vendredi, avril 29, 2016
mardi, avril 26, 2016
ÉMISSION ET CONFÉRENCE
Avant d’être
le mardi 3 mai 2016,
10 heures, sur les ondes de France-Culture
en direct aux Nouveaux chemins de la connaissance pour discuter avec Géraldine
Mosna-Savoye d’Art et Figures du succès, l’art de la réussite en 300
aphorismes de Baltasar Gracián,
DANS LE CADRE DES ACTIVITÉS
CULTURELLES DE L’ASSOCIATION MALC
PACA
(MAISON DE L’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES PACA),
SOUS LA PRÉSIDENCE DE
MADAME ROSELYNE BELLEPAUME-NOGUERA,
CONSUL HONORAIRE DE BOLIVIE,
Benito Pelegrín
donnera une conférence
avec lecture de ses
textes par
Tamara Scott Blacud,
comédienne
JEUDI 28 AVRIL 2016,
18 HEURES
Espace Pythéas Prado, 247, avenue
du Prado
13008 Marseille
LE SEXE D’UN ANGE
Sœur Juana Inés
de la Cruz (1648 ou 1651-1695)
Belle, courtisée, adulée à la cour du Vice-roi
du Mexique, savante, auteur de poèmes enflammés à la Vice-reine, quittant
soudain en pleine jeunesse, en plein succès le monde pour le couvent, quel
secret celle que l’on nommera dans l’Espagne coloniale « la Dixième Muse»,
devenue en religion Sœur Juana Inés de la Croix, y emporte-t-elle ? On
l’interroge, elle répond :
Je
n’entends pas bien ces choses, /Mais au couvent me rangeai
Afin
que si je suis femme /Nul ne vienne vérifier.
Me
prendre pour une femme /Est donc inconsidéré
Car
suis femme qu’aucun homme /En femme ne peut traiter.
Pourtant, est-ce un aveu douloureux qui
perce dans ce petit poème ?
Je
me souviens que jadis
(Que
je voudrais l'oublier !)
J'ai
aimé à la folie,
J'ai
adoré à l'excès,
Mais
c'était amour bâtard
Aux
affects trop opposés,
Aussi
facile à venir
Que facile à
extirper.
Souvenir, fantasme ? voici un exemple
de sa poésie :
A une image de l’Amant apparu en songes et retenu par
les nœuds d'un amour décent
Ah,
ne me quitte pas, ombre trop fugitive,
Image
de celui qui règne dans mon cœur,
Belle
illusion de qui, joyeuse, je me meurs,
Douce
fiction de qui je souffre et vis captive !
Si
vers l'aimant puissant de ta grâce attractive
Comme
un fidèle acier se tourne ma candeur,
Pourquoi
charmer mes yeux d'un songe si flatteur,
Si
c’est pour me blesser par cette fuite hâtive ?
Mais
tu ne pourras pas te vanter que tes feintes
De
mon cœur et mes sens auront pu triompher,
Car
si tu peux glisser d'entre les nœuds étroits
Qu’à
ton leurre tendait mon amoureuse étreinte,
Tu
as beau déjouer les chaînes de mes bras
Ma
rêverie a fait de toi mon prisonnier.
Mais voici ce qu'elle écrit à la Vice-Reine
qu’elle idolâtre :
Ô,
ma divine Lysis,
Aucun
Dieu n’est à l’abri
Du
désir qu'on a de lui .
Être
femme et être loin
À
l’amour n'est point barrière
Car
tu sais que pour les âmes
Il
n’y a sexe ni frontière ;
D'autant
que l’amour naturel
N’est
loi que pour le vulgaire,
Dont
s’affranchit aisément
Toute
beauté singulière.
Réprimandée publiquement par l’évêque de Puebla en 1691 pour avoir
osé se mêler de théologie, après une longue réponse où elle défend le droit de
la femme au savoir et à la poésie, qui en fait la première féministe américaine
de l’histoire, celle qu’on appelle aussi le « Phénix mexicain »,
condamnée au silence par son confesseur se soumet, fait son testament et
meurt.
C’est à la découverte de cette femme extraordinaire, immense poète
qu’invite cette conférence au cours de laquelle seront lus des poèmes de sa
plume que j’ai traduits afin de lui consacrer un livre.
Benito Pelegrín
Agrégé,Docteur d'Etat, Professeur émérite des
Universités, écrivain, dramaturge traducteur, journaliste. Quelques
œuvres : Figurations de l’infini. L'âge baroque européen Seuil, Grand Prix de la Prose
et de l'essai. Écrire, décrire l’Amérique. Alejo Carpentier, Ellipses ; Traités politiques, esthétiques,
éthiques de Baltasar,
présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, Prix Janin de l'Académie française ;
D'un Temps d’incertitude,
Sulliver ; Le Criticon, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B.
Pelegrín, le Seuil ; Marseille, quart nord, Sulliver ; Art et Figures du succès de B. Gracián, Poche Point. Pour Marseille-Provence
2013, la Ville lui a commandé le livret d’un opéra, Colomba, musique Jean-Claude Petit, dont la création mondiale a
eu lieu en 2014, diffusé sur FR3. Il anime une émission musicale à Radio
Dialogue RCF: “Le Blog-notes de Benito".
Tamara
Scott Blacud
Comédienne
depuis 1985, ayant travaillé, pour le théâtre, la télévision (émission
hebdomadaire par et pour les adolescents…), le cinéma, la radio (journal
hebdomadaire, contes pour enfants…) et la voix off (audioguides, pub,
bruitage…). Elle joue dans diverses compagnies (Teatro Duende, Théâtre
Provisoire de La Minoterie, Bami Village, Art Images, Rosa Roberta, Organik 2…)
en Bolivie, Chili, Argentine, Venezuela, Italie et France où elle réside
actuellement. Coach artistique et répétitrice, depuis 2009, elle accompagne les
comédiens dans leur processus de création et dans leurs questionnements
artistiques.
jeudi, avril 14, 2016
D’ART ET D' AMOUR, TOSCA
TOSCA
Opéra en trois actes,
livret de Giuseppe Giacosa et Luigi
Illica,
d’après la pièce de Victorien Sardou,
musique de Giacomo Puccini
Opéra de Toulon
3 avril
L’œuvre
Les œuvres du répertoire se répètent
sur les scènes, on ne peut qu’en répéter la présentation, le renouvellement
n’étant que dans la représentation et la l’interprétation nouvelles, sinon
toujours neuves.
Puccini ouvre le XXe
siècle lyrique avec la création de sa Tosca à Rome, en 1900,
évoquant les tragiques événements d’un jour de juin 1800 dans la même ville.
Les monarchistes réactionnaires, ignorant encore la victoire de Bonaparte à
Marengo, alors porteur des idéaux de la révolution française, célèbrent dans la
Ville éternelle leur pouvoir retrouvé, comme on a fêté dans le sang, l’année
précédente, la fin de la brévissime République parthénopéenne de Naples par la
restauration royaliste sans pitié appuyée par l’Autriche.
L’ancien Consul de
l’éphémère République romaine, Angelotti, évadé du château Saint-Ange, trouve un
premier refuge dans l’église de Sant’Andrea della Valle auprès de Mario
Cavaradossi, peintre voltairien, libéral, amant de Floria Tosca, cantatrice
célèbre et jalouse. Cette dernière est vainement désirée par le baron Scarpia,
impitoyable chef de la police d’état, sorte de machiavélique Fouchet romain.
Jouant sadiquement de la torture physique de l’amant et morale de l’amante,
Scarpia réussira à anéantir les deux amis républicains et les amants vivant
d’art et d’amour, même après son assassinat par la cantatrice.
Le livret de Giacosa et
Illica, d’une remarquable concision, est tiré d’un drame (1887) de Victorien
Sardou, célèbre dramaturge en son temps, qui aura l’élégance de reconnaître
l’opéra supérieur à pièce, pourtant triomphalement défendue par Sarah Bernhardt
dans le monde entier. L’histoire lui donne raison : on joue partout l’opéra
qui, seul, nous rappelle son drame, irreprésentable aujourd’hui.
D’art et d’amour
À bien lire le texte, je
l’ai déjà dit, j’y retrouve avec plaisir un culte voluptueux de la beauté :
Tosca est belle selon son amant, « trop belle et trop aimante» selon
Scarpia. Mario, dans son premier air, médite sur la mystérieuse harmonie entre
les beautés diverses fondues par l’art, celle de la femme blonde aux yeux
d’azur qui prie, qu’il prend subrepticement pour modèle de sa Madeleine, et
celle de la brune Floria aux yeux noirs, sa « ardente maîtresse »,
portrait déchaînant ensuite les foudres jalouses de sa théâtrale maîtresse, qui
n’a pas eu, d’entrée, un seul regard pour le beau tableau que peignait son
grand artiste d’amant. À l’heure de sa mort, le peintre n’a pas de pensée pour
Dieu ni la Vierge, mais pour sa maîtresse dont il évoque voluptueusement «les
belles formes » qu’il dépouillait de ses voiles. Mario est beau selon Tosca et
même Scarpia. Il n’est pas jusqu’à la Madeleine peinte qui ne soit « trop
belle », selon la jalouse et sommaire diva, qui prodigue conseils avisés de
scène à Mario pour ce qu’elle croit un beau simulacre artistique d’exécution.
Tosca sait exalter le charme bucolique et sensuel de leur nid amoureux, et les
deux amants artistes rêvent de répandre « les couleurs » et l’amour sur le
monde : l’art et l’amour en somme dont la pieuse cantatrice a chanté le vécu en
s’adressant à un Dieu incompréhensible qui la récompense mal à l’heure des
douleurs. Des douceurs harmoniques auréolent, sinon de sainteté, de beauté
musicale certaines certains passages musicaux du terrible Scarpia, sensible à
la beauté de Tosca, et son sens de la beauté, même dans la cruauté, le rédiment
un peu, même si son sens du Beau n’est pas forcément celui, platonicien, du Bon
et du Vrai. Scarpia exprime, sinon une éthique, une esthétique sadienne du Mal
: la conquête violente et non la séduction est son art, l’amant passé par les
armes et l’amante en larmes dans son lit, est pour lui jouissance double,
trouble. Bref d’un côté un art et un amour simples, simpliste même, comme les
deux tourtereaux, et un amour de l’art du mal chez Scarpia, le seul complexe
des personnages, brutal, certes, mais les autres bruts d’un seul bloc.
Réalisation et interprétation
Pas un strapontin de
libre : le succès
populaire d’une œuvre se mesure à son accueil malgré l’écueil d’un manque de
recul critique d’un public qui vient à l’Opéra moins pour découvrir que pour
voir, revoir, entendre, réentendre sempiternellement les mêmes opéras, dont on
l’entend même fredonner irrépressiblement ses airs de prédilection avec une
émotion sincère. On aurait donc mauvaise grâce à ne pas lui en rendre car c’est
la faveur et la ferveur du public qui font vivre les œuvres, les artistes qui
les incarnent. Il faut donc dire que, venue de l’Opéra Royal de Wallonie, cette
production est encore un riche choix, aux heures de pénurie, de Claude-Henri
Bonnet, Directeur
général et artistique de l’Opéra de Toulon, qui a soigneusement sélectionné les
œuvres invitées, jusqu’ici sans aucune faille sinon réserves critiques mineures
mais nécessaires. Cette Tosca est donc à mettre encore à son palmarès, et à celui de
l’équipe artistique homogène qui en fait la qualité.
Située en décors et beaux mais sobres costumes
(Michel Fresnay)
de l’époque de son action, désormais assez rare pour qu’on le souligne tant
l’académisme déjà plus que cinquantenaire de la mode lassante et inlassablement
répétée d’arracher les œuvres à leur chronologie narrative, tout converge donc
harmonieusement. On salue donc la sagesse et l’intelligence générale de la mise
en scène de Claire Servais.
Amas de fleurs à cour, devant le rideau,
signalant, à son lever, la statue de la Madone invisible près du
prie-Dieu : un signe au long des deux premiers actes effeuillé,
malheureusement, avec quelques épines interprétatives. Un grand rideau tombant
à jardin, sans doute pour cacher et protéger le tableau que peint Mario sur les
marches d’une estrade scénique, souligne sans doute la dimension théâtrale de
l’œuvre et de l’héroïne qui semblera vivre et mourir comme au théâtre, réglant
ses mises en scènes personnelles.
Beaux décors de Carlo Centolavigna dans l’église
« tardo-baroque », de baroque tardif, comme l’on dit en histoire de
l’art, de Sant’Andrea della Valle, monumentale, fond ombreux des toujours belles
lumières d’Olivier Wery, qui caressent les contours tourmentés des drapés de deux colossales
statues dorées de papes sur des socles qu’on dirait tirées de leur première
demeure de Saint Jean de Latran et de son enfilade statuaire où le marbre
semble en mouvement menaçant au-dessus des têtes des visiteurs : le poids
écrasant du pouvoir de l’Église sinon de la religion, la fragile chair contre
le marbre. Ces ténèbres entrebâillées laissent percevoir la transparence
lumineuse d’une immense horloge rousse, lune maléfique ou astre chronologique
d’un temps limité du drame humain mesuré à l’éternité. Lors de l’irruption des
enfants, des prêtres et du clergé, pour le grandiose et terrible Te Deum, ce fond s’entrouvre, et l’horloge,
auréolée de gloire et de dorure devient un immense ostensoir dont la débauche
d’or couvre même les effrayants dignitaires de l’Église statufiés, le modeste
miracle de l’Hostie devenant une effroyable machine à écraser : fracas
visuel pour la fracassante à frémir musique qui semble magnifier ou maudire
l’hymne religieux triomphant sans pitié. C’est le rouleau compresseur de la
Contre-Réforme baroque, déjà loin, mais réactivée par la victoire de la
réaction contre la Révolution qui pensait, avec Voltaire, « écraser
l’infâme ».
Contraste brutal avec l’acte II. On est loin du
faste des appartements de Scarpia au Palais Farnèse indiqué par les didascalies
précises de l’œuvre. Dans des éclairages livides, une simple table couverte en
partie d’une somptueuse nappe en lamé d’argent comme les deux chaises, un
carafon et un verre pour le repas ; des murs nus austères ; pour seul
ornement, on reconnaît des reproductions des gravures,en bas, des Désastres
de la guerre,
horribles images de Goya du soulèvement espagnol contre les troupes de
Napoléon, plus haut, autant qu’on puisse distinguer, des scènes de torture de
Callot ou de graveurs de la Guerre de Trente ans, le dernier grand conflit
religieux d’Europe : c’est cohérent pour un représentant de l’ordre noir
réactionnaire de l’Europe contre le rouge du libéralisme révolutionnaire.
Cependant, cela semble davantage l’intérieur monacal d’un moine soldat que
celui d’un tout-puissant prince et ministre de la police, amateur raffiné de
bonne chère et de belle chair, savourant du vin d’Espagne, qui s’avoue vénal
sans qu’on perçoive guère chez lui de luxueux effets de sa vénalité.
Tosca, avec sa belle robe de scène à traîne
rouge arrive, les bras encore chargés de fleurs de son triomphe après avoir
chanté sa cantate devant la reine (que vient faire « la » reine dans
cette galère papale ? Celle de Naples en visite ?) et l’on comprend,
au souvenir de la piété mariale de la diva précédemment, le paradigme floral
filé sur deux actes par la metteur en scène quand Scarpia les effeuille
rageusement et jette au sol. Mais là, il y a l’épine : lorsque Tosca a tué
Scarpia, on s’attend au fameux mimodrame inventé par Sarah Bernhardt et gardé
scrupuleusement par les librettistes et Puccini. La pieuse chanteuse, qui a
pardonné chrétiennement au bourreau, pose deux candélabres entre le corps et un
crucifix sur la poitrine du cadavre. Pas de cierge ici et, pour crucifix un,
gigantesque, qui semblera peser comme une menace. On comprend que Claire
Servais a voulu
mettre sa touche, mais sans nous toucher, et ne touche pas ici le but mais le
contrarie : ces roses, chargées de sens et de sentiment avant même le
lever de rideau, offertes à la Madone par la diva, la ‘déesse’ au sens précis
du terme, reçues en hommage après son concert, déposées ensuite sur le cadavre
du « monstre » sadique, « impie », sont plutôt un hommage
qu’un acte pieux d’une dévote personne.
Giuliano Carella, qui enflamme de sa passion un
orchestre de l’Opéra de Toulon transcendé, avait disposé sur deux baignoires
d’avant-scène face à face, donc quatre, certains instruments débordant de la
sorte de la fosse : dans la géométrie à l’italienne de la salle en U, on
est embrassé, embrasé par l’étreinte irrépressible de la musique, on y baigne à
certains moments, dans un effet de stéréophonie qui arrache ces pupitres
déplacés à la perception habituelle forcément spatialisée de la direction du
son venu d’une plus lointaine place invisible. Ainsi, toute la délicatesse
scintillante du xylophone d’étoiles de fin de nuit, préludant l’aubade des
cloches de Rome, auréolant de douceur la charmante chanson modale du petit
pâtre par l’adorable et naïve voix de Carla Fratini, parenthèse de fraîcheur après le
paroxysme de l’acte précédent. Il soulève le flot torrentiel souvent de la
musique, mais le contient pour n’y pas noyer les interprètes très sollicités
mais traités avec sollicitude par un chef à la fois symphoniste et lyriquement
italien, attentif aux chanteurs. La masse orchestrale n’estompe pas les joyaux
intimistes des couleurs et le chef caresse les courbes voluptueuses de
certaines lignes. Du grand art.
Silhouette éphémère, l’Angelotti de Federico
Benetti réussit à
marquer sa présence par son beau timbre de basse. Plus présent, le sacristain
bougon de Jean-Marc Salzmann évite intelligemment la caricature par un jeu sans outrance.
Le duo de sbires, âmes damnées de Scarpia, le Spoletta de Joe Shovelton et le Sciarrone
de Philippe-Nicolas Martin échappent
aussi à la caricature habituelle et le geôlier de Jean Delobel est la dernière silhouette de ces comparses nécessaires.
On connaît la puissance vocale torrentielle du baryton mexicain Carlos
Almaguer. La metteur en scène en joue
habilement à l’acte II dans lequel cet adepte avoué brutalement de la conquête
violente tente de violer Tosca sur la table de son repas où il la voulait au
menu, pour la dévorer sans doute plus que pour la déguster. C’est un rouleau
compresseur terrifiant comme l’ordre qu’il représente. Cependant, ce paroxysme,
on ne le dit pas, semble contradictoire dans ce personnage si anti-séducteur
déclaré avec la stratégie d’araignée machiavélienne du premier acte qui
requiert les nuances de la ruse. Mais le chanteur nous emporte dans le torrent
de sa voix.
Le ténor italien Giuliano Stefano La Colla déploie un timbre d’un beau métal,
plein, sonore, mais d’une pièce au premier acte. Dans le second son la éclatant
de « Vittoria ! Vittoria ! » est un superbe cri de triomphe
insolent et solaire face à la nuit de l’oppression. Dans son lamento sensuel et
nostalgique de la fin, il sait faire passer des nuances poétiques des plus
touchantes et ne cède pas à la grandiloquence mélodramatique, contenant une
émotion par là plus émouvante encore. Dans le rôle-titre, on retrouve avec
bonheur la soprano roumaine Cellia Costea, dont on avait apprécié ici même l’Amelia délicate
de Simone Boccanegra, voix large, égale et colorée. Elle semble un peu scéniquement perdue
en cette première au premier acte. Cependant, cela ne diminue en rien la beauté
expressive de la voix et son « Vissi
d’arte » introspectif, parenthèse poétique et humaine dans l’horreur du
moment, sur cette table du sacrifice où Scarpia veut la violenter est déchirant
de sensibilité sans effet vériste, avec une dignité qui s’affirme dans sa
plénitude morale et physique lorsqu’elle se remet fièrement sur pied.
On salue le livret du
programme toujours intéressant de l’Opéra de Toulon.
Tosca de Puccini
Opéra de Toulon,
3, 5 et 8 avril
Orchestre, chœurs et maîtrise de l'Opéra de Toulon (Chef de
chœur : Christophe Bernollin).Direction musicale : Giuliano
Carella. Mise en scène : Claire Servais. Décors : Carlo Centolavigna. Costumes :
Michel Fresnay. Lumières Olivier Wery.
Distribution :
Floria Tosca : Cellia
Costea ; Mario
Cavaradossi : Stefano La Colla ; Baron Scarpia : Carlos Almaguer ; Cesare Angelotti : Federico Benetti ; Spoletta : Joe Shovelton ;
Sciarrone : Philippe-Nicolas Martin ; Le sacristain : Jean-Marc Salzmann ; Le geôlier : Jean Delobel ; un pâtre :
Carla Fratini.
Photos © Frédéric Stéphan :
1. L'église : Mario et Tosca;
2. Te Deum triomphal ;
3. Les appartements de Scarpia ;
4. La table du viol ;
5. Château Saint-Ange ;
6. Mort de Mario.
2. Te Deum triomphal ;
3. Les appartements de Scarpia ;
4. La table du viol ;
5. Château Saint-Ange ;
6. Mort de Mario.
lundi, avril 11, 2016
dimanche, avril 10, 2016
DE L'HISTOIRE À LA LÉGENDE, LA PÉRICHOLE
DE LA « PERRI
CHOLI » PÉRUVIENNE
À
LA PÉRICHOLE
d’Henri
Mailhac et Ludovic Halévy,
d'après Le Carrosse du Saint-Sacrement de Prosper Mérimée,
d'après Le Carrosse du Saint-Sacrement de Prosper Mérimée,
musique de Jacques Offenbach
Théâtre de l’Odéon
Une turbulente et troublante artiste
Il était une fois,
dans le fastueux Pérou espagnol de la seconde moitié du XVIIIe
siècle, une jolie et piquante comédienne, danseuse et chanteuse, comme
l’exigeait le genre sûrement de la tonadilla hispanique, souvent
centré sur une femme. À Lima, Micaela Villegas (1748-1819) est déjà célèbre
lorsque débarque en 1761 le nouveau Vice-roi d’origine catalane, Don Manuel
Amat y Junient. Il a cinquante-sept ans, elle, dix-huit. Il en tombe amoureux,
en fait sa maîtresse, sa favorite, l’installe au palais, au grand dam de la
noblesse espagnole et créole qui n’a pas, sur ce chapitre, la largeur de vues
de l’aristocratie française habituée aux incartades officielles, pratiquement
institutionnelles, de ses monarques.
Mieux,
ou pire que cela, il fait de sa belle métisse le centre mondain de Lima, la
laisse inspirer des constructions nouvelles, et, scandale, va jusqu’à lui
offrir un carrosse somptueux, prestigieux privilège exclusif de la noblesse,
dans lequel elle se pavane dans la capitale, pour le grand bonheur du peuple de
voir l’une des siennes ainsi intronisée, et le dépit et mépris des nobles qui
honnissent l’intruse tout en étant forcés de la saluer bien bas, et de
l’applaudir au théâtre qu’elle n’a pas abandonné. La gifle qu’administre, en
pleine scène à l’un de ses partenaires l’impulsive vedette, lui vaudra une disgrâce
de deux ans. Mais les amants socialement inégaux mais égalisés par l’amour et
le désir qui renversent toujours les classes sociales, renouent une liaison
finalement heureuse de près de quatorze ans, malgré des hauts et des bas de
ménage passionné. Le fruit en sera un fils auquel le Vice-roi donne même son
propre nom.
« Perricholi », ‘cho’
comme chocolat et non « cocolat »
Donc, Péri chole à prononcer comme
« chochotte », comme devait bien dire Mérimée, savant hispanophile et
ami intime de l’Impératrice espagnole Eugénie de Montijo, et non Péri cole, par une tradition
linguistique erronée.
Micaela avait un
nom : elle va gagner un surnom : « la Perricholi ». Dans
l’intimité, le Vice-roi l’appelait tendrement « petit xol » (prononcé
« petichol »), ‘petit bijou’ en catalan, ou, familièrement
« pirri xol », ‘ma petite métisse’ ; il n’est pas exclu aussi
que le Vice-roi, âgé comme un père, les jours de colère contre les frasques de
la tumultueuse enfant, dans les alternances après tout conjugales du cœur, l’ai
appelée « perra chola » en castillan, ‘chienne de métisse’, sonnant
« perri choli » avec son accent catalan et le sifflement probable de
sa bouché édentée. Toujours est-il que l’opinion publique s’empara plaisamment
du terme affectueux ou injurieux selon que l’on fût admirateur ou détracteur de
la belle devenue pour tous, en des sens opposés, « la Perricholi » de
la légende.
Histoire
et légende
Actrice
et favorite, ce n’est pas la légende mais l’histoire qui conte aussi sa
générosité. Un jour, narguant la noblesse dans son célèbre carrosse, elle
aperçut un modeste curé portant à pied le Saint-Sacrement pour l’administrer à
un mourant. Ému et honteuse, telle déjà une Tosca pieuse, elle descendit du
luxueux véhicule, s’agenouilla, et en fit cadeau au prêtre pour qu’il pût
exercer confortablement son pieux ministère.
C’est de ce geste
célèbre que Prosper Mérimée, à Grenade en 1830 chez les Montijo, tira sa comédie en un acte Le Carrosse
du Saint-Sacrement, publiée pour la première fois dans la Revue de Paris en 1829, ajoutée en
1830 à la seconde édition du supposé Théâtre de Clara Gazul dont il est l’auteur
caché, jouée sans succès en 1850. Mais, hors du Pérou et de l’Espagne, la
Perricholi, avait déjà inspiré La Périchole, vaudeville de Théulon
et Deforges (1835) avant l’opéra-bouffe d’Offenbach et ses compères (1868).
Puis, en 1893, vint la pièce en vers de Maurice Vaucaire, adaptateur de Puccini
en français (au théâtre de l’Odéon de Paris), ensuite Le Carrosse du
Saint-Sacrement, opéra en un acte, livret et musique d’Henri Büsser (1948) et, enfin, le
célèbre film de Jean Renoir, Le Carrosse d’or (1953) avec Anna
Magnani.
Belle postérité pour notre belle, que l’on retrouve, naturellement chez le
grand écrivain péruvien Ricardo
Palma (1833-1919)
qui recueille traditions, anecdotes et histoires du Pérou dans ses inépuisables
Tradiciones peruanas.
Réalisation et interprétation
Du fameux carrosse,
absent du livret, il n’en restera ici que son découpage en carton-pâte et le
double clin d’œil des deux fenêtres dans lesquelles s’inscriront plaisamment,
comme dans les photos de foire où l’on passe la tête, celle des deux héros
partant à la fin pour être heureux et avoir beaucoup d’enfants qui grandiront
car ils sont Espagnols, dans un univers de toiles peintes des décors de Laurent
Martinel qui ravivent
la nostalgie de notre esprit d’enfance, d’enfants du moins non encore blasés
par les effets spéciaux contemporains. Les costumes (Maison Grout), hommes du peuple en blanc et
chapeau de paille, femmes en jupes colorées à motifs indiens triangulaires et
feutres, stylisent en souriant un Pérou d’opérette, piqué des notes de la
commedia dell’Arte référant sans doute au film de Renoir dont les héros en sont
des comédiens, Arlequin, Colombine, Pierrot. Au second acte, sous le tableau en
pied à la Louis XIV du Vice-Roi, la Cour, très versaillaise en ses costumes
élégants, bourgeonne de perruques poudrées et papillonne d’éventails. Tout ce
monde, Chœur Phocéen (Rémy Littolff) et solistes, se meut en musique dans une vivacité sans heurt, une
alacrité contagieuse, due à la battue tambour battant (sans être lourdement
tambour-major) de Jean-Pierre Burtin et au dynamisme insufflé par Jean-Jacques Chazalet, qui signe une mise en scène très
physique, attentionnée sans intentions métaphysiques hors de propos.
La connivence entre
tous les acteurs, des premiers au seconds rôles ou plans, est aussi sensible
que leur plaisir de jouer qu’ils communiquent à la salle. Ainsi, Michel
Delfaud, en Marquis
de Santarem éternel prisonnier, avec un accent marseillais qui lui donne des
airs d’Abbé Faria
issu de son trou creusé pendant des années, citant Shakespeare en l’attribuant
à Cervantes. Une seule apparition, et c’est tout un personnage : Antoine
Bonelli, joues
bouffies des bouffées de son importance, bougon ou bouffon Grand Chambellan chancelant. La
voix mielleusement fielleuse de Jacques Lemaire et amèrement douceâtre ou acérée de
son compère Dominique Desmons font une hilarante paire : les Dupont et Dupont de la cabale et de la cavale face au danger, les traîtres
au sourire grinçant sarcastiquement des dents à la joie du complot. Un joli
trio de vipères vocales se partagent six rôles, le beau mezzo de Valentine
Lemercier, le soprano incisif de
Violette Polchi et celui de Virginy
Fenu, déjà appréciée en fraîche
fille-fleur de Madame Chrysanthème.
Agatha Mimmersheim, Anne-Gaëlle Peyro,
complètent les atouts des dames et, aux basses œuvres des basses-fosses du
palais, Patrice Bourgeois, Yves
Fleuriot et Damien Rauch sont les nécessaires geôliers et bourreaux pour rire.
Tout opéra-bouffe a ses vaincus et vainqueurs,
évidemment rôles renversables, un couple d’amoureux et le baryton l’empêcheur
d’aimer en rond, parce qu’il en a profusion, troisième larron qui fait du duo
un trio, triomphant, tonitruant, truculent ici Alexandre Duhamel, grand gaillard gaillardement
paillard, Vice-Roi plus joyeusement vicieux que méchamment vicelard et
pernicieux, dont le vice (qui n’a pas ainsi « vicié » lui jette la
première pierre), n’est que celui, bien commun, d’aimer « les petites
femmes » tel un Napoléon III en goguette échappé des Tuileries ou de
Compiègne où il relègue son Eugénie d’Impératrice. Jouant les terreurs, il ne
terrorise jamais, beau et bon chanteur et vrai personnage de comédie avec sa
Cour, assurant le côté bouffe d’un opéra qui, de l’autre, est une comédie de
demi-caractère,
guère drôle dans le fond, même fondu dans la forme globale.
En effet, un couple de
jeunes et beaux héros, malheureux en fortune et mourant de faim n’est pas du
plus haut comique. En Piquillo, le juvénile ténor Rémy Mathieu, au timbre merveilleusement
délicat, digne de Mozart, a une grâce touchante de victime malgré un sourire
encore enfantin, enjôleur, opposant l’humour à la mauvaise humeur de la
fortune. À ses côtés, voix de velours sombre à l’aigu aisé, sans aucun effet de
grave vulgairement poitriné, la mezzo Emmanuelle Zoldan, morceau de roi et Vice-Roi mais
fièrement et dignement préservée pour son amour, donne vie profonde, loin de la
caricature, à une Périchole très humaine, qui joue le jeu sans être dupe, avec un regard
lucide et désenchanté sur la société, protectrice de son inconscient compagnon.
Sa lettre de rupture, spirituelle mais cruelle, elle la rend avec la gravité de
la situation de femme déchirée entre la rudesse de son existence et la promesse
d’un avenir meilleur, un sacrifice personnel de pauvre Traviata de l’injustice
du monde, grande âme trahie par la vie. Même son air de la griserie ne tombe
pas dans la grivoiserie et, si elle constate, ironique et triste, que
« les hommes sont bêtes », c’est qu’ils le sont vraiment comparés à
ces femmes qu’ils affrontent effrontément, moins lotis en intelligence
pratique. Sa paradoxale déclaration d’amour, « Oui, je t’aime, brigand,
j’ai tort de l’avouer… », en détaillant avec clarté les défauts de l’être
aimé, dépassés mais non effacés par la puissance de l’amour, elle semble la
faire avec la douceur fataliste d’une Carmen de comédie, mais en nous faisant
sentir qu’on est près du drame. Dans la rassurante inhumanité comique du
bouffe, c’est l’humanité vraie des sentiments qui passe. On peut alors, joyeusement et cyniquement,
entonner encore l’hymne impertinent de l’œuvre, « Il grandira, il
grandira car il est Espagnol… », visant malicieusement les préférences nationales de
l’Espagnole Impératrice favorisant sans doute ses compatriotes, déjà
instigatrice de la désastreuse projection d’un nouvel Empire au Mexique pour
nouveaux conquistadors, à la veille de la lamentable guerre de 1870 contre la
Prusse qui verra la fin du sien, pour la question, justement, de la Succession
d’Espagne.
La
Périchole
De
Jacques Offenbach,
Odéon,
Marseille, 2 et 3 avril
Orchestre
du théâtre de l’Odéon, Chœur phocéen
Direction musicale : Jean-Pierre BURTIN
Mise en
scène : Jean-Jacques CHAZALET
La Périchole : Emmanuelle ZOLDAN. Première
Cousine : Virginy FENU Deuxième Cousine : Violette POLCHI. troisème
Cousine : Valentine LEMERCIER. Frasquinella : Agatha MIMMERSHEIM.
Marchande : Anne-Gaëlle PEYRO.
Piquillo : Rémy MATHIEU. Don Andrès de Ribeira (Vice-Roi) : Alexandre DUHAMEL. Don Miguel de
Panatellas : Dominique DESMONS. Don Pedro de Hinojosa : Jacques
LEMAIRE. Le Marquis de Tarapote :Antoine BONELLI. Le Marquis de
Satarem : Michel DELFAUD. Geôliers
et bourreaux : Patrice BOURGEOIS, Yves FLEURIOT et Damien RAUCH.
Photos © Christian Dresse :
1. Le pardon demandé au Vice-Roi ;
2. La Périchole (Zoldan) et le Vice-Roi travesti en geôlier (Duhamel).
mercredi, avril 06, 2016
LA COULEUR DES RÊVES
Living Art's
50 cours Julien, 13006 Marseille
jeudi 7 avril à 20:00
Au célèbre boléro humoristique d'Osvaldo Farrés Quizás, quizás, quizás ('Qui sait, qui sait, qui sait'), trois artistes de chez nous ont emprunté leur nom et prêté leur talent (On sait, on sait, on sait…) pour ce trioTrio quizás
Voix, piano, violoncelle
Lucile Pessey, soprano -
Anne Gambini ,Violoncelle
et Nicolas Mazmanian : Piano et arrangement, et compositeur
dans un programme latino-coloré.
À CRAQUER, CROQUER, DÉGUSTER, SAVOURER
AU
LIVING ART'S
LIVING ART'S
ou jamais l'art n'aura été mieux servi ni plus vivant