vendredi, octobre 28, 2011

SOIRÉE LISZT


MARSEILLE CONCERTS
Soirée Liszt, Lamartine, Pétrarque
Pascal Amoyel, piano,
Pauline Courtin, soprano,
Brigitte Fossey, récitante
Marseille, Théâtre du Gymnase, 24 octobre 11

Les soirées aux programmes raffinés de Marseille Concerts sont dignes d’un meilleur sort. Le lundi serait-il un jour maudit pour les spectacles ou bien les Marseillais se reposent-ils du repos du dimanche ? Un théâtre pas assez plein pour un spectacle de la plus haute qualité musicale et poétique, sous le facteur commun de Liszt, servi magnifiquement, dans des registres divers mais unis par la ferveur, par le pianiste Pascal Amoyel, et deux femmes artistes en harmonie de sourire, la soprano Pauline Courtin et l’actrice Brigitte Fossey, en récitante inspirée.
Poèmes récités, chantés, alternaient avec les temps forte et piani du piano dans une suite bien construite que l’on doit ici,malheureusement déconstruire pour en parler spécifiquement.
Victoire de la Musique 2005, Grand Prix du disque Frédéric Chopin 2010, Amoyel brille également dans Liszt et en fit une démonstration sans ostentation dans ces extraits des Harmonies poétiques et religieuses (1834-1852) ,inspirées du recueil éponyme de Lamartine dont le compositeur ne retint que quatre des poèmes de l’ensemble dont il emprunte le titre. Son «Invocation », traversée d’éclairs, de fracas de tonnerre allusifs au texte, alliait la ferveur à une douceur qui auréolait une douleur méditative. La «Bénédiction de Dieu dans la solitude » est un sommet : sur le chant de la main gauche, la main droite, en arpèges de harpe céleste, sonnait, dans l’acoustique délicate et précise du Gymnase, telle une égale pluie bienheureuse d’un paisible ciel humain. Les « Funérailles », au contraire, obscurcies d’un ciel distant et cruel, martelait un glas dissonant qui répondait à la discordance entre foi et révolte du terrible poème « Gethsémani », l’enfant mort entre les bras d’un père ou d’une mater dolorosa, dont la récitation sensible et dramatique par Brigitte Fossey venait de nous serrer la gorge. Inévitable « Andante lagrimoso » trop mouillé de larmes sans doute, qui débouchera sur le final « Cantique d’amour » où Amoyel déploie force et délicatesse, somptuosité du son et finesse impalpable de piani fondus doucement dans le silence.
Efficace partenaire accompagnateur, le pianiste dialoguait avec la voix de rossignol de la soprano Pauline Courtin dont on aurait aimé entendre plus que quatre mélodies, trop séparées de plus dans le temps, ce qui ne laisse guère à la voix celui de se chauffer, de s’installer. La première, « Enfant, si j’étais roi », tirée du recueil Feuilles d’automne (1831) de Victor Hugo, est un chant d’amour bien convenu, au rythme galopant, mais dont la tessiture sans doute un peu basse, hérissée de sauts vers l’aigu un peu factices, ne parut pas trop convenir à la cantatrice. On la retrouva mieux dans « Oh, quand je dors… », extrait de Les rayons et les ombres (1840) du même Hugo, évocation et annonce de Pétrarque et Laure des fameux sonnets, poème qui ne survit que grâce à la grâce exquise dont Lizst, s’y incarnant poétiquement en pensant à Marie d’Agoult et lui, dote ce banal madrigal : atmosphère onirique, chatoiements harmoniques, grandes courbes de la voix et fondus de rêve. Sur un poème, cette fois-ci, de Heine, le lied Die Lorelei (1841-1856) est plutôt une grande scène lyrique dramatique et ici, Pauline Courtin, toute joliesse et délicatesse, se montra grande actrice, faisant vivre intensément, en allemand, par sa voix et son visage, chaque inflexion du texte, de la mélodie de cette belle et fascinante sirène du Rhin. Le Sonnet 104 met en musique celui célèbre de Pétrarque, « Pace non trovo… », ‘Je ne trouve pas de paix…’ Il fut l’occasion, pour Courtin, de démontrer encore ses dons d’interprète autant vocale que dramatique, avec une idéale rondeur de la voix et un vibrato moelleux ravissant, un aigu extatique sur « Laura », en belle harmonie avec sa personne.

Brigitte Fossey nous était connue comme grande actrice depuis ses merveilleux et enfantins débuts et nous l’ignorions comme, disons, récitante. Terme impropre tant sa récitation des poèmes, toute de naturel, conquête de l’art, sonnait comme l’évidence audible, qui se voit et s’entend, d’une grande artiste qui ne faisait que changer de registre avec le même charme (ne disons pas non plus le lourd « charisme »), la même immédiate séduction sans désir appuyé de séduire. Souriante blondeur des traits et du regard bleu, veste d’azur céleste, elle entre dans Lamartine et nous y fait entrer si bien que l’on en oublie nos préventions contre ces poèmes, pas toujours poésie, pauvres en métaphores, mais que sa grâce éclaire et justifie dans des ambiances pastels et des évanescences d’alexandrins associés à des octosyllabes légers. Elle brûle de passion dans le célèbre sonnet de Louise Labé, la Belle cordelière (1524 – 1566), de veine pétrarquiste. Elle intègre à son jeu, sans paraître jouer, sa chaise, le rideau, le pianiste, la musique enfin, le rythme du retour en coulisse. Tout est grâce sans gracieuseté, élégance de la manière sans maniérisme : poésie, en somme. Elle nous fait aimer ce Lamartine. Et nous l’aimons, elle.

Photos :
1. Pauline Courtin;
2. Pascal Amoyel (photo  Jean Philippe Voidet) ;
3. Brigitte Fossey (photo Alvares Correa).



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