Benito Pelegrín
RÉCITAL DE MÉLODIES ET CRÉATION
Un brasier d’étoiles
De Lionel Ginoux
Par Cynthia Ranguis, soprano, Marion Liotard, pianiste
Le Parvis des Arts
Ce n’est pas tous les jours que l’on a le privilège d’assister à la création d’un cycle de mélodies. C’est pourtant le cadeau offert au public de Marseille, au Parvis des Arts, par le jeune compositeur marseillais Lionel Ginoux, né en 1978, avec la complicité souriante de la pianiste Marion Liotard et de la soprano Cynthia Ranguis, à la fois interprètes et dédicataires d’Un Brasier d’étoiles. C’est le titre de ces huit mélodies d’Alain Borne (1915-1962, mort dans un accident de voiture comme Camus) mises en musique par Ginoux.
Lionel Ginoux a déjà à son actif un beau bagage musical : des musiques de scène, des pièces pour soliste, chœur, orchestre symphonique, certaines couronnées par des prix (« Défi jeunes 2008 » pour Préface en prose, « Sombres, clairs, Rouges, sélectionnée au Concours de composition de Nice). Son travail lui mérite de nombreuses commandes, dont celle de notre brillant concitoyen Raoul Lay pour son fameux Ensemble Télémaque (Litanies, couleurs de sable, créée en avril à Marseille en 2011 et reprise en septembre à Utrecht) et une autre de l’Orchestre d’Avignon, pour orchestre symphonique et slameurs. Bref, ce jeune homme talentueux, sans renier l’héritage musical classique intemporel, y intègre des apports de la musique de notre temps, de son époque, dont le jazz.
Ici, son cycle de mélodies était mis en regard, en écho, avec de grandes mélodies du répertoire, rien de moins qu’Henri Duparc (1848-1933), longue vie pour mince mais grandiose production, et Claude Debussy (1862-1918). Cette première partie cherchait sans doute moins l’originalité (ces mélodies sont très, ou trop connues) que la filiation : c’était dangereux de mettre ainsi en parallèle une création neuve avec des créateurs géants du passé, au risque de la comparaison entre les maîtres et le disciple proclamé. Mais on saluera l’audace ou l’inconscience, mais surtout la belle honnêteté de ce jeune qui ne cache pas ses sources anciennes et éternelles.
Mais s’il s’exposait, c’était sans doute moins que son interprète vocale, la soprano Cynthia Ranguis, soumise à l’épreuve de grands classiques de la mélodie française à son sommet, et à celle non moins exigeante d’une création qui la sollicitait beaucoup sur toute sa longue tessiture, souvent en force et en aigus tenus à pleine voix. On apprécia en elle cette façon de chanter la mélodie, très vocale, comme l’opéra, de même qu’il conviendrait de chanter souvent l’opéra comme la mélodie. La voix est longue, large, puissante, le grain serré, parfois gênée d’un petit vibrato sur l’aigu et peut-être, ce jour-là, d’un manque de souplesse charmeuse pour des mélodies sensuelles trop dramatisées comme Phydilé. On apprécie sa diction. Elle se coula au mieux dans le poème de Théophile Gautier Au pays où se fait la guerre, mis en mélancolique musique par Duparc, avec des modalités médiévales savoureuses. Les vignettes de Debussy sur les faux poèmes grecs de Pierre Louÿs, Trois chansons de Bilitis, trop confidentielles, convenaient moins à son grave et à l’ampleur dramatique de sa voix.
Elle donna sa mesure en deuxième partie dans la création des mélodies de Ginoux, ce Brasier d’étoiles, sombres harmonies, dissonances, traitement parfois jazzy du piano, violentes vibrations des graves, gros bouillons d’arpèges, trilles obstinés, sur une ligne vocale cantabile parfois hérissée d’aigus comme les crêtes écumeuses d’une mer tourmentée. À part la mélodie 4, « Dis-moi… », d’une délicatesse intimiste, debussyste par la couleur transparente et la ligne simple de la voix et du piano rêveur, et la 6, trouée de silences étranges, l’ensemble est d’une violence qui n’exclut pas la langueur sensuelle parfois mais sonne de façon funèbre comme la 8, au long ambitus vocal, tragique (« J’ai vécu sans amour comme vivent les pierres… »)
Ainsi, comparée aux grands devanciers revendiqués, cette musique est contemporaine puisque d’aujourd’hui. Moderne ? le concept n’a guère de sens depuis que l’on sait que le progrès humain et artistique en ligne continue est un mythe généreux des Lumières. Aujourd’hui, on l'admet, il n’y a plus d’avant-gardes, qui étaient par ailleurs toujours dépassées : l’artiste post-moderne prend son bien où il le trouve (comme ce fut toujours le cas d’ailleurs), mais dans la conscience ironique de la vanité du prétendu progrès en art. Est contemporain ce qui m’intéresse, que ce soit des grottes de Lascaux à une création futuriste d’hier.
Pianiste maître de chant au CNIPAL (Centre National d’Insertion Professionnelle d’Artistes Lyriques), la pianiste Marion Liotard, rompue à la subtilité de l’accompagnement, était comme un poisson dans l’eau du début à la fin : du scintillement argentin ou ruissellement à l’infini, d’une rare délicatesse de touche dans l’Invitation au voyage au Brasier d’étoiles et ses fulgurances ombreuses, orageuses, capitaine faisant dérouler et déferler les flots presque wagnériens, orchestraux de ce piano de Ginoux, conçu à sa mesure et au large éventail de son talent.
Récital de mélodies : Duparc, Debussy, Ginoux.
Cynthia Ranguis, soprano, Marion Liotard, pianiste.
Marseille,
La Parvis des Arts, 26 novembre.
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