Portrait de Marie-Ange TODOROVITCH
Extrait de l'émission
"Le Blog-note de Benito"
Enregistrement 4/2/2013, passage, semaine du 11/2/2013
RADIO DIALOGUE (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ;
Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N°77
Lundi :
12h45 et 18h45 ; samedi : 12h30 et lundi 18 février
L’Opéra
de Marseille, dans sa programmation Capitale européenne de la culture 2013,
dans son thème méditerranéen, a proposé Elektra de Richard Strauss, d’après la tragédie antique. Nous en reparlerons. La distribution nous a donné encore la chance et le
bonheur de retrouver la mezzo-soprano Marie-Ange Todorovitch, habituée des
scènes internationales mais qui est, chez nous, chez elle.
En
effet, nous l’avons entendue ici, aimée, admirée, dans des emplois aussi divers
que l’éventail si large de son répertoire qui va du bel canto baroque ou
romantique à Mozart en passant par Wagner, l’opéra français du XIXe
siècle et la musique de notre temps, dont témoignent nombre de disques. En
effet, elle a participé aux créations de Verlaine Paul de notre concitoyen Georges Bœuf à Nancy, de L’Amour de
loin de Kaija Saariaho, livret d’Amin Malouf, créé
en 2000 à Salzbourg, puis au Châtelet. L’enregistrement discographique avec le
Deutsches Sinfonieorchester de Berlin sous la direction de Kent Nagano pour
Harmonia Mundi a été récompensé d’un Grammy Award en 2011. Marie-Ange
Todorovitch participe également aux créations de : Clara d’Hans Cefors à l’Opéra Comique, et Welcome to the voice de Steve Nieve aux côtés de Sting et d’Elvis Costello au
Théâtre du Châtelet. Tout son immense répertoire, elle l’a servi sur les plus
grandes scènes internationales et sous la baguette des plus grands chefs
d’orchestre.
À
Marseille, en 2007, elle fut l’inénarrable et hilarante Madame Alexandra de la
Colombe de Damase, rôle écrasant que cette parfaite musicienne,
pianiste et organiste, apprit en quelques jours pour remplacer, au pied levé et
défi relevé, Felicity Lott malade, donnant l’impression que ce rôle, si vite
intégré, avait été écrit pour elle. L’année d’après, en 2008, elle incarnait,
avec la même aisance, passant de la comédie à la tragédie, dans le Giulio
Cesare de Händel, une impériale Cornélie en deuil, au noble phrasé. En 2009, c’est
avec le même sens dramatique qu’elle est la sorcière Taven de la Mireille de Gounod, figure émouvante de la Fatalité. Un an encore et
nous la retrouvons, dignifiant la reine Gertrude d’Hamlet d’Ambroise Thomas de la sensualité élégante et
raffinée de sa voix et de son physique. Les fêtes de fin d’année nous la
ramènent, comme un cadeau surprise, encore dans un rôle où sa veine et sa verve
comiques se donnent à cœur joie, pour la nôtre : elle est, irrésistible de
drôlerie, la hautaine, altière et fière Madame de la Haltière, la marâtre de la
Cendrillon de Massenet, drapée de
prétention, mégère sinon ménagère non apprivoisée, apprivoisant le mari d’une
voix superbement ronde, menant la ronde du son petit monde, aspirant au grand.
L’an
dernier, alternant toujours rôles dramatiques et comiques comme s’il lui
suffisait de changer simplement de costume, avec la même vraisemblance
théâtrale mais toujours avec le tissu somptueux de sa voix de velours sombre
aux aigus cuivrés et incisifs, Todorovitch est l’élégante, troublante et émouvante
Sansévérina de la mémorable Chartreuse de Parme d’Henri Sauguet retrouvée par Maurice Xiberras et montée
par Renée Auphan. Puis, un mois après, elle retrouve nos planches qu’elle brûle
avec passion dans un emploi de composition comique : elle fut Ragonde,
oronde et faconde donneuse de leçons morales, dans Le Comte Ory de Rossini. En fin
d’année dernière, on vient de l’applaudir, pour les fêtes dans l’Italiana in
Algeri de Rossini, magnifique cadeau de
Noël et du jour de l’an. En effet, cette grande voix sait plier et alléger son
volume pour les vocalises les plus acrobatiques de Rossini qu’elle donne
perlées, détachées par le staccato, avec une précision et une musicalité
admirables. Enfin, la voici de
nouveau dans une prise de rôle diabolique, le rôle de Clytemnestre d’Elektra, épouse adultère et meurtrière d’Agamemnon, où elle sera
assassinée par ses enfants, par son fils Oreste à l’instigation de sa sœur,
avec, pratiquement, un long monologue de vingt minutes de déclamation tragique.
Le fameux Festival de Glyndebourne la voit en mutine Dorabella et aussi en espiègle Chérubin. Rôle
travesti habituel aux chanteuses de sa tessiture de mezzo et à la couleur et
rondeur de sa voix et, sur les plus grandes scènes, elle a été, toujours avec
le même bonheur Isolier dans le Comte Ory
de Rossini, Octavian dans Le Chevalier à la rose de Richard Strauss, Urbain aux acrobatiques vocalises des Huguenots de Meyerbeer, Nicklausse des Contes d’Hoffmann d’Offenbach.
Pourtant, endossant ces rôles de garçons de la convention lyrique, Marie-Ange Todorovitch est la féminité même, une splendide incarnation de la
femme. Marie-Ange… Un prénom marial,
céleste et angélique pour une beauté du diable, dirais-je. Une crinière noire
pour un visage racé, typé, aux traits et aux yeux d’une intensité slave,
tzigane, gitane, une allure sculpturale qui la prédestine aux grands rôles
féminins : l’idéal pour Carmen, Dalila, la Belle Hélène, Dorabella,
Isabella, et autres séductrices fatales, voluptueuses, ou ironiques et badines
qu’elle a fait siens. Et, cette cantatrice superbe, au sommet de son art et
dans la splendeur de sa maturité de femme, me faisait, en 2010, un aveu
étonnant, détonant : elle avait hâte de vieillir pour jouer les vieilles
femmes et les rôles de composition !
Avec
lucidité, elle envisage sereinement son retrait de la scène : ce ne n’est
pas elle qui abandonne les rôles, me confie-t-elle, ce sont les rôles qui
l’abandonnent non pas par crainte, car elle est au sommet de sa technique, de
son métier, de son expérience, mais intérieurement : elle sent la
nécessité de laisser la place aux jeunes. Nous vivons une époque au jeunisme
ravageur imposé par le cinéma, la télé, et l’opéra consomme et consume vite des
jeunes chanteurs sacrifiés au culte de l’image, les laissant plus vite mourir
que mûrir dans leur art. Mais Marie-Ange sent aussi le besoin de passer son
expérience, d’enseigner, de passer le relais à cette nouvelle génération.
Et
aussi, chez cette grande artiste, la lassitude parfois de la vie d’ascèse et de
solitude du chanteur courant de scène en scène, d’hôtel en hôtel, au détriment
de la vie de famille avec ses deux fils. Elle, qui met de la vie dans son art,
met aussi de l’art dans sa vie : un art de vivre, de savoir vivre dans
l’intimité, dans la chaleur d’un foyer, dans la douceur du partage d’un bon
repas, devant un feu de bois, en famille, avec des amis.
Photos portraits : Raphaëlle Duroselle
Photos portraits : Raphaëlle Duroselle
QUELQUES DISQUES
Son enregistrement discographique de l’Amour de Loin avec le Deutsches Sinfonieorchester
Berlin sous la direction de Kent Nagano pour Harmonia Mundi a été récompensé d’un
Grammy Award dans la catégorie « meilleur enregistrement de l’année en 2011».
Elle a enregistré chez Emi Classics (Roméo et Juliette,
Djamileh, Don Quichotte) ;
Naxos (La Damnation de Faust, Le Roi David), Deutsche Grammophon (Le Comte Ory), Virgin Classics (La Belle Hélène), etc.
Parmi ses futurs
engagements : Le Vaisseau fantôme aux Chorégies d’Orange, été 2013.
FLORILÈGE DE CRITIQUES DANS CE BLOG
Colombe, 5 février 2007
« Marie-Ange Todorovitch qui accomplit le prodige d’apprendre le rôle écrasant de Madame chérie
en rien de temps pour remplacer Felicity Lott malade, est prodigieuse de
drôlerie, de vacherie, Sarah Bernhardt, la Duse et la Diva à la fois, et
elle-même toujours : grandiose. »
Giulio Cesare, Marseille, 6 février 2008
« Pour deux seuls « baroqueux » (d’Oustrac et Dumaux), six
prises de rôles, des réussites. Si Jane Archibald, belle, aguicheuse,
provocante, caquette, coquette, cocotante, brodant et enfilant en virtuose les
vocalises voluptueuses comme des perles, émouvante dans ses lamentations, est
une Cléopâtre royale, Marie-Ange Todorovitch, est impériale en Cornélie en robe rouge puis de
deuil, noble phrasé, dignité de la ligne et de la douleur, plénitude et rondeur
de la voix : elle rend crédible l’amour brouillon et immédiat, impatient, de
ses trois amants. Blottie comme un enfant dans le fauteuil club, s’y dressant
comme une juvénile statue de la vengeance, visage convulsé, regard halluciné,
affûtant ses aigus comme des lames, émettant des graves brûlants comme une lave
révoltée dans ses airs de fureur, Stéphanie d’Oustrac, frémissante, délirante,
fait vivre le jeune Sextus avec une rare intensité tragique. »
Mireille, Marseille, 1 juin 2009
« Auprès d’eux, vraie confidente de leurs tragiques amours,
superbe mezzo sombre et cuivré, égal en volume sur toute sa tessiture, Marie-Ange
Todorovitch, qui pourrait chanter
des héroïnes dans la splendeur de l’âge, joue la sorcière Taven avec un
engagement théâtral et musical plein de charme malgré le déguisement qui la
vieillit. Conseils, prédictions, imprécations, elle fait de ce rôle une sombre,
tendre et grandiose figure de la Fatalité. »
Cendrillon, Marseille, 2 janvier 2010
« La Cendrillon de Julie Boulianne, mezzo, est douce, sensible,
expressive dans sa grisaille de mélancolie, au vibrato joliment perlé et
Frédéric Antoun est un Prince aussi charmant par le physique que par la voix.
Si les deux sœurs (Julie Mossay et Diane Axentii) ne sont que les échos
cocasses de la mère dans d’amusants ensembles, en hautaine, altière, fière
Madame de la Haltière, Marie-Ange Todorovitch drapée dans sa
prétention, enturbannée, enchapeautée d’une vaste capeline, lunettes d’écaille
pointues, en caille encanaillant ses filles pour décrocher le gros lot du
mariage princier, d’une voix superbement ronde, mène la ronde de la mégère
sinon ménagère non apprivoisée, apprivoisant le mari, inénarrable
d’irrésistible drôlerie. »
Hamlet, 16 juin 2010
« Gertrude et Claudius, le couple criminel, sont si beaux qu’on
a presque envie qu’ils jouissent du bonheur et de leur palpable volupté dans le
crime : leurs étreintes ne trompent pas sur les raisons érotiques de leur
complicité. Marie-Ange Todorovitch,
sensuelle, voix de feu mal contenu, tissu charnel somptueux du grave et du
médium, accepte de malmener ses aigus dans les déchirures du remords, objet
presque sexuel de la brutalité sadique du fils révolté dans une scène
dramatique très réussie. Nicolas Cavallier, superbe basse, est un amant,
élégant, d’une souplesse perverse et insinuante, sûr de la force du désir qu’il
exerce sur sa maîtresse, mais d’une belle grandeur abattue dans l’aveu du
crime. Planant et pesant sur eux comme l’épée de Damoclès du remords, Patrick Bolleire, immense, a
la voix froide et sépulcrale du spectre. »
Rigoletto, Orange, 30 juillet 2011
« Le Sparafucile de
Mikhaïl Petrenko sait mettre, dans sa voix profonde et égale de basse, la
froideur tranchante de la lame du spadassin, assassin à gages. En Maddalena, sa
sœur complice, Marie-Ange Todorovitch a tout l’abattage, la sensualité qu’on lui connaît mais instille aussi
l’humanité velouté de son mezzo. »
La Chartreuse de
Parme, 10 février 2012
« La sensibilité, c’est la finesse des rapports entre les
personnages, leur justesse et ces intelligents contrechamps où, durant les
longs monologues de l’un, l’autre continue d’exister par un jeu délicat qui ne
parasite pas la longue tirade de l’autre. Remarquables trouvailles de symétries
significatives : au lieu d’être dans l’ombre du jardin et de la fête, Clélia
apparaît d’abord à une fenêtre, spectatrice distante d’un monde qui n’est pas
le sien, d’où lui arrivent les flèches des médisances sur le libertinage de
Fabrice, et, sans doute sa liaison avec Gina. Mosca ensuite à la même fenêtre
(sans jalousies mais avec elle), c’est la découverte douloureuse de cet amour,
la contagion du doute. Pareillement, dans l’avant-dernière scène, sur fond d’un
ciel rosé qui joue les tableaux italiens, Fabrice, mollement abandonné, semble
servi, sur canapé : c’est Chéri cher à Colette, c’est l’homme objet offert à la
dévotion ou dévoration de la Sansévérina, plus amante que tante aimante,
penchée amoureusement sur lui, et, le jeune homme enfui, quand c’est elle qui
s’y abandonne avec une langueur désespérée sur ce vide du corps désiré, c’est
elle qui s’offre à Mosca éperdu à ses pieds. » […]
« Gina, duchesse Sansévérina, avec Marie-Ange Todorovitch a la beauté épanouie de la femme dans sa splendeur,
d’autant plus troublante, et émouvante dans sa maturité lucide qu’elle sait que l’apogée de son âge rime
avec proche ravage : d’autant plus déchirée par l’amour et la jalousie face à
la jeunesse rayonnante du jeune couple. Dès la première scène, le beau réflexe
de se pomponner, en fait une Maréchale interrogeant son miroir sinon le regard
de son Fabrice, son sigisbée ou chevalier servant avec plus d’épines que de
roses. Sa voix pleine, sensuelle, chaude, est prometteuse de profondes
voluptés. Avec un noble panache et élégance, elle porte haut et beau le
scandale qu’on colporte petitement à voix basse sur elle. La passion que lui
voue l’élégant et racé Mosca de Nicolas Cavallier, au noble phrasé, est bien
compréhensible, comme l’on peut comprendre sans grand scandale que cette si
belle tante, si tentante, ait pu autrefois déniaiser son joli neveu, toujours
attentivement soigneux de la ménager, de ne pas la blesser. »
Le Comte Ory, 25 mars 2012
« Marie-Ange Todorovitch, autrefois Isolier, est aujourd’hui Ragonde, faconde en morales leçons,
dont la sensuelle rondeur de la voix et des formes dément la sèche chasteté des
propos, tourière pleine d’atours, gardienne de la forteresse et de la morale,
ceinte de clés immenses de l’enceinte comme vaste ceinture de chasteté, dont on
attendrait plus d’un tour dans son sac. »
Dans L'italiana in Algeri à Marseille, photo Christian Dresse.
Dans L'italiana in Algeri à Marseille, photo Christian Dresse.
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