mardi, septembre 24, 2013

Daniel Barenboim et le West-Eastern Divan Orchestra


FESTIVAL DE LA ROQUE D'ANTHÉRON
OPÉRA DE MARSEILLE
Daniel Barenboim et le West-Eastern Divan Orchestra

L’été a filé en pente douce, les festivals éteignent encore ou ont éteint leurs feux mais il nous en reste des souvenirs lumineux. Ainsi, le Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron, intelligemment attelé à Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la culture, s’est heureusement décentralisé chez nous avec quelques concerts remarquables à la Criée, et une exceptionnelle Production et coréalisation à l’Opéra, le 23 août, pour un concert symphonique du West-Eastern Divan Orchestra sous la direction de son fondateur Daniel Barenboim.
Daniel Barenboim
Daniel Barenboim, né en Argentine, est l’un des plus prestigieux chefs d’orchestre de notre temps et, par ailleurs, un très grand pianiste. On osera le mot : à lui seul, c’est un mythe.
Si la musique est universelle, on peut dire que Barenboim l’est aussi, tant par l’universalité de ses goûts musicaux qu’il a servi de Bach à Boulez, de la musique baroque donc à la musique contemporaine, en passant par la romantique et l’opéra. Dans chaque domaine qu’il a touché comme chef d’orchestre ou pianiste, dirigeant souvent du piano (et de mémoire !), il a laissé des enregistrements qui font date, salués unanimement par la musique. Il est impossible de tout citer : un seul exemple, en 1965, il grave, en dirigeant du piano, l'intégrale des concertos de Mozart, une somme que certains critiques considèrent aujourd'hui encore comme la plus belle jamais enregistrée. Mais il interprète aussi l’intégrale des concertos de Beethoven, dirige pendant vingt ans Wagner dans le sanctuaire de Bayreuth. Et, en bon Argentin, il ne dédaigne pas le tango, dont il a dirigé un mémorable concert de Nouvel An à Buenos Aires, diffusé, télévisé dans le monde entier. Mais ce citoyen universel de la musique semble l’être dans son aspiration à l’être du monde : en effet, né argentin, il a aussi les nationalités israélienne et espagnole et, depuis peu, palestinienne. Il parle naturellement l’espagnol, un français parfait, l’hébreu, l’allemand, l’anglais, et on peut imaginer l’italien puisqu’il a longtemps dirigé les destinées de célèbres orchestres et maisons d’Opéra de ces nations-là, dont la Scala de Milan depuis 2011. En 2006, il est lauréat du prestigieux Prix Ernst von Siemens considéré comme le « Nobel de la musique ». Il croule sous les distinctions les plus glorieuses ; en France, en 2007, il a été fait Commandeur de la Légion d’honneur pour son engagement pour la paix au Proche-Orient par Jacques Chirac et a reçu de Nicolas Sarkozy les insignes de Grand Officier de la Légion d'Honneur en février 2011.
D’une famille de musiciens juifs d’origine russe ayant fui à temps la barbarie nazie, il naît à Buenos Aires en 1942 et prend ses premières leçons de piano auprès de sa mère à l’âge de cinq ans. il étudie plus tard avec son père, son seul et unique professeur de piano. A sept ans, il donne son premier concert en public dans la capitale argentine et fait ses débuts sur la scène internationale à dix ans à Vienne, Rome, Paris et continue sur sa juvénile lancée en 1955, à Londres puis 1956 et à New York en 1957.
Comme chef d’orchestre, il débute à vingt-cinq ans en 1967 à Londres avec le Philharmonia Orchestra, et depuis, il parcourt le monde régulièrement invité pour diriger les orchestres les plus fameux. Il a été chef principal de l’Orchestre de Paris entre 1975 et 1989, directeur musical de l’Orchestre Symphonique de Chicago de 1991 à 2006. Depuis 1992, Daniel Barenboim est le directeur musical du célèbre Staatsoper de Berlin et, depuis l’an 2000, chef principal à vie de la Staatskapelle de la même ville.

West-Eastern Divan Orchestra
1999 :Weimar est, comme Marseille aujourd’hui, Capitale Européenne de la Culture. On lui demande, à cette occasion, d’en faire le programme musical autour de l’idée contrastée, affrontée, de la lumière et des ombres de l’Allemagne : Weimar est la ville du lumineux et humaniste, poète, romancier et dramaturge Goethe mais, tout près, il y a le sombre camp de Buchenwald de sinistre mémoire.
Avec son ami Edward Saïd, théoricien littéraire d’origine palestinienne aujourd’hui disparu, il décide, de créer le West-Eastern Divan Orchestra, qui prend le nom anglicisé du dernier grand recueil du poète, West-östlicher Divan (1816), série de poèmes d’inspiration persane, dans une volonté d’unir harmonieusement l’Orient et l’Occident. Qui dit harmonie, dit musique : Barenboim envisage de sélectionner douze ou quinze jeunes musiciens israéliens et palestiniens et lance, un peu sceptique, un appel à candidature : plus de deux-cents instrumentistes seront candidats, de pays arabes et d’Israël! Désormais, l’orchestre compte 40% de musiciens du monde arabe, 40% d’israéliens et 20% d’Andalous puisque son siège est symboliquement à Séville, dans cet ancien Al-andalus qui vit la coexistence pacifique, au Moyen-Âge des trois cultures du Livre, chrétienne, musulmane et juive qui se combattent tant aujourd’hui.
Barenboim se défend de faire un acte politique avec cet orchestre : il ne prétend que former à la paix, à l’harmonie de la musique, des jeunes dont les pays sont en guerre, perpétuellement affrontés, en les faisant entrer dans cette grande famille musicale, dans cette sorte d'idéale république sans exclusive, leur apprenant à s’écouter l’un l’autre, obligation de la musique, de l’orchestre, à vivre ensemble, malgré les différences de culture, de politique, de religion. Les jeunes musiciens qui participent à la conférence de presse précédant le concert qu’il a donnée le 22 août à Marseille conviennent tous qu’ils ont changé grâce à cette expérience communautaire et musicale : ils ont appris à se connaître, à s'apprécier, à s'aimer malgré les frontières de la haine tracées par la la politique et la religion qui se renient elles-mêmes en dressant les hommes les uns contre les autres alors qu'elles ont vocation originelle à les faire vivre ensemble en paix.
De la sorte, le West-Eastern Divan Orchestra, désormais reconnu et invité dans le monde entier, prouve que, même si elle ne peut suffire à la paix dans le conflit israélo-palestinien, la musique peut abattre des barrières et créer des ponts pour encourager les peuples à s’écouter, espérant qu’ils s’entendent.
Le mémorable et vibrant concert de Marseille, après celui de la Roque d'Anthéron la veille consacré à Wagner, avait au programme, en première partie, des ouvertures d'opéras de Verdi, dont celle de Traviata, allégée des quelques effets un peu ronflants de flonflons, donnait à elle seule la mesure de la profondeur et de la finesse de l'interprétation. Aux acclamations finales du public réclamant des bis, avec une alacrité et un enthousiasme débordants, Barenboim offrait le prélude de l'acte IV de Carmen de Bizet, le célèbre polo inspiré de Manuel García, puis, remontant l'œuvre en son entier, c'était celui de l'acte III avec sa poétique flûte, puis celui de l'acte II et, enfin, dernier bis généreux, c'était l'ouverture entière de l'opéra qu'il offrait à un public délirant de bonheur. Mais, le cœur du concert, c'était La Symphonie fantastique de Berlioz qu'il a ar ailleurs magistralement enregistrée sur le vif à l’Albert Hall de Londres lors des fameuses et populaires Proms de 2009, ces Promenade Concerts, présentées par la BBC durant une saison estivale de huit semaines chaque année.
Écrite en deux mois (février-mars 1830), la Symphonie fantastique de Berlioz (1803-1869) est pratiquement une œuvre de jeunesse, en tous cas exprime la passion romantique, rocambolesque et juvénile du compositeur pour la belle actrice irlandaise Harriet Smithson qui l’avait enflammé en 1828 en jouant dans Hamlet de Shakespeare. Il lui fera une cour assidue mais vaine durant cinq ans avant de la séduire justement par cette œuvre ardente. Même si leur mariage fut un échec, encore que Berlioz resta sentimentalement fidèle à la femme aimée jusqu’au bout, cette œuvre semble brûler de cette sève amoureuse généreuse, bouillonnante et exaltée.
La symphonie, sous titrée « Épisode de la vie d'un artiste », est une explicite musique à programme, progressant de la rêverie à la passion, de la promenade aux champs à la consécration amoureuse dans la légèreté onirique d’un bal, jusqu’aux ironiques tourments d’une marche au supplice et même du cauchemar d’une nuit de sabbat. Et, ce disque, malgré ou à cause d’une captation en direct, ses inconvénients techniques mais ses mérites vivants de musique libre et non en boîte, on a le sentiment exaltant que, si ces jeunes musiciens se sont pliés à la direction de leur grand aîné qui connaît toutes les ficelles et les pièges de la musique romantique, le chef, à son tour, s’est mis au diapason de leur jeunesse pour nous livrer une interprétation sans une ride, tonique, juvénile, bref, passionnément berliozienne de cette symphonie.


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