MACBETH
Livret de Francesco
Maria Piave d’après la tragédie de
Shakespeare Musique de Giuseppe Verdi
Opéra de Toulon, 25
avril
L’œuvre originelle
Contexte théâtral : théâtre de l’horreur
Tout en s’en démarquant quelque peu, la tragédie de William Shakespeare
(1564-1616), Macbeth (entre 1603 et 1607), demeure, par sa brutalité, les
scènes de meurtre, dans la veine d’un théâtre européen de l’horreur à cheval
sur les XVIe et XVIIe siècles dont, en France, Les
Juives de Robert Garnier (1583), par
leur violence imprégnée de celle des Guerres de religion, demeurent un exemple.
Shakespeare, avec son Titus Andronicus
(vers 1590/1594), ne déroge pas à cette inspiration barbare des pièces
élisabéthaines de la fin des années 1580, prodigues en scènes atroces (cannibalisme,
mutilation, viol, folie). Il y renchérit même sur les œuvres plus que violentes
de ses rivaux, tels Christopher Marlowe qui porte à la scène avec crudité la
Saint-Barthélemy (Massacre de Paris, 1593) et la cuve d'huile
bouillante son Juif de Malte (1589)
ou Thomas Kyd et sa Tragédie
espagnole. Macbeth fut le plus
grand succès public de Shakespeare, longtemps rejouée, traduite en allemand par des compagnies itinérantes. Mais ce mélange
d'horreur et de pathétique, dérogeant aux règles de la bienséance classique, la
pièce sera reléguée après avoir régalé le grand public.
Le
dramaturge anglais s’inspire librement d’une chronique médiévale relatant des
événements historiques, la vie de Macbeth, roi des Pictes, qui régna en Écosse
de 1040 à 1057 ; il monte sur le trône en assassinant Duncan, le roi
légitime. Mais de cet événement, un régicide, le meurtre d’un roi, somme toute
banal dans l’histoire, Shakespeare tire la peinture, le portrait d’un assassin
ambitieux certes, mais timoré, freiné puis tourmenté par des scrupules moraux.
Cependant, il est incité par sa machiavélique femme, Lady Macbeth, qui le
pousse dans la marche au pouvoir qui ne se soutient que par l’enchaînement
inexorable de crime en crime. Le couple maudit, rongé par la crainte d’être découvert
et le remords, acculé à la surenchère criminelle pour se maintenir au sommet de
la puissance, dans son escalade criminelle, trouve son expiation, son châtiment,
lui, saisi d’abord d’hallucinations croyant voir même dans un banquet, au
milieu des courtisans, le fantôme de Banco, l’ami qu’il a fait assassiner,
elle, Lady Macbeth, son âme damnée, sombrant dans le somnambulisme qui la
trahit, dans la folie, lavant sans cesse des mains tachées du sang du régicide.
Shakespeare ajoute au drame historique une dimension
surnaturelle : ce sont des sorcières, qui, après une glorieuse bataille,
saluant Macbeth, seigneur de Glamis, du titre de seigneur de Cawdor, seront les
agents de sa fulgurante ascension politique et de sa chute. En prophétisant ce
titre inattendu de seigneur de Cawdor, que lui décerne sur le champ le roi
Duncan pour prix de sa victoire sur les Norvégiens envahisseurs, et en lui
prédisant qu’il sera également roi d’Écosse, les sorcières enclenchent la
mécanique de l’ambition, qui déclenche la tragédie. Elles sont peut-être la
manifestation de son inconscient. À son ami, l’autre général, Banquo, elles
prédisent également que, sans régner lui-même, il sera l’origine d’une lignée
de roi. Quoiqu’il en soit, Macbeth écrit ces prédictions à sa femme et met en
route en elle l’ambition fatale qui les perdra tous deux.
Réalisation
L’opéra de Toulon
présentait la magnifique production venue de Bordeaux et de Lorraine de l’opéra
Macbeth de Verdi (1813-1901) sur un
livret de Francesco Maria Piave (1810-1876). Première représentation eut lieu avec un grand succès
à Florence en 1847. En 1865, Verdi remania son œuvre pour la version française
de Paris, qui, retraduite en italien, s’imposa dans le monde.
On saluera d’entrée la
mise en scène efficace et effectiste de Jean-Louis Martinoty qui rend à cette œuvre, parfois édulcorée, toute la
violence visuelle à la fois de la pièce de Shakespeare et de l’opéra de Verdi
dont on connaît le soin maniaque, tout moderne, qu’il portait à la
réalisation théâtrale : d’un si grand mélodiste et musicien, on peut
s’étonner du primat qu’il donnait à l’action scénique sur la musique. Par souci
de théâtralité, il voulait une Lady Macbeth à la voix laide mais expressive et
l’on sait, de son propre aveu, que Maria Callas dut son premier rôle à la Scala
grâce à Toscanini qui voulait, pour ce rôle, une soprano au timbre ingrat selon
le vœu du compositeur. Ainsi, rien n’est déguisé de l’horreur des crimes, du
massacre même des enfants de Macduff mais poétisé par un expressionnisme
impressionnant et l’estompe onirique des lumières obscures, à peine livides
parfois, de François
Thouret, qui font hésiter, comme dans un
rêve entre veille et sommeil, de la réalité de ce que nous entrevoyons plus que
nous ne voyons : des images mentales d’un chaotique cauchemar impossible à
quitter.
Ce décor de Bernard Arnould, autant que les personnages, enferme le spectateur
dans ce confus et pourtant géométrique dédale, une minérale et angoissante
forêt de colonnes rigides mais toujours mouvantes, aux pâles reflets de
miroirs, où toute action, où tout groupe se démultiplie, telles les sorcières,
omniprésentes, instigatrices et spectatrices du drame, vagues nonnes blanches
de face, images de la mort de dos, revers devenant avers dans le miroir, dans
un univers baroque à l’envers comme l’arbre humain pendant des cintres, où tout
est réversible, le vrai et le faux, où la vérité est le plus grand des
mensonges. Les vidéos Gilles Papain,
celle de Jacques Brissot de la
confuse bataille, le magmas glapissant des sorcières, l’amas de corps
désarticulés des morbides poupées de Bellmer, comme issu d’un charnier
concentrationnaire dont notre temps est prodigue, tissent, entassent un
grouillement fantasmagorique grandguignolesque, gore et mandragore maléfique
pesant du ciel comme une épée de Damoclès : résidus fatal de la scène
sanglante.
Les rideaux de scène
projetés de Ronan Barrot sont beaux
mais d’une esthétique coloriste tendant vers l’abstrait, où l’on devine,
parfois, des ombres goyesques car l’œil, pour bien les percevoir, est trop
sollicité par le clair-obscur des citations en anglais, puis en français, de
quelques sentences de la pièce : « Ce qui
est fait est fait et ne peut être défait » de Lady Macbeth et, de
sopn royal et régicide époux : « [La
vie] est un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne
signifie rien. »
Interprétation
Pas
une faiblesse à déplorer dans, ni dans la fosse ni dans ce plateau homogène.
Des chœurs très engagés, maîtrisés par Christophe Bernollin, des comparses bien en place, des rôles épisodiques bien
choisis, Aurélie Ligerot en dame
d’honneur qu’on aimerait réentendre, Antoine Abello, bon soliste et choriste.
Dans cet opéra qui
rompt avec la convention de son temps, avec un rôle muet, le roi Duncan, pas
d’histoire d’amour entre soprano et ténor, mais pacte haineux de mort entre les
deux maléfiques héros, elle soprano dramatique d’agilité, lui baryton Verdi,
voix corsées et sombres. À leur noirceur s’ajoute celle, vocale de Banco, la
basse géorgienne Mikhail Kolelishvili,
profonde et immense voix dont
on craint un peu, au début l’instabilité slave de la ligne mais qui, dans son
air avant son assassinat, plein de tendresse angoissée pour son fils et de
sombres pressentiments, il est impressionnant dans des graves nourris et un mi
aigu pleinfort sans perte de couleur.
Cependant, deux voix
claires masculines illuminent la partition, essentiellement au dernier acte,
comme un horizon qui s’éclaire dans l’éclair de la douleur pour Macduff
dont la femme et les enfants ont été assassinés, interprété avec une vérité et
une force touchantes par le ténor russe Roman Shulackoff, et
dans le ciel dégagé de Malcolm, qui regagnera le trône d’Écosse de son père,
chanté par l’Italien lumineux Giorgio Trucco.
Le couple maudit est
formé de deux chanteurs de trempe exceptionnelle eu égard à ce qu’exige d’eux
Verdi. Notamment pour sa Lady Macbeth, à laquelle il impose une tessiture
infernale du si grave au ré bémol aigu avec un médium corsé, dramatique, et
l’obligation de coloratures agiles, notamment dans la scène du banquet. La
soprano suédoise Ingela Brimberg n’est certes
pas une voix méditerranéenne mais, si la musique de Verdi l’est assurément, son
héroïne, écossaise, ne l’est pas et l’on sait que le compositeur était
davantage attaché à la crédibilité de ses personnages, à l’émotion du rôle
qu’ils dégageaient qu’à la simple beauté de l’émission vocale. En cela, cette
grande artiste se tire avec honneur de cette partition terrible, passant avec
aisance et puissance du grave aux aigus enchaînés en sauts périlleux (où l’on
peut encore voir filmés les ratages sublimes de Callas qui affrontait sans
tricher cette tessiture diabolique). Physiquement, elle a de l’allure, une belle
figure, un jeu crédible, elle est émouvante même de l’arrogante voracité de sa
première apparition en rousse qui sent le roussi, à la dégradation progressive,
cheveux courts et noirs, implacable, écharpe et gant rouges du sang versé, puis
cette somnambule hagarde regardant ses mains, pitoyable, aux longs cheveux
gris : subtile marque du
passage du temps, de la chronologie, par le corps de la femme.
À ses côtés, avec une
voix sonore, chaude, large, égale sur toute le tessiture, d’une rondeur humaine
prête à arrondir tous les angles, le Macbeth de Giovanni Meoni, velléitaire sinon veule, sans avoir la grandeur
farouche de sa femme, a la dimension tragique su criminel d’emblée conscient de
son crime. Il murmure ses scrupules, ses craintes, de façon très dramatique,
avec une vocalité d’une conduite exemplaire tant dans la force brutale que dans
la confidence finalement humaine.
À la tête
de l’Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon, son chef et directeur Giuliano Carella, comme chez lui, joue à plein des contrastes et des
couleurs de cette partition : des murmures aux flots déchaînés d’une musique
expressive, oppressante dans les scènes intimistes, déchaînée dans le bruit et
la fureur qui, ici, font sens.
À quelques broutilles
près d’un soir de première, une réussite à la hauteur de Shakespeare et Verdi.
Macbeth, de G. Verdi
Opéra de Toulon, 25, 27 et 29 avril
Coproduction de l’Opéra National de Bordeaux et de l’Opéra
National de Lorraine
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon
Direction musicale : Giuliano Carella. Mise en scène : Jean-Louis Martinoty. Décors : Bernard Arnould. Costumes : Daniel Ogier. Lumières François Thouret Vidéos Gilles Papain.
Distribution :
Lady Macbeth : Ingela Brimberg ; Macbeth :
Giovanni Meoni ; Banco :
Mikhail Kolelishvili ; Une
dame d’honneur Aurélie Ligerot ; Macduff : Roman Shulackoff ; Malcolm :
Giorgio Trucco.
Photos © Frédéric Stephan
1. Macbeth et Lady Macbeth ;
2. Charnier de batailles ;
3. Macbeth consulte les sorcières;
4. Royauté instable ;
5. endroit et envers des sorcières.
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