LA CENERENTOLA
( Ossia La Bontà in Trionfo)
Musique de Gioacchino Rossini
Livret de Jacopo Ferretti
Opéra de Toulon,
26 janvier 2014
L’œuvre
L’Opéra de Toulon
prolonge encore la magie ou la rêverie heureuse des fêtes en programmant une
œuvre à la fois cruelle par le sujet puis heureuse par le dénouement auquel on
voudrait croire, La cenerentola,
Cendrillon », festive et
joyeuse par la musique de Gioacchino
Rossini, car le chant rossinien est
une fête malgré ses pointes ici, inévitables, de mélancolie.
Origines du conte
Il existe, à travers le monde, un grand nombre de variantes de cette histoire dans laquelle, un joli et petit soulier perdu par une toute jeune fille, permettra à un prince éperdu d’amour pour cet objet, quelque peu fétichiste du pied, de remonter jusqu’à elle—le pied ! de la pointe à la jambe— et de l’épouser. On en trouve des traces dans l’Égypte ancienne, dans l’Antiquité, dans le monde entier, de l’Europe à l’Asie, S’y greffe la promotion extraordinaire de la pauvre fille réduite, sinon en cendres, à être aussi grise et sale qu’elles, une souillon, par l’injuste situation que lui fait sa propre famille qui la traite en servante : un père faible, lâche, laisse ainsi traiter et maltraiter sa fille d’un premier mariage, par sa seconde femme, la marâtre et deux pimbêches de demi-sœurs aussi prétentieuses que laides et méchantes. Sorte de besoin humain de compassion, de compensation on y verra un être persécuté récompensé par la vie : la bergère ou la cendrillon épousée par le prince et qui, au lieu de se venger quand elle atteint le sommet de la puissance, pardonnera à ses persécuteurs. La victime sublimée par la bonté.
La Cendrillon ou la petite pantoufle de verre de Charles Perrault (1697), tiré de ses Contes de ma Mère l’Oie, qui fixe chez nous l’histoire, est précédée, en Europe, par le conte de la Gatta cennerentola (‘Chatte des cendres’) de Giambattista Basile, extrait de o cunto de li cunti, ‘Le conte des contes ’, publiés après sa mort, en 1635 et 1636, à Naples, recueil de contes napolitains où se trouvent déjà Le Chat botté, Peau d’âne, La Belle au bois dormant, que reprendra Perrault, ainsi que Hansel et Gretel, qui aura un grand succès dans les pays nordiques. Perrault est suivi l’année d’après de Finette Cendron de la baronne d’Aulnoy, de son recueil Contes nouveaux ou Les Fées à la mode l’année d’après, en 1698, puis de celle des frères Jacob et Wilhelm Grimm, Aschenputtel, Aschenbrödel (Contes, 1812).
La Cendrillon de
Ferretti (1817), qui écrivit le livret, n’est pas très féerique : sans
fée, sans citrouille, sans pantoufle de verre. Perrault écrit verre, comme la matière, dont on fait les vitres, les
verres, et le film de Walt Disney en a popularisé l’image
brillante : bien fragile
pantoufle et difficile chaussure à porter. En réalité, il s’agit non de verre
cassable mais de vair, anciennement, fourrure d'une espèce d'écureuil, du même
nom, qui était grise par-dessus et blanche par-dessous, aujourd'hui on
l’appelle petit-gris. Des souliers de vair : c'est-à-dire fourrés de vair.
Mais peu importe, gardons la magie de l’ambiguïté du son du mot qui fait sens.
Notons cependant que de verre ou de vair, la fameuse pantoufle est
remplacée, en ce début de XIXe siècle pudibond après le libertinage
charmant du siècle précédent, puritanisme bourgeois oblige, par un pudique
bracelet : chassez ce pied que je ne saurais voir dirait Tartuffe. La
grisaille cendreuse est cependant sauvée par les coloris de la partition. La
seule magie, ici, est la féerie musicale d’un Rossini déchaîné, qui enchaîne
ensemble sur ensemble des plus étourdissants et des airs vertigineux de
virtuosité qui requièrent de tous les interprètes une technique à toute
épreuve : le bel canto du siècle virtuose précédent dans sa plus exaltante
palette.
Réalisation
Signant mise en scène, scénographie
et costumes, réalisateurs complets donc, Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœuil, qu’on avait jugés à la peine, peinant
laborieusement à faire sentir la peine des Carmélites en dialogue par une
distanciation, sinon brechtienne, trop froidement constructiviste pour
émouvoir, sont ici en veine, en verve virtuose, en osmose rossinienne par le
tempo toujours vif, sans temps mort, réussissant la gageure de faire jouer tout
ce monde, de crédible et plaisante façon, chœurs compris, sans statisme des redoutables
ensembles, sans solution de continuité. On ne dira pas qu’on trouve un sens
profond dans ce fond de théâtre brut (effet trop vu) éclairé ironiquement dans
des teintes de bonbons acidulés par
les lumières de Rick Martin, encore que, mis joyeusement en boîte par celle au
premier plan, ce nu est peut-être signe de dénuement, ou peur du recul, du
déclassement social, qui menace le baron Don Magnifico, en rien magnifique, et
ses pécores pimbêches chipies de filles, dont les ambitions aristocratiques, au
lieu d’avancer, risquent d’aller à reculons s’écraser contre ce mur de béton de
leur bêlante bêtise : aspirant au sommet, ils écrasent celle d’en bas,
réduite, sinon en poudre, en cendres, Cendrillon.
Noblesse bidon de
bidonville, occupant, squattant peut-être une baraque baroque, une
brinquebalante bicoque de bric et de broc, sans abracadabrantesque effet de
fée, sans doute pointant au chômage, dans un monde désenchanté, déjanté, d’un
néo-réalisme déréalisé par la dérision de comédie italienne, annoncée,
d’entrée, par le modeste
linge étendu comme autant de bannières, drapeaux, oripeaux, flammes et oriflammes d’une
grandeur déchue : la misère
générale, même sans misérabilisme, est sûrement le cadre qui suscite le rêve,
l’espoir, le monde de télé-roman, de roman-photo où les princes épousent encore
des bergères, des grisettes cendreuses, des cendrillons. Noblesse aussi sans fonction de chevaliers sans
cheval, dont les suites et joutes guerrières sont réduites à d’inoffensives
rencontres de polo, ou de hockey, ok pour le cocktail, brandissant des maillets
au lieu d’épées : le jeu des apparences. Car, carcasse, caisse de casse, boîte à outil, boîte
à malices, tournant sur elle-même pour devenir palais en bois, de langue de
bois de la politique de la bonté à laquelle personne ne croit, son mouvement
tournant est celui de la roue de la Fortune revenant à son point de départ,
quels que soient les avatars, les carnavalesques travestissements momentanés
endossés de façon interchangeable dans la mascarade qu’offre cette penderie de
théâtre où chacun trouve, sinon chaussure à son pied, costume d’heureuse
fantaisie, avant le retour probable au début.
Bref, de cette
Cendrillon, conte intemporel qui
berce en nous un besoin de justice où les bons sont récompensés, nos deux
compères ont fait une allégorie baroque, presque un auto sacramental espagnol, où le théâtre dans le théâtre dit la
vanité des apparences de ce monde : la cendre du bûcher des vanités.
Interprétation
Jan Stava, la basse
tchèque, sombre timbre puissant, fait un Alidoro chaleureux, vibrant, mais
philosophe emphatique un peu trop. Evgeny Stavinskiy, basse russe, illustre aussi la belle école slave et
campe un magnifique Don Magnifico, rogue, rugueux avec sa belle-fille reléguée,
étourdissant de légèreté dans le rhétorique rossinienne de l’accélération, de
la stressante strette finale de son air de bravoure, son rêve d’âne ailé.
Dandini, valet travesti en prince, est le prince réel de cet opéra, non
seulement parce qu’il en revêt l’aspect rêvé mais par le rôle chantant sans
doute le plus long et le plus varié de l’œuvre avec celui de l’héroïne
titre ; il est le lien comique, que l’opera buffa, né à Naples, a hérité du théâtre espagnol, entre la
salle et le plateau, soulignant à la fois l’action dont il fait partie, et la
mettant à distance par la parodie pour en souligner et dénoncer l’incongruité,
le scandale : excellent comédien, voix puissante et agile, le baryton David
Menéndez y est irrésistible, d’une
faconde féconde en drôleries, tant par le jeu que par le chant jamais facile de
Rossini, il est même humainement touchant, découvrant, avec résignation, la
vanité des apparences qui ne lui a accordé qu’une majesté de carnaval, le
déguisement d’un moment de par le caprice du Prince. C’est une sorte de Sancho
du long et mince don Quichotte que, près de lui, pourrait être le Prince Don
Ramiro de David Alegret, ténor
léger si grand que sa voix en semble petite, délicate mais un peu étriquée dans
un aigu qui devrait s’élargir.
À la tête de l’Orchestre de Toulon au mieux de sa forme, Edmon
Colomer, remarquable dans la
discrétion subtile des récitatifs, sait
trouver la bonne distance entre le sérieux et le bouffe de cet opéra de
demi-caractère, qui, comme Don Giovanni est un dramma giocoso :
un drame joyeux. Bonne mention, également, pour les chœurs bien préparés
de Christophe Bernollin.
Signalons justement que le chœur de l’Opéra de
Toulon, avec celui de l’Opéra du Grand Avignon ainsi que la Maîtrise des
Bouches-du- Rhône, sera invité, avec l’Orchestre National de France sous la
baguette de Kristjan Jarvi, à participer à la Vingt-et-unième soirée des
Victoires de la musique classique
en direct du Grand Théâtre de Provence le lundi 3 février, retransmis à 20h45
sur France 3, France-Inter et France-Musique.
La
cenerentola, Ossia La Bontà in Trionfo de
Gioacchino Rossini
Opéra
de Toulon, nouvelle production de l’Opéra de Toulon
24
janvier 2014, 26 janvier, 28 janvier 2014
Orchestre
et choeur de l’Opéra.
Direction musicale : Edmon Colomer.
Mise en
scène, scénographie et costumes : Jean-Philippe Clarac et Olivier
Delœuil
. Lumières : Rick
Martin
Angelina : Jose Maria Lo Monaco
;
Tisbe : Caroline Meng ;
Clorinda : Elisa Cenni
. Don
Ramiro : David Alegret
; Dandini : David Menéndez ;
Don
Magnifico : Evgeny Stavinskiy
; Alidoro : Jan Stava
.
Photos :
©Frédéric Stéphan
1. Match des deux sœurs (Caroline Meng et Elisa Cenni) pour le Prince derrière (David Alegret
), arbitré de son haut par Dandini (David Menéndez) :
2. Choix du Prince : Jose Maria Lo Monaco et
David Alegret
;
3. Déconcertant ensemble concertant : Alegret, Lo Monaco, Menéndez, Stavinskiy, Jan Stava.
4. Cendrillon couronnée par le chœur et le cœur;
5. Triomphe de la bonté, ballons, baudruches : bulles.
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