17 e FESTIVAL DE MARSEILLE
En plata
24 juin 2012
En plata? ('En argent') Plutôt : En or . Ce sont deux soirées
exceptionnelles par la qualité qu’a pu goûter non seulement le public assis sur
les sièges de l’agréable esplanade Bargemon mais les nombreux badauds debout
simplement en dehors des barrières, aux premiers rangs, ou juste un peu plus
haut sur les gradins accessibles à tous, dans une belle démocratisation du
spectacle. La compagnie Enclave,
dont les interprètes sont issus du Ballet national espagnol, ont proposé, sans
lourdeur pédagogique, une séduisante rétrospective et perspective chronologique
des vraies danses d’Espagne, depuis ce XVIIIe siècle qui fixe en
science chorégraphique la richesse des danses populaires de la péninsule
jusqu’à nos jours.
L’on peut dater de cette époque l’émergence d’une façon originale de
danser « à l’espagnole » comme on disait à l’époque pour l’opposer à
la tradition européenne sophistiquée, notamment française : c’est une
stylisation raffinée de l’essence de la danse hispanique dans sa beauté altière
de la posture (el postín) et le
geste ample et généreux, une noblesse innée dans son allure et figure, corps et
port à l’espagnole, droit sans raideur, cambré mais jamais plié, fier sans
arrogance, une vraie aristocratie populaire.
Torero féminisé
Le vol, l’envol des
capes noires telles des ailes sombres, tournoyantes, fascinantes, réfèrent
justement à ces « embozados » de l’époque, majos enveloppés dans leur cape, capes et grands sombreros chambergos. L’édit de Charles III le Napolitain, en 1766,
voulant en réduire la longueur, provoqua une émeute nationaliste pratiquement
révolutionnaire comme une atteinte au génie national espagnol. Ces capes, comme
des emblèmes tauromachiques, sont aussi, face aux faibles femmes-toros, toute
la fausse et dérisoire mythologie de la soi-disant virilité du torero,
personnage en réalité, de la tête aux pieds, de ses chaussons de danseuse à son
chignon, sa « coleta », significativement sa ‘petite queue’, paré
comme une madone, féminisé, matador
‘tueur’ d’un être vivant d’avance préparé au massacre sans gloire. Sans parler
de son ambiguïté sexuelle réversible : sexe et fesses moulés, pile ou face
pour public ambivalent et pervers. Cela est dit, à bon entendeur salut sans
démonstration appuyée, dans le pas léger de la danse.
Musiques de choix
La matière typiquement espagnole est épurée, sans être édulcorée,
par le vocabulaire de la danse classique, sauts de biche, fouettés, entrechats,
dans un crépitement constant des castagnettes. Les musiques sont tout aussi
intelligemment choisies, alternance de morceaux savants et populaires qui, en
Espagne, se sont toujours nourris l’un l’autre, du clavecin des Folies
d’Espagne des pièces de Soler, à
l’ « Oriental » des Danses espagnoles de Granados, en passant
par une sublime Farruca
pratiquement a cappella, aux joyeux Caracoles madrilènes, à une mélancolique chanson du folklore
mexicain Llorona (‘Pleureuse’), à
thématique baroque que je traduis :
Hier, j’étais merveille,
Llorona,
Aujourd’hui,
Aujourd’hui,
Même pas une ombre ne suis.
Ou exprimant la dignité
stoïque espagnole :
On parle d’indifférence,
Llorona,
Car on ne me voit pleurer :
On peut mourir en silence
Sans une larme verser.
Quand les deux chorégraphes, Antonio Pérez et David Sánchez, non sans avoir démontré leur talent de danseurs
contemporains dans des solos ou pas de deux modernes, se lancèrent dans des
zapateados aisés, de vrai tablao
flamenco, c’est encore une vérité sensible de cette danse, digne, hautaine, où
la difficulté se dissimule sous la désinvolture et non ces spectacles où l’on
voit les danseurs et danseuses acharnés à donner frénétiquement du talon
laidement courbés en deux, tapant sur leurs cuisses, transformant l’art en
exploit plus sportif qu’esthétique, plus gymnique que chorégraphique.
Le flamenco, à quoi certains semblent réduire l’immense variété des
danses espagnoles, n’est qu’une mince part de tout le riche folklore de la
Péninsule ibérique, expression du terroir andalou et non simplement gitan comme
certains l’affirment abusivement (des gitans, manouches, gypsies, romanis,
roms, tsiganes, il y en a partout en Europe et même en Espagne mais le flamenco
n’existe qu’en Andalousie…). Contre le flamenco aujourd’hui vulgarisé, qui n’est
en fait qu’un flamenco vulgaire, Enclave proposa une magnifique et convaincante défense et illustration d’une
vraie essence de la danse espagnole.
Photos Juan Berlanga
Photos Juan Berlanga
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