LE CORBUSIER/ GILBERT
AMY
ÉMISSION
Enregistrement
2/12/2013, passage, semaine du 16/12/2013
RADIO DIALOGUE
(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE
DE BENITO » N° 106
Lundi : 10h45 et 17h45 ;
samedi : 12h45
(Les exemples musicaux du disque sont évidemment supprimés)
Marseille, Capitale
européenne de la culture 2013 vit ses derniers instants, brille de ses derniers
feux. Je voudrais ici inviter ceux
qui ne l’ont vue, à courir à la dernière grande exposition, la plus originale
et complète à mes yeux, qui demeure encore pour une semaine, Le Corbusier et
la question du brutalisme, LC au J1, Place de
la Joliette, jusqu'au 22 décembre. Le Corbusier, né en Suisse, de son vrai nom Charles-Édouard
Jeanneret-Gris (1887-1965) est connu à Marseille pour sa célèbre
unité d’habitation construite entre 1945 et 1952, mais l’exposition rappelle
qu’il fut non seulement architecte mais aussi homme de lettres, dessinateur,
peintre, sculpteur, théoricien de l’art moderne dans une revue trop peu
représentée, l’Esprit nouveau et, hélas, on oublie qu’il avait des sympathies
fascistes.
Je voudrais également
associer à ce grand architecte un grand compositeur français de notre temps,
Gilbert Amy, dont un disque récent constitué de deux CD, chez Soupir Editions a enregistré ses Litanies pour Ronchamp. Ronchamp, Notre-Dame-du-Haut,
c’est la chapelle moderne, simple, harmonieuse, toute en courbes maternelles,
répondant à celles des vallons, que Le Corbusier, athée mais mystique du
progrès humain, édifia entre 1950 et 1955 en Haute- Saône. Le Corbusier
résumait son dessein : « créer un lieu de silence, de prière, de paix, de joie
intérieure ».
Vu d’en bas, la
chapelle semble un vaisseau de pierre à l’étrave fendant les flots verts de la
prairie qui l’entoure, avec son toit triangulaire comme des ailes ou une voile,
au sommet d’une colline d’où elle semble prête à prendre son envol :
malgré sa masse, par ses proportions réduites, elle semble légère. À
l’intérieur, elle est lumineuse, éclairée de vitraux modernes qui selon
l’heure, teignent selon la course du soleil, de couleurs pures, bleu, rouge,
jaune, vert, l’apparente rudesse du béton cru ou tempèrent d’arc-en-ciels
tendres la noblesse grise du béton.
C’est cela, ce
matériau brut, dans sa pureté, sa dignité naturelle, originelle, béton, bois,
métal, sans l’artifice d’un polissage mondain ou le fard du plâtre poli, et
encore moins du stuc déguisé en faux marbre, que l’on appelle « le
brutalisme ». Le terme prête à confusion et n’est pas de Le Corbusier
lui-même mais d’un critique anglais, pour désigner son esthétique : rendre
aux matériaux leur vérité première qui correspond à son éthique, pour y loger,
lover l’homme rendu quelque peu aussi à la nature même en milieu urbain. A
l’image des architectes mauresques de l’Alhambra de Grenade, qui, loin de clore
et cloisonner, de murer les pièces, ouvraient ce palais sur la nature environnante,
Le Corbusier désirait, par de grandes baies, faire entrer le paysage dans la
demeure, dans l’intimité de l’homme. Nous en avons un modèle exemplaire dans sa
célèbre Cité Radieuse, communément appelée le Corbusier, et non sottement ou
amicalement « Maison du fada » que l’on vient visiter du monde entier, hélas gravement endommagée par un incendie il y a plus d'un an.
Quant à Gilbert Amy,
Né en 1936 à Paris, il est non seulement chef d’orchestre mais compositeur joué
dans le monde entier, couronné de prix prestigieux. Notre première pause
musicale, est un extrait de ses Litanies pour Ronchamp, créées
dans la chapelle même en 2005, 50e anniversaire de sa
création. C’est interprété par l’Ensemble
Solistes XXI, le Quatuor Parisii, les chantres Dominique Vellard et
Emmanuel Virstorky, le percussionniste Abel Billard sous la direction de Rachid
Safir.
Rien qu'à écouter le « Sancta Maria, ora pro nobis », ‘Sainte Marie, priez pour nous…’, on sent, en entend déjà qu'il n'y a pas de solution de continuité entre ces graves notes médiévales qui se déployaient dans la majesté résonante des longues nefs gothiques et le traitement respectueux, affectueux d'un compositeur de notre temps. On sent que la musique contemporaine, par ses
couleurs peut-être insolites pour une oreille profane, retrouve le charme
mystérieux et ancestral de la musique grégorienne et semble nous venir du fond
des âges.
« L’architecture, écrit Le Corbusier, est le jeu
savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière ». Mais c’est quoi, la musique, sinon une architecture sonore, tout comme
l’architecture est une musique muette : une science, un art des
proportions, toutes deux d’origine physique, matérielle l’une, sonore l’autre.
Il n’est pas étonnant que nombre de compositeurs se soient interrogés sur les rapports
entre l’architecture et la musique, comme le Grec Yannis Xenakis (1922-2001) par ailleurs assistant de Le Corbusier.
Tout près de nous, Frédéric Flamand,
le Belge architecte et chorégraphe, directeur du BNM de Marseille, dont on
vient d’apprécier la mise en scène d’Orphée et Eurydice, située dans une cité onirique.
La musique ne se joue pas indifféremment dans des lieux
indifférents : elle est spatialisée, elle sonne différemment selon
l’espace, un plein air ou un lieu clos, et, selon le lieu où vous êtes placé,
près, loin, de face, de côté, vous la recevrez différemment. Les grandes nefs
des cathédrales gothiques, ombrées de résonances profondes, semblent faites
pour la lenteur majestueuse du plain chant, c’est-à-dire, le chant ‘plat comme
une plaine’, peu rythmé, qui s’étale langoureusement dans la longueur pleine et
les lignes droites de ce vaste espace qui s’offre à la prolongation infinie des
voix. Jouez dans ce même lieu un rythme baroque vif et rapide et les échos, les
résonances excessives en font une bouillie sonore déplaisante, alors que cette
musique vive, pleine de contrastes, s’ajuste parfaitement au style rocaille,
aux lignes brisées.
À preuve encore, de Gilbert Lamy, tout inspiré de médiévalisme
grégorien, son « Gaude Maria » dont l’origine ancienne se moule avec bonheur au creux lumineux
et serein de la chapelle moderne de Ronchamp.
Les litanies sont de
longues prières en l'honneur de Dieu, des saints, ou comme ici, de la Vierge.
Ourlées d’ombres médiévales
anciennes, les Litanies pour
Ronchamp, que nous offre le
compositeur Gilbert Amy se présentent comme un pèlerinage d’autrefois dans un
langage musical d’aujourd’hui, qui conduit à cette architecture religieuse sur un site au départ païen, puis chrétien, incendié puis détruit pendant la guerre
et enfin renouvelé par Le Corbusier. Et, de même que cette construction est
faite de matériaux divers dignifiés par une esthétique nouvelle, cette
composition s’édifie, de façon édifiante, sur le dialogue, le duo, le chant
choral entre diverses esthétiques musicales à travers le temps, allant du
plain-chant et de la polyphonie médiévale à la musique d’aujourd’hui, englobant
amoureusement un adagio pour cordes du XV e quatuor à cordes de
Beethoven, mêlant la voix des chantres liturgiques à celle des chanteurs
lyriques des Solistes XXI, alliés
aux percussions et à cette poétique cloche verticale. Sans impression de rupture, sans sacrilège, du privilège de ce mélange fécond naissent de nouveaux échos, de nouvelles
résonances qui, finalement, semblent hors du temps, intemporelles, planant dans
une sorte d’éternité. Tel le « Je vous salue, Marie » qui cite l’Annonciation, annonce Noël, qui déploie un envol lent, émouvant, d'une polyphonie d'aujourd'hui dont les lignes de fuites se fondent à la polyphonie d'autrefois, actualisée, éternisée dans notre aujourd'hui.
Photos Benito Pelegrín
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