibre contenant tous les développements d’une cellule mélodico-rythmique d'entrée, écriture horizontale ponctuée des efflorescences verticales d’un contrepoint harmonique virtuose, où passent, sans s’attarder, des accords de jazz ; tonalité tenue, contenue dans des limites cependant très élargies. Les   cordes pincées de la mandoline polyphonique sont nappées, nimbées des cordes frottées monodiques ou piquées de délicats pizzicati, dans un harmonieux dialogue entre l’instrument soliste et le concertino. Beer Demander, consulté, se réjouira du « traitement habile de la polyphonie à la mandoline, soit [par développement des] résonances d'un accord de 3 sons soit en utilisant la force rythmique de la mandoline par des accords de 4 sons organisés comme une grille, un riff », bref motif ou ostinato. En présentant son œuvre, Jean-Claude Petit disait avec un sourire au public avoir semé « de pièges » la partie dévolue à la mandoline, poussé par les possibilités de l’instrument qu’il venait d’explorer et piqué d’émulation par la virtuosité du soliste mis à l’épreuve. Celui-ci ne me dissimule pas le défi exaltant d’avoir affronté, sinon des pièges, les difficultés qui « découlent de son écriture très dense et notamment des gammes et arpèges complexes, des enharmonies et de l'agencement de la partie de mandoline dans ce contexte "frotté" qui demande une grande précision rythmique. La fin est redoutable. » Mais exaltante pour l’interprète qui reçoit le cadeau, auquel il répond admirablement, d’une très longue cadence virtuose, comme un sacre de la mandoline reine au milieu des cordes frottées consacrées, un moment silencieuses comme un signe, sinon de vassalité, de respect admiratif.
         Comme le nôtre.


 Prodig'Art est partenaire du Festival 





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