Enregistrement
12/05/2014, passage, semaine du 26/5/2014
RADIO DIALOGUE
(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE
DE BENITO » N° 130
Lundi : 10h45 et 17h45 ;
samedi : 12h45
(Naturellement, l'émission présente des extraits des disques en question mais on en trouvera avantageusement des exemples autorisés dans son site très bien fait : http://www.laurentwagschal.com/discographie.)
LAURENT WAGSCHAL
Né à Lyon en 1972,
couvert de prix nationaux et internationaux, le pianiste Laurent Wagschal n’est pas un inconnu dans notre région ni sur ces
ondes. On l’a connu et apprécié comme accompagnateur partenaire de la soprano Brigitte
Peyré lors d’une enchanteresse soirée du
défunt Festival Les Nuits d’été en septembre 2008, au Musée
Granet d’Aix-en-Provence, dans un programme L’Italie du Paris romantique et
de Liszt. Nous l’avons retrouvé ici en 2012
dans un disque consacré à Henri Tomasi dans lequel il
accompagnait cette fois la soprano Johanne Cassar dans des mélodies corses du compositeur et, enfin, l’an dernier, j’ai
rendu compte du disque partagé avec la jeune violoniste Solenne
Païdassi, L’Art du violon,
consacré à des sonates de compositeurs français de la fin du XIXe
siècle, César Franck (1822-1890) et à
cheval avec le XXe, Saint-Saëns (1835-1921), Gabriel Pierné (1863–1937) (On peut retrouver ces chroniques en tapant son nom au bas de la page).
Et nous sommes là au
cœur du répertoire cher à ce talentueux pianiste attaché à défendre tout un pan
oublié ou méconnu de la littérature pianistique française : à côté de Fauré, dont les mélodies occultent une grande part de sa
création, avec plus de vingt disques, Laurent Wagschal défend aussi Ernest
Chausson (1855-1899), Florent
Schmitt (1870-1958), Maurice
Emmanuel (1862-1938). Ses disques sont
régulièrement salués par la presse spécialisée nationale, et même Télérama,
Le Monde, ne manquent pas d’attirer
l’attention sur sa grande activité.
Laurent Wagschal, se
produit régulièrement sur de grandes scènes prestigieuses à Paris (Théâtre du
Châtelet, Théâtre des Champs-Élysées, Auditorium du Musée d'Orsay,
Radio-France) mais aussi à l'étranger (Madrid, Bruxelles, Carnegie Hall à New
York, à Seoul, à Tokyo). Il est l’invité de nombreux festivals (la Folle
Journée de Nantes, organisée par René Martin, l’âme de notre Festival de la
Roque d’Anthéron, le Midem de Cannes, le Festival Chopin à Bagatelle, Festival
Présences, Festival du Périgord Noir...). De grands orchestres font appel à
lui, l'Orchestre des Concerts Lamoureux, l'Orchestre Pasdeloup, l'Orchestre de
la Cité Universitaire de Paris, l'Orchestre d'Auvergne, le Brussels
Philharmonic Orchestra, l'Orchestre Classica de Moscou.
Magnifique carrière
donc pour un pianiste relativement jeune, qui en concertiste, soliste, a
naturellement un vaste éventail de grands musiciens internationaux à son actif,
et même dans sa discographie, qui ne se réduit certes pas au seul répertoire
national évoqué : on y trouve, avec Mendelssohn le rare Karol Szymanowski, compositeur polonais (1882-1937). Et, encore plus
rare, l’un de ses deux derniers disques, Arabesques, aux Éditions
Prometheus, est consacré à des pièces du
compositeur et pianiste allemand Martin Münch, né en 1961, avec lequel il a travaillé. Nous en
écoutons et goûtons un bref extrait, la plage 26, une brève pièce de 2009,
délicate et tendre, Pour Louise, d’autant plus tendrement et
délicatement jouée par Wagschal qu’elle est dédiée à sa fille, pour sa
naissance. On y sent battre doucement, comme un écho lointain, un doux
bercement, une réminiscence du thème des Folies d’Espagne. La dernière pièce, Petit morceau, est une autre délicieuse dédicace à l'autre fille de l'interprète.
Münch, que nous révèle Laurent Wagschal, grand
concertiste international et professeur en Allemagne, est un musicien élégamment à l’écart des modes et
terrorismes théoriques, atonalité, sérialisme intégral, qui sévissaient à cette
époque : il prise davantage une tonalité élargie que la prison de
l’atonalité en vogue. Le CD
contient une sonate de jeunesse (1978) très impressionnante chez un jeune homme
de dix-sept ans, les Contes et arabesques, opus 32 ; Sechs verbotene
Trauermärsche, opus 37 (‘Six Marches funèbres interdites’, nous
dit-on, sans que l’on sache pourquoi, aux USA) opus 37, très sombres, comme il se doit ; Sterl-Impressionen opus 49, six brefs morceaux, des miniatures littéralement
pittoresques, aux accents slaves, russes, inspirées au compositeur par des tableaux du peintre allemand
néo-impressionniste Robert Sterl (1867-1932), comme
Moussorgsky avait composé ses Tableaux
d’une exposition d’après
ceux de Victor Hartmann et Granados
ses Goyescas d’après
ceux de Goya. Malgré les titres renvoyant aux tableaux, ces tableautins, loin
d’être descriptifs comme une musique à programme, peignent avec une grande
concision, dépeignent, suggèrent d’un pinceau dirait-on, d’une touche efficace
d’autant plus que limités dans le cadre étroit temporel (la vignette la plus
longue, 3 minutes, une autre), des atmosphères, des évocations, parfois des
évanescences, des sfumatos vaporeux ou des impressions plus corsées et
colorées. Pour rassurer sur la musique contemporaine, dont on entendra qu’elle
est aussi parfaitement séduisante, il suffit d’écouter ces brèves vignettes
de Martin Münch sous les doigts
coloristes de Laurent Wagschal, notamment la plus courte, courte qui clôt la
série Am Hafen von Astrachan, ‘Sur le port d’Astrakhan’.
Laurent Wagschal présente ce 22 mai ce disque consacré à Martin
Münch dans le cadre du
Neckar-Musikfestival, en Allemagne.
L’autre disque jumeau
de Laurent Wagschal, sous le
label Timpani, c’est rien moins que L’œuvre pour piano, intégrale, de Paul
Dukas (1865-1935). Il est vrai que l’œuvre
de ce compositeur parcimonieux aussi exigeant que Manuel de Falla, qui
préférait détruire ce qui ne le satisfaisait pas pleinement, n’est pas géante,
mais la sonate ici gravée amoureusement par Wagschal est gigantesque :
près de 42 minutes ! Certes, de lui, ami de Debussy et grand orchestrateur
qui influença tant d’autres compositeurs pendant ses cours au Conservatoire de
Paris, on connaît son poème musical L’Apprenti sorcier (1897), devenu tube planétaire après le film de Walt
Disney, Fantasia (1940) ; on joue rarement son magnifique
opéra Ariane et Barbe-bleue (1907)
heureusement monté à Nice il y a quelques années, et son ballet La
Péri (1912), de justesse sauvé des flammes
de son impitoyable perfectionnisme incendiaire !
On ne peut que savoir
gré à Laurent Wagschal de rendre cet hommage mérité à ce grand compositeur trop
modeste. Le CD contient donc tout ce que Dukas a composé pour le piano, avec un
regard rétrospectif à des maîtres du passé, Rameau et Haydn et une projection
vers l’avenir dans la titanesque sonate hérissée des difficultés de celles des
grands aînés du XIXe siècle :
Sonate,
La
Plainte, au loin, du Faune, Variations, Interlude et Finale sur un thème de
Rameau,
Prélude élégiaque sur le nom de Haydn.
Avec l’hommage à Debussy et à son faune, écho
lointain dans la brume bleue du passé du maître mort, en une époque où l’on
joue principalement la musique contemporaine (les carnets de Monsieur
croche de Debussy témoignent des programmes
tout modernes de son temps), ces belles variations sur un thème de Rameau, ces
treize variations, clin d’œil aux Diabelli de Beethoven, et ce jeu musical à la
Bach sur le nom de Haydn aux
lettres transcrites dans la gamme allemande, sont un témoignage du nouveau goût
musical historiciste d’un tournant de siècle qui s’ouvre aussi en s’ouvrant au
passé. C’est aussi l’apport précieux de ce disque qui défie courageusement les
lois de l’opportunisme mercantile actuel : pas d’anniversaire à célébrer,
pas d’actualité autre que celle d’un maître délaissé à redécouvrir avec
respect.
La sonate est, par
ses proportions, sa difficulté, son ambition de résumer, de subsumer en une
toutes les sonates du XIXe siècle, est un monument qui effarouche
les pianistes et effraie le public, donc, le marché. Notre pianiste, lui, ne
marchande pas : il marche, il court, il ralentit dans cette sonate au
début haletant. Elle est touffue dans sa composition et pourtant, on appréciera
comment Wagschal mène cette montée haletante du premier mouvement, sa clarté
légère dans le troisième, comment il plonge avec ardeur dans cette
effervescence fiévreuse pour la conduire, par sa vélocité, sa volubilité, pour
en dérouler sans confusion les volutes virtuoses. Nous gravissons avec lui
toutes les marches de ce monument qu’il nous invite visiter avec étonnement et
bonheur de la découverte
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