XVIIe FESTIVAL DES MUSIQUES SACRÉES (2)
(11 mai
-7 juin 2012)
Le XVIIe Festival des Musiques sacrées a clos ses portes.
Il commençait par le Stabat mater
de Rossini avec le fameux chef Nader Abbassi qui dirigeait l’Orchestre et le chœur de l’Opéra de
Marseille avec un quatuor de grands chanteurs internationaux.
le Stabat mater prend
son nom du début du célèbre poème médiéval de Jacopone da Todi :
« Stabat mater dolorosa juxta crucem dum pendebat fillius… » (‘la
mère douloureuse était près de la Croix d’où pendait le fils »…’). Scène
terrible et universellement douloureuse de la mère qui voit son fils supplicié.
Ce poème s’est imposée avec force dans les musiques sacrées. Pergolèse, en 1736
en donna une version devenue célèbre où, des passages dramatiques et les
méditations qui les suivent alternent avec d’autres qui semblent presque issus
de l’opera buffa dont il fut
aussi le modèle. Celui de Rossini (1832/1841) ne déroge pas à cette tradition
italienne humaine et sensible mais qui n’en oublie jamais une vocalité toute
opératique. Ainsi, après un début grave et grandiose, bouleversant, des effets
dramatiques de dissonances douloureuses, il y a aussi de vrais morceaux de
bravoure pour la voix avec passages
acrobatiques d’agilité, et cette fameuse décomposition syllabique, ici
expression de la douleur (« dum//pen//de//bat… »), dont il saura
faire veine comique dans ses opéras-bouffe.
Cependant, cette même œuvre je l’évoquerai non dans la superbe
exécution du Festival mais par une plus modeste mais non moins réussie
interprétation donnée par un jeune ensemble marseillais le 16 mai dans le
temple de la rue Grignan qui est devenu un lieu habité aussi par la musique.
C’est l’Ensemble Sull’ aria, au
joli souvenir mozartien des Noces de Figaro (« Arietta sull’aria »), un chœur
d’amateurs d’horizons divers avec quelques solistes largement frottés au
professionnalisme. Le chef Pierre-Emmanuel Clair, encore en classe de direction avec Roland
Hayrabédian et toujours étudiant, en a hérité la précision minutieuse, le sens
délicat des nuances et de la dynamique, un goût sûr : rigueur et
souplesse, finesse et géométrie. Il faut saluer la cohésion, l’engagement musical
des choristes dans une œuvre souvent complexe dans sa polyphonie, sans compter
les passages a cappella qui laissent à nu des dissonances délicates. Les
talents des solistes étaient en général à une belle hauteur. Christophe
Roche était gêné par une tessiture
trop tendue pour sa grande voix de fort ténor et tendait peut-être à compenser
le trac par un excès de son, brouillant parfois rythme et agilité. La soprano Catherine
Bocci-Dragon déployait l’éclat de
son timbre brillant à l’aise dans sa partie et la mezzo Cécile Meltzer, aux belles couleurs, agile et ductile, manifestait
beaucoup de connivence musicale et dramatique avec la basse profonde Yves
Bergé, précis et nuancé, tandis que l’autre basse, Guillaume Baralis, devrait davantage abandonner sa voix, timbre très
sombre au beau velours. Une réussite qui doit beaucoup aussi au pianiste Marcus
Maitrot, attentif accompagnateur,
qui nous avait d’abord régalés avec le Prélude et fugue de Bach.
Pour en revenir au Festival des Musiques sacrées cher à Madame
Jeannine Imbert, il faut en
rappeler quelques moments particuliers parmi cette riche et belle programmation
due à Maurice Xiberras, Directeur de l’Opéra de Marseille.
On aura goûté l’original concert par le Richard Galliano sextet
Bach qui a joué Bach à l’accordéon
auréolé de cordes, deux violons, un alto, un violoncelle et une contrebasse de
l’aigu au grave des registres. Les habitudes culturelles sont telles que l’on
est d’abord surpris par le son de cet instrument que l’on cantonne par paresse
aux bals musette. Mais il suffit que Galliano écarte ses bras, ouvre l’éventail
de son instrument qu’il presse, compresse, déploie et resserre sur son cœur,
telle une chenille puis papillon déployé. Il caresse de la prestesse de
prestidigitateur de ses doigts le clavier nacré et l’on reste ébahi par la
beauté de ce timbre diapré, de cette poussière musicale des harmoniques irisées
comme un arc-en-ciel sonore au-dessus de l’instrumentiste, auréolé de la
poussière musicale moirée des cordes. C’est un instrument riche et profond, qui
ne sert qu’une chose : la musique. D’ailleurs, Bach avait écrit son Clavier
bien tempéré pour tout instrument à
clavier quel qu’il soit, de l’épinette au clavecin, de l’orgue aux premiers
pianos forte, donc, il n’aurait pas exclu l’accordéon s’il l’avait connu.
L’accordéon n’est plus « le piano du pauvre », un petit orgue
portatif modeste, mais un instrument chantant, rutilant ou rugissant, qui a
dans son timbre les larges possibilités instrumentales de l’orchestre, passant
du son de la flûte à des sons de cuivre doré. La soirée se terminait par un
hommage festif de Galliano à Claude Nougaro.
Si ce programme n’était pas exactement de la « musique
sacrée » mais, plutôt, consacrée, bien que Bach soit probablement l’un des
plus grands compositeurs de ce genre de musique, pour la clôture, le sacré fut
superbement de retour.
Mémorable concert avec l’Orchestre philharmonique de Marseille
conduit par Claire Gibault et, en
complice récitant, le comédien Robin Renucci d’une souveraine simplicité. Après une première
partie contemporaine avec les compositeurs Arvo Pärt et Benjamin Britten, le
couronnement en fut, de Joseph Haydn (1732-1809), ses magnifiques Sept
dernières paroles du Christ en Croix
(1786).
On n’eut pas droit à ces brèves et bouleversantes paroles de Jésus
crucifié dont la terrible première, traversée par le doute : « Éli,
Éli, lema sabachtani? »,
c'est-à-dire, « Seigneur, Seigneur, pourquoi m’as-tu
abandonné ? » Pour justifier la présence d’un récitant tel que
Robin Renucci, à la place des brèves
premières paroles du Christ, des textes très graves et très méditatifs de Charles
Julien. En voici des extraits, des
éclats cueillis au vol qui semblent adressés à chacun d’entre nous :
« la vie se refuse à qui prétend la forcer », « tu mesures
ta solitude… », « désespérant de vivre… », « laisse-toi
couler… », avec « le courage de demeurer enfoui, l’instant où tu
lâches prise, l’instant où tu t’abandonnes, où tu glisses dans la mort »,
« cette mort qui me fait tant aimer la vie. »
Renucci est fervent,
pénétré, il sourit, détaille avec clarté les mots avec une rayonnante humanité
et humilité. C’est coulé, glissé entre les parties de la musique de Haydn dans
laquelle les gestes amples de Claire Gibault semblent baigner, ouvrant ses bras en offrande,
recevant et dispensant la musique entre ses mains d’envol de colombes, penchée
humblement vers tel instrumentiste comme pour lui souffler ou en faire émaner
une nuance.
Auparavant, la beauté délicate des Lacrymæ de
Benjamin Britten (1913-1976). Subtiles et arachnéennes variations
rétrospectives d’une chanson de John Dowland (1950) et Flow my tears, le thème n’apparaissant qu’à la fin. C’était
l’occasion pour l’altiste Arnaud Thorette, de déployer toute la palette d’une technique raffinée toute au service
de l’expression. Sur un nappage, un tremblement, un léger vibrato, des
frémissements de cordes pincées de pizzicati doux, la virtuosité volubile
s’élève de l’alto déchirant, gémissant comme des larmes perlées. Aucun
grossissement du chef, retenue et délicatesse de ce chant de désolation et
d’espoir s’évanouissant dans une gamme descendante de lamento tel un sanglot
étouffé de pudeur.
Le concert commençait par où nous terminons, avec une œuvre du
compositeur contemporain Arvo Pärt
né en 1935 en Estonie. Silouans song, de 1991. L’œuvre, avec pour sous-titre « Mon
âme aspire à trouver Dieu », est dédiée à Silouane de l’Athos saint
orthodoxe russe (1866-1938).
Guère orthodoxe sa musique,
d’un mysticisme cosmique échappant aux chapelles musicales et religieuses.
Venue d’ailleurs, dans le temps et l’espace, une phrase flotte,
fumée d’encens ou du rêve, sans contours définis, indéfinie, indéfinissable,
ineffable, doucement présente, apaisante. Des traits lumineux, lents, hachés de
silence, semblent la déconstruire ou construire, l’élever en ascension et Claire
Gibault, de sa main, semble caresser
avec délicatesse cette musique insaisissable, surgie des limbes de la mémoire
ou des confins des rêves, vagues nuées, nuages, nébulosités, brouillard ou
évanescences de brumes en impondérable suspension, en apesanteur : une
respiration trop vive et on craint de la voir s’évanouir telle une immense et
irréelle bulle irisée de savon. Docile à Claire Gibault, toujours plus
persuasive qu’impérieuse, qui dessine et caresse et n’agresse jamais, la
musique revient au silence comme elle est venue, dans l’indéfinition de la
rêverie ou du recueillement de l’âme.
Photos :
1. Pierre-Emmanuel
Clair et B. P. (Photo Stéphane Seban);
2. Richard Galliano ( Photo Service de presse Mairie) ;
3. Robin Renucci (Photo Service de
presse Mairie) ;
4. Saluts de Claire
Gibault et Robin Renucci (Photo Stéphane
Seban);
5. Saluts
de Robin
Renucci Clairee t
Gibault (Photo Stéphane
Seban);
6. Livre de Claire Gibault : voir article dans ce blog mardi 10 mai 2011.
6. Livre de Claire Gibault : voir article dans ce blog mardi 10 mai 2011.
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